La Fin de l'Innocence
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La Fin de l'Innocence
<<Kaïber,
L’endroit où se concentrent tous les maux d’Aarklash. Une place forte dérisoire dressée par la Lumière pour circonscrire les Ténèbres. Dérisoire, car où que se porte le regard, du haut des tours, je constate que la Lèpre se répand tout autour. C’est désespérant de penser que nous nous battons ici depuis des générations tandis qu’ailleurs, les Ténèbres se répandent avec facilité, tissent leur toile d’alliance. L’Homme n’a aucun scrupule devant ses promesses.
Kaïber,
Un îlot de fierté stupide sur lequel je me bats. Depuis trop longtemps…
Les Mythes de mon enfance, les contes qui m’ont bercé annonçaient ces temps sombres où les légendes sortiraient de leurs tombeaux pour reprendre leur dû, et embraseraient le continent.
A Kaïber, cette expression prend tout son sens. Ici, même les gueux sortent de leurs tombeaux. Depuis que je suis là, inlassablement, j’ai vu les morts se dresser contre nous, et sans cesse venir contre nos lames.
Pourquoi suis-je ici ?
Deux ans déjà que je repousse les hordes de chair et d’os levées par les Maudits. J’en suis arrivé à presque les envier… De leur trône, ils envoient leurs soldatesques sordides vers nous, qui n’avons d’autre choix que d’user nos forces à les repousser. Une partie de moi-même pense qu’ils finiront par l’emporter, car ils se rient de la Mort. Ils peuvent aussi bien se rire de nous, car ils savent : ils emporteront le Royaume. Il leur suffit d’être patient, et ils ont toute l’éternité donnée par les Ténèbres.
Pourquoi sommes-nous ici ?
La vertu est sa propre récompense, disent-ils. Lorsque je suis venu, j’étais pourtant baigné par les idéaux de mon Ordre. Nous sommes l’ultime rempart qui protège l’Humanité contre la déchéance des Nécromants. Nous devons fièrement protéger les faibles des menaces du Bélier et de ses alliés, sans rien attendre en retour. Aucune reconnaissance de la part de ceux que nous défendons : la plupart ignorent l’héroïsme quotidien de la Passe. Ici, le plus simple soldat se doit de valoir dix de nos Chevaliers, bien à l’abris dans le confort de la capitale.
Il y a peu, un nobliau est arrivé, un certain Kelrhann, dont le nom m’échappe. Un déshérité. Un inconnu. Il s’est pourtant battu avec une force incroyable et nous lui devons notre victoire d’hier.
Je ne sais pas si ce terme s’applique à Kaïber. Pouvons-nous parler de victoire, lorsque je sais que demain, à la première heure, les trompettes sonneront et le brouillard se lèvera sur les légions qui aujourd’hui se battent à nos côtés ?
Je suis las, et pourtant, je ne peux aller me coucher, car déjà les gongs raisonnent au dehors. La Mort est en avance…>>
Le Censeur avait terminé la lecture de la pièce à conviction et referma l’ouvrage. Le silence s’était installé autour de la table du Conseil. Le Commandeur Akkylanien prit la parole :
« - Nous ne pouvons tolérer de tels propos. Le manque de courage et de motivation sert l’ennemi. »
« - Calmez-vous, mon ami. Le Chevalier de Madinân est un excellent combattant. Il l’écrit lui même dans son journal : cela fait deux ans qu’il se bat ici. Ce simple fait prouve sa valeur. »
« - Le reste prouve qu’il est au bord de la rupture, nous ne pouvons pas le garder, il va basculer. De Madinân a des responsabilités. En tant que capitaine, il risque d’entraîner ses hommes avec lui. Vous savez comme moi que nous ne pouvons pas nous permettre des pertes inutiles. »
« - Je sais tout cela. En tant que représentant du Lion, je peux éloigner notre capitaine d’ici. Tous ici savons qu’il mérite, et ce n’est pas le seul, davantage de reconnaissance. Avertissons Kalienne qu’il serait souhaitable d’attribuer une récompense au Chevalier Ackyn de Madinân, pour ses services sous la bannière de la Lumière. Cette escapade effacera son amertume. »
________________
Le commandeur Akkylanien acquiesça, puis se leva, salua ses alliés et sortit de la pièce. La nuit était tombée, et la fraîcheur nocturne se faisait sentir même dans cette partie de la forteresse. Le commandeur s’emmitoufla dans sa cape. Il tourna la tête vers un coin enténébré et appela :
« -Vous pouvez venir, Teralon. »
Une forme imposante sortit de l’ombre. Une robe la recouvrait de la tête aux pieds. Les deux hommes prirent la direction de l’aile est, où se trouvaient les quartiers des troupes du Griffon. Marchant côte à côte, ils s’entretenaient à voix basse.
« -Qu’en pensez-vous ? »Questionna le commandeur.
« -Je n ‘ai pas pour habitude de délivrer des jugements hâtifs, Monseigneur. Il peut tout aussi bien s’agir d’une perte de courage momentanée que des prémices d’une hérésie... Le temps nous l’apprendra. »
La voix monocorde et abyssale qui sortait des profondeurs du capuchon contrastait avec celle grave et forte du commandeur. Ce dernier sourit.
« -Questionnez un inquisiteur, qu’elle que soit sa réponse, elle vous glacera d’effroi, disent nos amis Barhans... Vous êtes bien sombre, Teralon.
-Tous comme les temps que nous traversons, Monseigneur. »
Les deux hommes débouchèrent sur une des cours intérieures, lieu de repos pour les corps et les âmes. Haut dans le ciel, Yllia scintillait. Le commandeur s’arrêta un instant pour contempler la nuit étoilée.
« -Je vous laisse toutes latitudes pour agir. Nous ne pouvons nous permettre la moindre faiblesse. Trop de choses dépendent de De Medinân.
-Il sera fait selon vos ordres, Monseigneur. Que Merin vous garde.
-Que Merin vous garde, inquisiteur. »
Teralon s’éloigna, laissant le commandeur à sa contemplation de la voûte céleste. Après quelques minutes d’errance dans les dédales de l’aile est, il pénétra dans sa loge. Un jeune clerc l’attendait, occupé à prier le dieu unique. Il se redressa à son entrée.
« -Allez chercher mon apprentie. »
Teralon ferma les yeux pour mieux se concentrer.
« -Elle s’entraîne dans la salle d’arme. »
Le clerc s’inclina et partit à sa recherche.
« -Entrez, Leene. »
Elle entra, sans avoir même eu à frapper à la porte.
« -Vous m’avez fait mander, maître ? » Demanda-t-elle en s’inclinant.
« -Effectivement. J’ai une mission à vous confier. »
Teralon se tourna vers une fenêtre, contemplant les ténèbres au dehors.
« -Vous connaissez Akhin de Medinân, l’un des capitaines du détachement Bahran ? »
Leene acquiesça. Elle était à Kaïber depuis déjà un mois et connaissait les principaux officiers de la forteresse.
« -Il est une source d’inquiétude pour nous. Nous craignons que les ténèbres ne se soient attaquées à son âme. »
Leene fronça les sourcils.
« -Dois-je l’éliminer ? »
L’inquisiteur se tourna posément vers son apprentie.
« -Et détruire ainsi un maillon vital de notre chaîne de commandement ? Instiller le doute dans l’esprit de nos soldats en tuant leurs chefs ? Briser la confiance en l’alliance ? Faites donc preuve de plus de discernement, jeune novice ! »
Leene baissa le regard sous les reproches de son maître.
« -Non, il ne s’agit pas de cela. De Medinân va bientôt retourner à Kalienne pour y recevoir les honneurs. Je veux que vous vous introduisiez auprès de lui et que vous l’observiez. Il nous faut déterminer si son âme a sombré dans les Ténèbres, et s’il en existe un moyen, le ramener à la lumière. Ais-je été assez clair ? »
Leene contenait à grand peine la frustration qui montait en elle. Comment son maître pouvait-il lui demander une telle chose ? Jouer les soignantes compréhensives pour un nobliau malheureux ? N’avait-elle pas maintes fois fait montre de sa valeur et de sa force d’âme ? Quelle preuve fallait-il donc à son maître pour qu’il l’accepte comme son égale ?
Teralon sentit le malaise grandir dans le coeur de son apprentie. Il abaissa son capuchon, dévoilant le masque d’acier qu’il n’enlevait jamais. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix s’était adoucie.
« -Je vous ai fait subir de nombreuses épreuves, jeune novice. Bien plus que je n’en ai fait subir à quiconque. Celle-ci est la plus redoutable pour vous : elle va mettre votre humilité à l’épreuve. Vous ne me décevrez pas, j’en suis certain. »
Leene releva la tête. Son maître savait trouver les mots pour apaiser les cœurs tout comme pour les embraser.
« -Je mènerais cette mission à bien, Maître.
-Vous ne pouvez cependant pas vous présenter à lui en tant qu’inquisitrice. Cela éveillerait ses soupçons. » Lui fit remarquer Teralon.
Après une hésitation, elle décrocha les symboles de sa charge qui ornaient son armure, les remis à Teralon, puis quitta la pièce après l’avoir salué. Ce dernier rangea les attributs dans un coffret, qu’il contempla un moment. Il sourit sous son masque.
« -Bientôt, jeune femme. Bientôt vous serez mon égale. Patience, jusque là. »
______________
Quelqu’un toqua à la porte.
Instantanément, Ackyn referma son journal et le remit dans sa cachette, sous la couche. Un des avantages des officiers était l’absence de fouilles des quartiers personnels, mais certains passages du cahier étaient par trop personnels pour le laisser traîner.
Il se leva, remit un peu d’ordre dans ses vêtements de repos.
« - Entrez ! »
Un jeune Courrier de Kaïber ouvrit la porte.
« - Le commandant vous mande en la tour dorée sud. Au plus tôt, a-t-il précisé. »
D’un signe, le capitaine congédia le messager. Qu’est-ce qui pouvait bien motiver une telle rencontre ? Malgré son grade, le Chevalier n’avait aperçut son Commandant qu’en de très rares occasions. A Kaïber, l’autonomie des forces de combat était privilégiée : il arrivait trop souvent que des groupes de combattants se retrouvent isolés pour qu’ils dépendent d’un tiers.
Il se mit en route, non sans avoir au préalable passé sa ceinture, à laquelle étaient attachés un fourreau et son épée de famille. La consigne était permanente à Kaïber : ne jamais se déplacer sans une arme, les Ténèbres attaquant sans préavis, n’importe quand.
Une succession de couloirs et d’escaliers plus tard, il se retrouvait devant la porte du bureau de son supérieur. Elle était ouverte. Le commandant était à son bureau, face à l’ouverture et lui fit signe d’entrer.
« - Approchez, De Madinân. Nous avons reçu ce pli royal, en provenance de Kalienne. Tenez, il vous est adressé ! »
Ackyn se saisit du parchemin scellé, enleva le cachet de cire et lut.
Il avait longtemps attendu ce moment. D’ailleurs, il s’était porté volontaire pour Kaïber dans ce seul but : recevoir la gloire qu’il méritait, digne de son rang et de sa famille. Depuis quelques mois pourtant, un désenchantement grandissait en lui. Maintenant qu’il tenait en main la preuve de cette reconnaissance tant désirée, elle paraissait bien fade.
A quoi bon lui serviraient un nouveau titre, de nouvelles terres ? Son idéal d’honneur avait évolué au contact de la Passe. Il n’avait pu s’en ouvrir ouvertement sans risquer de graves punitions, mais il ressentait à présent une attirance pour les pouvoirs des magiciens du Bélier. Leur immortalité le fascinait. Là était sûrement l’ultime récompense de la vie : l’immortalité ! Elle permettrait d’obtenir le Blason le plus travaillé qu’un Chevalier n’ait jamais obtenu. Il deviendrait un héros.
« - Tout va bien, capitaine ? »
Le commandant dévisageait Ackyn, dont les yeux fixaient le papier, perdu dans ses pensées.
« - Oui, tout va bien. La Cour m’invite à un banquet en l’honneur des Chevaliers les plus prestigieux. On nous remettra ensuite des récompenses. »
« - Parfait ! Votre valeur à Kaïber porte ses fruits, vous devez être content ! Mes écrits n’ont jamais manqué de souligner les actes de courage de votre compagnie, De Madinân. »
« - J’aurais besoin de temps pour… »
Le commandant l’interrompit derechef.
« - Ne vous inquiétez pas. Je vous accorde une permission exceptionnelle pour recevoir votre dû. Et n’hésitez pas à faire remonter au Roi la nécessité de renforcer encore les contingents du Lion à Kaïber. L’Alliance à besoin de troupes ! »
« - J’essaierais, Commandant. Permission de me retirer ? »
« -Accordée également. Bon voyage, capitaine ! »
Le commandant se replongea dans ses plans, tandis qu’Ackyn retournait dans ses quartiers. Les idées se mélangeaient dans sa tête. Il s’était lassé d’attendre depuis si longtemps ces honneurs et il ignorait s’il les désirait encore… Tant d’autres merveilles étaient à portée de mains.
Il se retourna brusquement. Il se sentait soudain épié et suivi. Il culpabilisait d’avoir des pensées aussi sombres. Rien ne bougea.
Le lendemain, Ackyn de Madinân prépara son paquetage de voyage, fit ses au-revoirs à ses hommes. Il se rendit ensuite aux divers postes de contrôle pour régulariser son départ, puis aux écuries. Il prépara son cheval et partit en début d’après-midi. Il était ravi de quitter la forteresse, qu’il avait habité sans cesse depuis deux années pleines. Il se sentait comme un prisonnier libéré. Il se retourna. Encore cette sensation.
L’après-midi se passa sans encombre. Alors qu’il allait s’arrêter pour souper, il entendit des cris. Il lança son cheval au galop. Après un tournant, il vit une poignée de mauvais larrons entourant quelqu’un. Il portait un lourd manteau à capuche, détrempé et souillé de boue. Il fonça vers eux, l’épée à la main. Les quelques malheureux n’en demandèrent guère plus et s’éparpillèrent.
Il approcha de l’inconnu.
« - Ils ne vous ont pas fait de mal ? »
Une voix féminine sortit de la capuche.
« - Je vais bien. Merci, Chevalier. »
« - Je n’ai fais que mon devoir, Madame. Si je peux me permettre, que faisiez vous seule à cette heure tardive. La Baronnie n’est pas réputée pour sa sûreté ! »
« - Mademoiselle ! Mon fiancé s’est enrôlé, puis est mort à Kaïber. Je n’ai plus rien qui m’attache ici, alors je comptais trouver mieux autre part. »
« - Je quitte moi même cette forteresse, qui cause tant de malheurs. Je me rends à Kalienne, je peux vous accompagner, peut-être. »
« - Je n’ai pas de destination précise, alors Kalienne ou ailleurs ! J’accepte, Chevalier. Je n’ai pas envie de faire d’autres mauvaises rencontres. »
Un sourire illumina le visage du Chevalier alors qu’il tendait sa main.
« - Appelez-moi Ackyn, Mademoiselle, et montez en croupe, nous souperons plus loin. »
« - Merci… Ackyn, appelez-moi Leene. »
L’endroit où se concentrent tous les maux d’Aarklash. Une place forte dérisoire dressée par la Lumière pour circonscrire les Ténèbres. Dérisoire, car où que se porte le regard, du haut des tours, je constate que la Lèpre se répand tout autour. C’est désespérant de penser que nous nous battons ici depuis des générations tandis qu’ailleurs, les Ténèbres se répandent avec facilité, tissent leur toile d’alliance. L’Homme n’a aucun scrupule devant ses promesses.
Kaïber,
Un îlot de fierté stupide sur lequel je me bats. Depuis trop longtemps…
Les Mythes de mon enfance, les contes qui m’ont bercé annonçaient ces temps sombres où les légendes sortiraient de leurs tombeaux pour reprendre leur dû, et embraseraient le continent.
A Kaïber, cette expression prend tout son sens. Ici, même les gueux sortent de leurs tombeaux. Depuis que je suis là, inlassablement, j’ai vu les morts se dresser contre nous, et sans cesse venir contre nos lames.
Pourquoi suis-je ici ?
Deux ans déjà que je repousse les hordes de chair et d’os levées par les Maudits. J’en suis arrivé à presque les envier… De leur trône, ils envoient leurs soldatesques sordides vers nous, qui n’avons d’autre choix que d’user nos forces à les repousser. Une partie de moi-même pense qu’ils finiront par l’emporter, car ils se rient de la Mort. Ils peuvent aussi bien se rire de nous, car ils savent : ils emporteront le Royaume. Il leur suffit d’être patient, et ils ont toute l’éternité donnée par les Ténèbres.
Pourquoi sommes-nous ici ?
La vertu est sa propre récompense, disent-ils. Lorsque je suis venu, j’étais pourtant baigné par les idéaux de mon Ordre. Nous sommes l’ultime rempart qui protège l’Humanité contre la déchéance des Nécromants. Nous devons fièrement protéger les faibles des menaces du Bélier et de ses alliés, sans rien attendre en retour. Aucune reconnaissance de la part de ceux que nous défendons : la plupart ignorent l’héroïsme quotidien de la Passe. Ici, le plus simple soldat se doit de valoir dix de nos Chevaliers, bien à l’abris dans le confort de la capitale.
Il y a peu, un nobliau est arrivé, un certain Kelrhann, dont le nom m’échappe. Un déshérité. Un inconnu. Il s’est pourtant battu avec une force incroyable et nous lui devons notre victoire d’hier.
Je ne sais pas si ce terme s’applique à Kaïber. Pouvons-nous parler de victoire, lorsque je sais que demain, à la première heure, les trompettes sonneront et le brouillard se lèvera sur les légions qui aujourd’hui se battent à nos côtés ?
Je suis las, et pourtant, je ne peux aller me coucher, car déjà les gongs raisonnent au dehors. La Mort est en avance…>>
Le Censeur avait terminé la lecture de la pièce à conviction et referma l’ouvrage. Le silence s’était installé autour de la table du Conseil. Le Commandeur Akkylanien prit la parole :
« - Nous ne pouvons tolérer de tels propos. Le manque de courage et de motivation sert l’ennemi. »
« - Calmez-vous, mon ami. Le Chevalier de Madinân est un excellent combattant. Il l’écrit lui même dans son journal : cela fait deux ans qu’il se bat ici. Ce simple fait prouve sa valeur. »
« - Le reste prouve qu’il est au bord de la rupture, nous ne pouvons pas le garder, il va basculer. De Madinân a des responsabilités. En tant que capitaine, il risque d’entraîner ses hommes avec lui. Vous savez comme moi que nous ne pouvons pas nous permettre des pertes inutiles. »
« - Je sais tout cela. En tant que représentant du Lion, je peux éloigner notre capitaine d’ici. Tous ici savons qu’il mérite, et ce n’est pas le seul, davantage de reconnaissance. Avertissons Kalienne qu’il serait souhaitable d’attribuer une récompense au Chevalier Ackyn de Madinân, pour ses services sous la bannière de la Lumière. Cette escapade effacera son amertume. »
________________
Le commandeur Akkylanien acquiesça, puis se leva, salua ses alliés et sortit de la pièce. La nuit était tombée, et la fraîcheur nocturne se faisait sentir même dans cette partie de la forteresse. Le commandeur s’emmitoufla dans sa cape. Il tourna la tête vers un coin enténébré et appela :
« -Vous pouvez venir, Teralon. »
Une forme imposante sortit de l’ombre. Une robe la recouvrait de la tête aux pieds. Les deux hommes prirent la direction de l’aile est, où se trouvaient les quartiers des troupes du Griffon. Marchant côte à côte, ils s’entretenaient à voix basse.
« -Qu’en pensez-vous ? »Questionna le commandeur.
« -Je n ‘ai pas pour habitude de délivrer des jugements hâtifs, Monseigneur. Il peut tout aussi bien s’agir d’une perte de courage momentanée que des prémices d’une hérésie... Le temps nous l’apprendra. »
La voix monocorde et abyssale qui sortait des profondeurs du capuchon contrastait avec celle grave et forte du commandeur. Ce dernier sourit.
« -Questionnez un inquisiteur, qu’elle que soit sa réponse, elle vous glacera d’effroi, disent nos amis Barhans... Vous êtes bien sombre, Teralon.
-Tous comme les temps que nous traversons, Monseigneur. »
Les deux hommes débouchèrent sur une des cours intérieures, lieu de repos pour les corps et les âmes. Haut dans le ciel, Yllia scintillait. Le commandeur s’arrêta un instant pour contempler la nuit étoilée.
« -Je vous laisse toutes latitudes pour agir. Nous ne pouvons nous permettre la moindre faiblesse. Trop de choses dépendent de De Medinân.
-Il sera fait selon vos ordres, Monseigneur. Que Merin vous garde.
-Que Merin vous garde, inquisiteur. »
Teralon s’éloigna, laissant le commandeur à sa contemplation de la voûte céleste. Après quelques minutes d’errance dans les dédales de l’aile est, il pénétra dans sa loge. Un jeune clerc l’attendait, occupé à prier le dieu unique. Il se redressa à son entrée.
« -Allez chercher mon apprentie. »
Teralon ferma les yeux pour mieux se concentrer.
« -Elle s’entraîne dans la salle d’arme. »
Le clerc s’inclina et partit à sa recherche.
« -Entrez, Leene. »
Elle entra, sans avoir même eu à frapper à la porte.
« -Vous m’avez fait mander, maître ? » Demanda-t-elle en s’inclinant.
« -Effectivement. J’ai une mission à vous confier. »
Teralon se tourna vers une fenêtre, contemplant les ténèbres au dehors.
« -Vous connaissez Akhin de Medinân, l’un des capitaines du détachement Bahran ? »
Leene acquiesça. Elle était à Kaïber depuis déjà un mois et connaissait les principaux officiers de la forteresse.
« -Il est une source d’inquiétude pour nous. Nous craignons que les ténèbres ne se soient attaquées à son âme. »
Leene fronça les sourcils.
« -Dois-je l’éliminer ? »
L’inquisiteur se tourna posément vers son apprentie.
« -Et détruire ainsi un maillon vital de notre chaîne de commandement ? Instiller le doute dans l’esprit de nos soldats en tuant leurs chefs ? Briser la confiance en l’alliance ? Faites donc preuve de plus de discernement, jeune novice ! »
Leene baissa le regard sous les reproches de son maître.
« -Non, il ne s’agit pas de cela. De Medinân va bientôt retourner à Kalienne pour y recevoir les honneurs. Je veux que vous vous introduisiez auprès de lui et que vous l’observiez. Il nous faut déterminer si son âme a sombré dans les Ténèbres, et s’il en existe un moyen, le ramener à la lumière. Ais-je été assez clair ? »
Leene contenait à grand peine la frustration qui montait en elle. Comment son maître pouvait-il lui demander une telle chose ? Jouer les soignantes compréhensives pour un nobliau malheureux ? N’avait-elle pas maintes fois fait montre de sa valeur et de sa force d’âme ? Quelle preuve fallait-il donc à son maître pour qu’il l’accepte comme son égale ?
Teralon sentit le malaise grandir dans le coeur de son apprentie. Il abaissa son capuchon, dévoilant le masque d’acier qu’il n’enlevait jamais. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix s’était adoucie.
« -Je vous ai fait subir de nombreuses épreuves, jeune novice. Bien plus que je n’en ai fait subir à quiconque. Celle-ci est la plus redoutable pour vous : elle va mettre votre humilité à l’épreuve. Vous ne me décevrez pas, j’en suis certain. »
Leene releva la tête. Son maître savait trouver les mots pour apaiser les cœurs tout comme pour les embraser.
« -Je mènerais cette mission à bien, Maître.
-Vous ne pouvez cependant pas vous présenter à lui en tant qu’inquisitrice. Cela éveillerait ses soupçons. » Lui fit remarquer Teralon.
Après une hésitation, elle décrocha les symboles de sa charge qui ornaient son armure, les remis à Teralon, puis quitta la pièce après l’avoir salué. Ce dernier rangea les attributs dans un coffret, qu’il contempla un moment. Il sourit sous son masque.
« -Bientôt, jeune femme. Bientôt vous serez mon égale. Patience, jusque là. »
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Quelqu’un toqua à la porte.
Instantanément, Ackyn referma son journal et le remit dans sa cachette, sous la couche. Un des avantages des officiers était l’absence de fouilles des quartiers personnels, mais certains passages du cahier étaient par trop personnels pour le laisser traîner.
Il se leva, remit un peu d’ordre dans ses vêtements de repos.
« - Entrez ! »
Un jeune Courrier de Kaïber ouvrit la porte.
« - Le commandant vous mande en la tour dorée sud. Au plus tôt, a-t-il précisé. »
D’un signe, le capitaine congédia le messager. Qu’est-ce qui pouvait bien motiver une telle rencontre ? Malgré son grade, le Chevalier n’avait aperçut son Commandant qu’en de très rares occasions. A Kaïber, l’autonomie des forces de combat était privilégiée : il arrivait trop souvent que des groupes de combattants se retrouvent isolés pour qu’ils dépendent d’un tiers.
Il se mit en route, non sans avoir au préalable passé sa ceinture, à laquelle étaient attachés un fourreau et son épée de famille. La consigne était permanente à Kaïber : ne jamais se déplacer sans une arme, les Ténèbres attaquant sans préavis, n’importe quand.
Une succession de couloirs et d’escaliers plus tard, il se retrouvait devant la porte du bureau de son supérieur. Elle était ouverte. Le commandant était à son bureau, face à l’ouverture et lui fit signe d’entrer.
« - Approchez, De Madinân. Nous avons reçu ce pli royal, en provenance de Kalienne. Tenez, il vous est adressé ! »
Ackyn se saisit du parchemin scellé, enleva le cachet de cire et lut.
Il avait longtemps attendu ce moment. D’ailleurs, il s’était porté volontaire pour Kaïber dans ce seul but : recevoir la gloire qu’il méritait, digne de son rang et de sa famille. Depuis quelques mois pourtant, un désenchantement grandissait en lui. Maintenant qu’il tenait en main la preuve de cette reconnaissance tant désirée, elle paraissait bien fade.
A quoi bon lui serviraient un nouveau titre, de nouvelles terres ? Son idéal d’honneur avait évolué au contact de la Passe. Il n’avait pu s’en ouvrir ouvertement sans risquer de graves punitions, mais il ressentait à présent une attirance pour les pouvoirs des magiciens du Bélier. Leur immortalité le fascinait. Là était sûrement l’ultime récompense de la vie : l’immortalité ! Elle permettrait d’obtenir le Blason le plus travaillé qu’un Chevalier n’ait jamais obtenu. Il deviendrait un héros.
« - Tout va bien, capitaine ? »
Le commandant dévisageait Ackyn, dont les yeux fixaient le papier, perdu dans ses pensées.
« - Oui, tout va bien. La Cour m’invite à un banquet en l’honneur des Chevaliers les plus prestigieux. On nous remettra ensuite des récompenses. »
« - Parfait ! Votre valeur à Kaïber porte ses fruits, vous devez être content ! Mes écrits n’ont jamais manqué de souligner les actes de courage de votre compagnie, De Madinân. »
« - J’aurais besoin de temps pour… »
Le commandant l’interrompit derechef.
« - Ne vous inquiétez pas. Je vous accorde une permission exceptionnelle pour recevoir votre dû. Et n’hésitez pas à faire remonter au Roi la nécessité de renforcer encore les contingents du Lion à Kaïber. L’Alliance à besoin de troupes ! »
« - J’essaierais, Commandant. Permission de me retirer ? »
« -Accordée également. Bon voyage, capitaine ! »
Le commandant se replongea dans ses plans, tandis qu’Ackyn retournait dans ses quartiers. Les idées se mélangeaient dans sa tête. Il s’était lassé d’attendre depuis si longtemps ces honneurs et il ignorait s’il les désirait encore… Tant d’autres merveilles étaient à portée de mains.
Il se retourna brusquement. Il se sentait soudain épié et suivi. Il culpabilisait d’avoir des pensées aussi sombres. Rien ne bougea.
Le lendemain, Ackyn de Madinân prépara son paquetage de voyage, fit ses au-revoirs à ses hommes. Il se rendit ensuite aux divers postes de contrôle pour régulariser son départ, puis aux écuries. Il prépara son cheval et partit en début d’après-midi. Il était ravi de quitter la forteresse, qu’il avait habité sans cesse depuis deux années pleines. Il se sentait comme un prisonnier libéré. Il se retourna. Encore cette sensation.
L’après-midi se passa sans encombre. Alors qu’il allait s’arrêter pour souper, il entendit des cris. Il lança son cheval au galop. Après un tournant, il vit une poignée de mauvais larrons entourant quelqu’un. Il portait un lourd manteau à capuche, détrempé et souillé de boue. Il fonça vers eux, l’épée à la main. Les quelques malheureux n’en demandèrent guère plus et s’éparpillèrent.
Il approcha de l’inconnu.
« - Ils ne vous ont pas fait de mal ? »
Une voix féminine sortit de la capuche.
« - Je vais bien. Merci, Chevalier. »
« - Je n’ai fais que mon devoir, Madame. Si je peux me permettre, que faisiez vous seule à cette heure tardive. La Baronnie n’est pas réputée pour sa sûreté ! »
« - Mademoiselle ! Mon fiancé s’est enrôlé, puis est mort à Kaïber. Je n’ai plus rien qui m’attache ici, alors je comptais trouver mieux autre part. »
« - Je quitte moi même cette forteresse, qui cause tant de malheurs. Je me rends à Kalienne, je peux vous accompagner, peut-être. »
« - Je n’ai pas de destination précise, alors Kalienne ou ailleurs ! J’accepte, Chevalier. Je n’ai pas envie de faire d’autres mauvaises rencontres. »
Un sourire illumina le visage du Chevalier alors qu’il tendait sa main.
« - Appelez-moi Ackyn, Mademoiselle, et montez en croupe, nous souperons plus loin. »
« - Merci… Ackyn, appelez-moi Leene. »
popolman- Ermite crabe
- Nombre de messages : 1327
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Localisation : Généralement sur Terre, mais pas toujours
Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Ackyn fit monter sa protégée en croupe, et partit à la recherche d’un endroit sec pour y passer la nuit, faisant passer sa monture au galop. La soudaine accélération obligea Leene à se serrer contre le chevalier, ses mains blanches et fines enserrant son plastron. Ackyn rougit. L’épaisseur de l’armure ne pouvait dissimuler l’étreinte. Il prit une profonde inspiration, mais son cœur s’était emballé. Il lui fallut plusieurs minutes pour se concentrer de nouveau sur sa chevauchée.
« -Je... Je connais un endroit où nous pourrons dormir en toute sécurité », fini-t-il par dire.
« -Fort bien », répondit Leene. Elle avait perçu le trouble dans la voix d’Ackyn. Elle desserra son étreinte et fronça les sourcils à l’abri de sa capuche.
« Voilà ce que je redoutais », songea-t-elle. La frustration qu’elle avait ressentit la veille la reprit. « Maître, pourquoi cette épreuve ? ».
Ackyn se contenait du mieux qu’il pouvait. Oubliés, les honneurs. Oublié, Kaïber, si loin derrière. Oubliés, les nécromants du Bélier, leurs pouvoirs et leur immortalité. Une nouvelle bataille en lui avait supplanté celle entre les Ténèbres et la Lumière.
« Elle m’a touché...
Ce n’était qu’un accident.
Ce contact...
Etait fortuit.
Quelle douceur...
Peu importe.
C’était apaisant...
Soit. Et alors ?
Elle a dissipé mes doutes...
Que t’arrive-t-il ?
Elle est si belle...
Tu l’as à peine entr’aperçue !
J’ai chaud, soudain... Mon cœur palpite... Ma gorge se serre...
Arrête !
Pourrais-je...
Non ! Tu ne le peu ! Tu dois tenir ton rang ! »
C’était vrai. Ackyn secoua la tête et sortit de sa torpeur. Il aperçut entre les branches le lieu qu’il cherchait : un ancien autel protégé par un dôme de pierres blanches.
« -Nous y voilà. Nous serrons à l’abri de la pluie et les animaux sauvages évitent ce lieu.
-Comment savez-vous cela ? »Questionna Leene ?
Ackyn sourit faiblement.
« -Je jouais souvent ici dans mon enfance. »
Leene se dérida quelque peu.
« -A quoi jouiez vous ?
-Au chevalier sauvant les damoiselles en détresse » répondit Ackyn en riant.
« -N’avez vous donc rien fait d’autre dans votre vie ? » Plaisanta Leene.
Le visage d’Ackyn se figea. Kaïber. Les batailles sans fin. Ses amis qui tombaient les uns après les autres. Ces mêmes amis titubants au côté des hordes squelettiques comme de ridicules pantins. Le désespoir. La mort. La solitude.
« -Ackyn ? Ackyn, qu’avez vous ? »
Cette voix si douce. Si belle. Une main se posa délicatement sur son front.
« -Eveillez-vous, chevalier. »
Le cauchemar prit fin. Ackyn s’éveilla, les yeux agar. Il rencontra le regard de Leene, et se perdit dans les confins de ses yeux bleus.
« -Vous avez souffert, je le sens... »
Il ne pouvait quitter ce regard.
« -Mais l’espoir persiste tant que la Lumière demeure... »
Ces yeux...
« -Vous avez longtemps cherché le chemin. Maintenant la porte est devant vous... »
Ackyn n’écoutait plus. Ces yeux. Il ne pouvait s’en détacher. Il tendit la main vers eux.
Leene rompit le contact, reculant et retirant sa main. Elle avait presque réussit à exorciser Ackyn du mal qui le rongeait, mais une force avait jaillit de l’esprit du chevalier. Une force qu’elle ne connaissait pas. Une force qui lui avait fait peur. Elle se ressaisit. Ackyn l’observait, hébété.
« -Je... Pardonnez-moi. » Bafouilla le chevalier.
« -Ce n’est rien, je vous assure, répondit Leene. Il est temps pour nous de dormir. »
Ackyn se ressaisit à son tour.
« -Ne voulez-vous point souper, tout d’abord ? »
Leene allait répondre par la négative, mais son estomac émit un gargouillement.
Ackyn sourit.
« -Votre ventre a répondu pour vous ! »
Leene afficha une moue embarrassée.
La fumée du feu de camp s’envolait en volutes au-dessus de la voûte des feuillages, se perdant dans le ciel étoilé. Ackyn n’avait prévu que peu de vivres, ce que Leene régla lorsqu’elle revint d’entre les fourrés, un lièvre entre les bras. Le chevalier ne put cacher sa surprise.
« -Vous êtes pleine de ressources ! »
Un léger sourire flotta sur les lèvres de la jeune femme.
« -La chasse au petit gibier n’a rien de sorcier. »
Bientôt, le lièvre rôtissait au-dessus du feu. La nuit était fraîche, mais le feu de camp émettait une douce chaleur.
« -Vous êtes Akkylanienne, n’est-ce pas ? »
La question déstabilisa Leene. Se pouvait-il que... ? Non, son accent avait du la trahir.
« -En effet. »
Ackyn s’adossa à un arbre.
« -A ce qu’il parait, les... femmes ont peu d’opportunités dans ce pays. »
Leene réprima à grand mal une grimace de mépris.
« Pauvre imbécile. Tu n’as pas la moindre idée de ce que j’ai du subir... Et tout ça pour te tenir compagnie ! » Songea-t-elle.
Ackyn interpréta mal sa réaction.
« -Je ne veux pas dévaloriser votre nation, croyez-le bien. Les Akkylaniens combattent avec bravoure et... »
« -Chevalier. J’ai abandonné cette terre il y a fort longtemps. Je préfère ne pas en parler. » Le coupa Leene.
Confus, Ackyn baissa la tête.
« -Je vais dormir, maintenant. Je suis lasse. »
Leene s’enveloppa dans son manteau et s’allongea sur les dalles de l’autel. Elle sombra dans un sommeil agité, hanté par les évènements de cette journée.
Ackyn la regarda à la lueur du feu. Qui était-elle ? Quelle était son histoire ? Il la devinait triste. Son regard remonta le long du manteau qui suggérait les formes de Leene, et se posa sur les longs cheveux noirs qui cascadaient sur le sol de l’édifice. La flamme se ralluma dans son cœur. Ces cheveux. Ce corps. Ces yeux.
« Je n’ai rien vu de plus beau...
Tu ne dois pas la toucher !
Pourquoi ? Je ne lui veux aucun mal...
Tu n’en as pas le droit !
Je ne lui veux pas de mal...
Elle ne t’appartient pas !
Juste... Passer ma main dans ses cheveux...
Non ! Tu n’as pas le droit !
Juste... Une fois... »
Alors que le désir supplantait peu à peu sa conscience, il s’approchait de Leene. Il tendit la main...
...
Et caressa la douce chevelure brune.
...
Leene ouvrit les yeux et se redressa brusquement sur ses coudes. Ses yeux bleus plongèrent dans le regard turquoise d’Ackyn. Leene articula lentement, chargeant chaques syllabes d’une lourde signification :
« -Ne me touchez plus jamais sans y être invité, chevalier... »
Ackyn semblait s’éveiller d’un rêve.
« -Je suis désolé...
-Plus jamais », répéta Leene. « Allez vous coucher, maintenant. Une longue route nous attend demain. »
Ackyn s’éloigna et s’installa pour dormir, ou du moins, tenter de trouver le sommeil. Leene l’observa un moment. L’homme fuyait son regard, honteux de sa conduite. Elle se rallongea et se retourna. La colère se mêlait à un sentiment de culpabilité.
« Cette épreuve est la plus redoutable pour vous : elle va mettre votre humilité à l’épreuve », avait dit Teralon. Venait-elle d’échouer ?
« -Maître, pourquoi cette épreuve ? »Se murmura-t-elle.
Elle s’endormit sur ce sentiment étrange.
<<
Cher Oncle,
Je suis très inquiète à propos de mon père. Vous aviez raison. Sa santé est très dégradée, bien que je sente un regain de forces depuis que je suis revenue à la ferme.
Les apothicaires n’arrivent pas encore à se prononcer sur l’origine du mal. Les soins que je lui donne m’obligent moi-même à côtoyer ce mal. Je n’ai pas leurs connaissances médicales, mais c’est comme si un démon l’habitait, qui voile parfois son regard. Il perd alors toutes ses forces, comme vous l’aviez constaté lors de votre visite.
Vous qui avez eu la sagesse de me renvoyer à ses côtés, pensez-vous qu’il passera la saison ?
Je prie chaque jour pour que se soit le cas, vous connaissez l’affection que je porte à mes parents. Je fais du mieux que je puisse pour qu’il se sente mieux, mais il est des choses qui sont hors de mes compétences.
Si toutefois il devait en être autrement, je saurais faire face et surmonter mon chagrin.
Affectueusement,
Enele, votre nièce.
>>
Leene avait profité de l’absence du Chevalier pour rédiger son premier rapport. Il était parti se rafraîchir à la rivière toute proche. Bien que d’apparence anodine, elle comptait sur la perspicacité de son Maître pour en comprendre le principal : Elle avait clairement décelé la présence d’un mal profond chez Ackyn. Elle ne voulait pas cependant conclure trop vite à une hérésie. Elle sentait que sa propre présence avait infléchit la progression du mal.
Peut-être n’était-ce qu’un relâchement passager ? Ses supérieurs avisés tentaient de renforcer sa volonté en l’éloignant des potentielles sources de corruption. Sage décision, mais souvent inefficace, car les Toges Noires avaient su garder de précieux contacts hors d’Achéron.
En tant que vétéran, il connaissait la nature des Ténèbres, suffisamment pour ne pas se laisser envahir par eux aussi facilement. Le capitaine Ackyn de Madinân avait sûrement vécu des choses terribles à Kaïber. Il avait sûrement été profondément marqué par ces épreuves. Il avait les armes pour les affronter, mais aussi les blessures par lesquelles Ils pouvaient s’infiltrer.
Elle lui cherchait une porte de sortie. Cette ambiguïté la troublait. Elle n’avait pas l’habitude de côtoyer ses cibles aussi longtemps, de les connaître. Elle ne devait pas se laisser attendrir. Elle connaissait parfaitement les obligations liées à sa charge.
Ackyn revint, le sourire aux lèvres. Il demanda :
« - Prête à repartir ? Avec de la chance, nous ne bivouaquerons pas ce soir : nous serons à Danéran ! »
« - Cela ne me gêne pas de dormir dehors, Ackyn ! »
« - Peut être… En tout cas, je préférerais sans aucun doute le lit d’une auberge à l’herbe de la Baronnie ! »
Ils se mirent en route. Pour ne pas fatiguer la monture, ils se relayaient : l’un sur la selle et l’autre tenant la bride à côté. Cela permettait également à Ackyn d’éviter une trop importante promiscuité avec la jeune femme. Depuis l’incident de la veille, son déchirement intérieur avait amplifié. Il était sans cesse tiraillé entre deux attitudes. L’attitude chevaleresque, celle de son éducation et de son rang, prenait encore le dessus. Mais trop souvent, et de plus en plus fréquemment, des élans incompréhensibles affleuraient.
Ce matin, à la rivière, il avait fait tomber son couteau dont il se servait pour se raser. En le cherchant au milieu des pierres, il s’était coupé. Pendant quelques temps, il avait contemplé son sang qui se répandait dans les flots. Les ondes sanguines emportées par le courant l’avaient fasciné. Il avait ainsi laissé sa main, regardant encore et encore le précieux fluide. Les arabesques éphémères lui rappelaient la chevelure de Leene, éclairée par le feu. Le chant d’un oiseau l’avait tiré de cette rêverie délicieuse.
Il ne se pardonnait pas pour autant son attitude de la veille. Il ne se l’expliquait pas non plus. D’habitude, il ne cédait pas à ce type de pulsion. Ses hommes, à Kaïber, en avait d’ailleurs fait matière à rigolade. Mais là, cela avait été plus fort. Il avait senti au fond de lui l’impérieuse nécessité de toucher cette femme. Quelque chose à l’intérieur lui avait ordonné de le faire. Il avait obéi. Il avait même apprécié cela. Jusqu’à ce qu’elle le réveille.
La matinée touchait à sa fin. Il était temps de penser à déjeuner. Leene se proposa pour aller chercher le petit gibier.
« - Les coutumes veulent que se soit au Chevalier de subvenir au besoin du groupe » lança le Bahran avec bonhomie.
« - Les coutumes n’ont pas que du bon, Chevalier ! Et nombreux sont ceux et celles qui ne les suivent plus ! Même en Akkylanie ! » Elle lui lança un regard qui éteignit toute tentative de réponse chez Ackyn. Elle non plus n’avait pas pardonné les écarts de la précédente veillée…
Tandis qu’elle cherchait un endroit d’où guetter un lièvre ou attraper quelque oiseau, elle se repassait les événements. Les revirements de caractère du Barhan étaient inquiétants, et significatifs de la lutte intérieure qu’il menait. Elle savait que ce combat était plus difficile que tout ce qu’on peut vivre à la Passe. Par expérience, elle savait aussi qu’en ce moment, il avait le dessus. Elle était étonné : les hommes résistaient rarement aussi longtemps aux attraits flatteurs des Ténèbres. Peut-être était-ce là la leçon que voulait lui donner Teralon : la rédemption pouvait venir de soi-même ?
Elle devait se ressaisir. Se souvenir : priorité à la mission, le credo de tous les Inquisiteurs. C’est sans remord qu’elle enfoncerait sa lame de châtiment entre ses côtes, s’il le fallait.
Mais son Mentor avait la prérogative sur cette décision et elle devrait attendre sa réponse. Elle le respectait trop pour désobéir. D’ici là, elle guetterait le moindre signe de défaitisme chez son compagnon. S’il perdait son combat intérieur, il perdrait la vie, à coup sûr. Les Ténèbres ne se repoussent pas qu’à Kaïber !
Un mouvement dans les branches. D’un geste, deux traits d’acier partirent de la main de Leene.
Les Etourneaux s’étaient révélés succulents, puis il avait fallu reprendre le chemin. Aucun mot n’avait été échangé entre Ackyn et Leene pendant l’après-midi et c’est avec un soulagement non feint qu’ils aperçurent les torches de la porte de Danéran.
« -Je... Je connais un endroit où nous pourrons dormir en toute sécurité », fini-t-il par dire.
« -Fort bien », répondit Leene. Elle avait perçu le trouble dans la voix d’Ackyn. Elle desserra son étreinte et fronça les sourcils à l’abri de sa capuche.
« Voilà ce que je redoutais », songea-t-elle. La frustration qu’elle avait ressentit la veille la reprit. « Maître, pourquoi cette épreuve ? ».
Ackyn se contenait du mieux qu’il pouvait. Oubliés, les honneurs. Oublié, Kaïber, si loin derrière. Oubliés, les nécromants du Bélier, leurs pouvoirs et leur immortalité. Une nouvelle bataille en lui avait supplanté celle entre les Ténèbres et la Lumière.
« Elle m’a touché...
Ce n’était qu’un accident.
Ce contact...
Etait fortuit.
Quelle douceur...
Peu importe.
C’était apaisant...
Soit. Et alors ?
Elle a dissipé mes doutes...
Que t’arrive-t-il ?
Elle est si belle...
Tu l’as à peine entr’aperçue !
J’ai chaud, soudain... Mon cœur palpite... Ma gorge se serre...
Arrête !
Pourrais-je...
Non ! Tu ne le peu ! Tu dois tenir ton rang ! »
C’était vrai. Ackyn secoua la tête et sortit de sa torpeur. Il aperçut entre les branches le lieu qu’il cherchait : un ancien autel protégé par un dôme de pierres blanches.
« -Nous y voilà. Nous serrons à l’abri de la pluie et les animaux sauvages évitent ce lieu.
-Comment savez-vous cela ? »Questionna Leene ?
Ackyn sourit faiblement.
« -Je jouais souvent ici dans mon enfance. »
Leene se dérida quelque peu.
« -A quoi jouiez vous ?
-Au chevalier sauvant les damoiselles en détresse » répondit Ackyn en riant.
« -N’avez vous donc rien fait d’autre dans votre vie ? » Plaisanta Leene.
Le visage d’Ackyn se figea. Kaïber. Les batailles sans fin. Ses amis qui tombaient les uns après les autres. Ces mêmes amis titubants au côté des hordes squelettiques comme de ridicules pantins. Le désespoir. La mort. La solitude.
« -Ackyn ? Ackyn, qu’avez vous ? »
Cette voix si douce. Si belle. Une main se posa délicatement sur son front.
« -Eveillez-vous, chevalier. »
Le cauchemar prit fin. Ackyn s’éveilla, les yeux agar. Il rencontra le regard de Leene, et se perdit dans les confins de ses yeux bleus.
« -Vous avez souffert, je le sens... »
Il ne pouvait quitter ce regard.
« -Mais l’espoir persiste tant que la Lumière demeure... »
Ces yeux...
« -Vous avez longtemps cherché le chemin. Maintenant la porte est devant vous... »
Ackyn n’écoutait plus. Ces yeux. Il ne pouvait s’en détacher. Il tendit la main vers eux.
Leene rompit le contact, reculant et retirant sa main. Elle avait presque réussit à exorciser Ackyn du mal qui le rongeait, mais une force avait jaillit de l’esprit du chevalier. Une force qu’elle ne connaissait pas. Une force qui lui avait fait peur. Elle se ressaisit. Ackyn l’observait, hébété.
« -Je... Pardonnez-moi. » Bafouilla le chevalier.
« -Ce n’est rien, je vous assure, répondit Leene. Il est temps pour nous de dormir. »
Ackyn se ressaisit à son tour.
« -Ne voulez-vous point souper, tout d’abord ? »
Leene allait répondre par la négative, mais son estomac émit un gargouillement.
Ackyn sourit.
« -Votre ventre a répondu pour vous ! »
Leene afficha une moue embarrassée.
La fumée du feu de camp s’envolait en volutes au-dessus de la voûte des feuillages, se perdant dans le ciel étoilé. Ackyn n’avait prévu que peu de vivres, ce que Leene régla lorsqu’elle revint d’entre les fourrés, un lièvre entre les bras. Le chevalier ne put cacher sa surprise.
« -Vous êtes pleine de ressources ! »
Un léger sourire flotta sur les lèvres de la jeune femme.
« -La chasse au petit gibier n’a rien de sorcier. »
Bientôt, le lièvre rôtissait au-dessus du feu. La nuit était fraîche, mais le feu de camp émettait une douce chaleur.
« -Vous êtes Akkylanienne, n’est-ce pas ? »
La question déstabilisa Leene. Se pouvait-il que... ? Non, son accent avait du la trahir.
« -En effet. »
Ackyn s’adossa à un arbre.
« -A ce qu’il parait, les... femmes ont peu d’opportunités dans ce pays. »
Leene réprima à grand mal une grimace de mépris.
« Pauvre imbécile. Tu n’as pas la moindre idée de ce que j’ai du subir... Et tout ça pour te tenir compagnie ! » Songea-t-elle.
Ackyn interpréta mal sa réaction.
« -Je ne veux pas dévaloriser votre nation, croyez-le bien. Les Akkylaniens combattent avec bravoure et... »
« -Chevalier. J’ai abandonné cette terre il y a fort longtemps. Je préfère ne pas en parler. » Le coupa Leene.
Confus, Ackyn baissa la tête.
« -Je vais dormir, maintenant. Je suis lasse. »
Leene s’enveloppa dans son manteau et s’allongea sur les dalles de l’autel. Elle sombra dans un sommeil agité, hanté par les évènements de cette journée.
Ackyn la regarda à la lueur du feu. Qui était-elle ? Quelle était son histoire ? Il la devinait triste. Son regard remonta le long du manteau qui suggérait les formes de Leene, et se posa sur les longs cheveux noirs qui cascadaient sur le sol de l’édifice. La flamme se ralluma dans son cœur. Ces cheveux. Ce corps. Ces yeux.
« Je n’ai rien vu de plus beau...
Tu ne dois pas la toucher !
Pourquoi ? Je ne lui veux aucun mal...
Tu n’en as pas le droit !
Je ne lui veux pas de mal...
Elle ne t’appartient pas !
Juste... Passer ma main dans ses cheveux...
Non ! Tu n’as pas le droit !
Juste... Une fois... »
Alors que le désir supplantait peu à peu sa conscience, il s’approchait de Leene. Il tendit la main...
...
Et caressa la douce chevelure brune.
...
Leene ouvrit les yeux et se redressa brusquement sur ses coudes. Ses yeux bleus plongèrent dans le regard turquoise d’Ackyn. Leene articula lentement, chargeant chaques syllabes d’une lourde signification :
« -Ne me touchez plus jamais sans y être invité, chevalier... »
Ackyn semblait s’éveiller d’un rêve.
« -Je suis désolé...
-Plus jamais », répéta Leene. « Allez vous coucher, maintenant. Une longue route nous attend demain. »
Ackyn s’éloigna et s’installa pour dormir, ou du moins, tenter de trouver le sommeil. Leene l’observa un moment. L’homme fuyait son regard, honteux de sa conduite. Elle se rallongea et se retourna. La colère se mêlait à un sentiment de culpabilité.
« Cette épreuve est la plus redoutable pour vous : elle va mettre votre humilité à l’épreuve », avait dit Teralon. Venait-elle d’échouer ?
« -Maître, pourquoi cette épreuve ? »Se murmura-t-elle.
Elle s’endormit sur ce sentiment étrange.
<<
Cher Oncle,
Je suis très inquiète à propos de mon père. Vous aviez raison. Sa santé est très dégradée, bien que je sente un regain de forces depuis que je suis revenue à la ferme.
Les apothicaires n’arrivent pas encore à se prononcer sur l’origine du mal. Les soins que je lui donne m’obligent moi-même à côtoyer ce mal. Je n’ai pas leurs connaissances médicales, mais c’est comme si un démon l’habitait, qui voile parfois son regard. Il perd alors toutes ses forces, comme vous l’aviez constaté lors de votre visite.
Vous qui avez eu la sagesse de me renvoyer à ses côtés, pensez-vous qu’il passera la saison ?
Je prie chaque jour pour que se soit le cas, vous connaissez l’affection que je porte à mes parents. Je fais du mieux que je puisse pour qu’il se sente mieux, mais il est des choses qui sont hors de mes compétences.
Si toutefois il devait en être autrement, je saurais faire face et surmonter mon chagrin.
Affectueusement,
Enele, votre nièce.
>>
Leene avait profité de l’absence du Chevalier pour rédiger son premier rapport. Il était parti se rafraîchir à la rivière toute proche. Bien que d’apparence anodine, elle comptait sur la perspicacité de son Maître pour en comprendre le principal : Elle avait clairement décelé la présence d’un mal profond chez Ackyn. Elle ne voulait pas cependant conclure trop vite à une hérésie. Elle sentait que sa propre présence avait infléchit la progression du mal.
Peut-être n’était-ce qu’un relâchement passager ? Ses supérieurs avisés tentaient de renforcer sa volonté en l’éloignant des potentielles sources de corruption. Sage décision, mais souvent inefficace, car les Toges Noires avaient su garder de précieux contacts hors d’Achéron.
En tant que vétéran, il connaissait la nature des Ténèbres, suffisamment pour ne pas se laisser envahir par eux aussi facilement. Le capitaine Ackyn de Madinân avait sûrement vécu des choses terribles à Kaïber. Il avait sûrement été profondément marqué par ces épreuves. Il avait les armes pour les affronter, mais aussi les blessures par lesquelles Ils pouvaient s’infiltrer.
Elle lui cherchait une porte de sortie. Cette ambiguïté la troublait. Elle n’avait pas l’habitude de côtoyer ses cibles aussi longtemps, de les connaître. Elle ne devait pas se laisser attendrir. Elle connaissait parfaitement les obligations liées à sa charge.
Ackyn revint, le sourire aux lèvres. Il demanda :
« - Prête à repartir ? Avec de la chance, nous ne bivouaquerons pas ce soir : nous serons à Danéran ! »
« - Cela ne me gêne pas de dormir dehors, Ackyn ! »
« - Peut être… En tout cas, je préférerais sans aucun doute le lit d’une auberge à l’herbe de la Baronnie ! »
Ils se mirent en route. Pour ne pas fatiguer la monture, ils se relayaient : l’un sur la selle et l’autre tenant la bride à côté. Cela permettait également à Ackyn d’éviter une trop importante promiscuité avec la jeune femme. Depuis l’incident de la veille, son déchirement intérieur avait amplifié. Il était sans cesse tiraillé entre deux attitudes. L’attitude chevaleresque, celle de son éducation et de son rang, prenait encore le dessus. Mais trop souvent, et de plus en plus fréquemment, des élans incompréhensibles affleuraient.
Ce matin, à la rivière, il avait fait tomber son couteau dont il se servait pour se raser. En le cherchant au milieu des pierres, il s’était coupé. Pendant quelques temps, il avait contemplé son sang qui se répandait dans les flots. Les ondes sanguines emportées par le courant l’avaient fasciné. Il avait ainsi laissé sa main, regardant encore et encore le précieux fluide. Les arabesques éphémères lui rappelaient la chevelure de Leene, éclairée par le feu. Le chant d’un oiseau l’avait tiré de cette rêverie délicieuse.
Il ne se pardonnait pas pour autant son attitude de la veille. Il ne se l’expliquait pas non plus. D’habitude, il ne cédait pas à ce type de pulsion. Ses hommes, à Kaïber, en avait d’ailleurs fait matière à rigolade. Mais là, cela avait été plus fort. Il avait senti au fond de lui l’impérieuse nécessité de toucher cette femme. Quelque chose à l’intérieur lui avait ordonné de le faire. Il avait obéi. Il avait même apprécié cela. Jusqu’à ce qu’elle le réveille.
La matinée touchait à sa fin. Il était temps de penser à déjeuner. Leene se proposa pour aller chercher le petit gibier.
« - Les coutumes veulent que se soit au Chevalier de subvenir au besoin du groupe » lança le Bahran avec bonhomie.
« - Les coutumes n’ont pas que du bon, Chevalier ! Et nombreux sont ceux et celles qui ne les suivent plus ! Même en Akkylanie ! » Elle lui lança un regard qui éteignit toute tentative de réponse chez Ackyn. Elle non plus n’avait pas pardonné les écarts de la précédente veillée…
Tandis qu’elle cherchait un endroit d’où guetter un lièvre ou attraper quelque oiseau, elle se repassait les événements. Les revirements de caractère du Barhan étaient inquiétants, et significatifs de la lutte intérieure qu’il menait. Elle savait que ce combat était plus difficile que tout ce qu’on peut vivre à la Passe. Par expérience, elle savait aussi qu’en ce moment, il avait le dessus. Elle était étonné : les hommes résistaient rarement aussi longtemps aux attraits flatteurs des Ténèbres. Peut-être était-ce là la leçon que voulait lui donner Teralon : la rédemption pouvait venir de soi-même ?
Elle devait se ressaisir. Se souvenir : priorité à la mission, le credo de tous les Inquisiteurs. C’est sans remord qu’elle enfoncerait sa lame de châtiment entre ses côtes, s’il le fallait.
Mais son Mentor avait la prérogative sur cette décision et elle devrait attendre sa réponse. Elle le respectait trop pour désobéir. D’ici là, elle guetterait le moindre signe de défaitisme chez son compagnon. S’il perdait son combat intérieur, il perdrait la vie, à coup sûr. Les Ténèbres ne se repoussent pas qu’à Kaïber !
Un mouvement dans les branches. D’un geste, deux traits d’acier partirent de la main de Leene.
Les Etourneaux s’étaient révélés succulents, puis il avait fallu reprendre le chemin. Aucun mot n’avait été échangé entre Ackyn et Leene pendant l’après-midi et c’est avec un soulagement non feint qu’ils aperçurent les torches de la porte de Danéran.
popolman- Ermite crabe
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Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Le Chevalier demanda aux gardes une bonne adresse. Ils atteignirent Le Pot Cassé peu de temps après. Ackyn avança l’argent pour deux chambres individuelles. Les visiteurs ne se bousculaient pas dans les environs et rares étaient les auberges qui ne pouvaient proposer cela ! Leene déclina l’invitation à dîner et déclara qu’elle préférait une bonne nuit de récupération tranquille. Elle insista sur ce dernier point.
Au milieu de l’escalier, elle lança :
« - Finalement, c’est vous qui aviez raison : je préfère aussi le lit de l’auberge ! »
La remarque était acide, mais Ackyn sourit quand même. Il ignorait comment rattraper son erreur. Il ignorait même s’il avait envie de rattraper son erreur. Après tout, n’avait-elle pas elle-même provoqué ce contact ? Leene ne pouvait ignorer sa beauté. Elle l’avait peut être sciemment attisé, pour ensuite mieux le repousser. Peut-être jouait-elle avec lui ?
Il sentait gronder en lui de la colère. Il devait absolument se changer les idées. Il dîna et demanda à l’aubergiste une taverne où finir la soirée. Avec de la chance, il y trouverait de l’animation. La journée avait été trop terne à son goût, à l’exception de la baignade du matin.
« - Sans aucune hésitation, Le Lion Dort » répondit l’aubergiste « C’est mon frère qui tient la baraque. Allez-y de ma part, il vous fera un prix »
L’affaire était entendue.
A l’abri de sa chambre, Leene revêtit des vêtement plus appropriés. Elle avait à faire : le rapport devait parvenir à Teralon dans les plus brefs délais. Heureusement, l'Inquisition était pleine de ressources, en Akkylanie, en terres ennemies mais aussi en terres alliées. Elle savait où se rendre.
Dans une simple tunique noire, recouverte par son manteau sombre, elle sortit dans la ruelle par la fenêtre. A chaque cheville, une dague était attachée. En faisant bien attention à rester discrète et à ne pas attirer l’attention des rares passants qu’elle rencontra, elle se dirigea vers l’échoppe d’un maréchal-ferrant, à l’ouest de la ville.
Leene n’avait de Danéran qu’une connaissance limitée, et les dédales de ruelles de la partie ouest de la ville ne tardèrent pas à la désorienter. Hésitant à un carrefour, elle fut hélée par un groupe d’ivrognes qui finissaient la soirée confortablement vautrés dans le caniveau. Elle ne prêta aucune attention aux invitations avinées et aux rires suggestifs du groupe d’hommes et se remémora son dernier passage dans la cité. Son regard passa d’une rue à l’autre à la recherche de détails qui frapperaient sa mémoire. Elle finit par remarquer une statuette figurant un ange rédempteur sur la façade d’une des bâtisses, et poursuivit son chemin dans cette direction. Si ses souvenirs ne la trompaient pas, l’échoppe du forgeron se trouvait au bout de la rue.
La taverne du Lion Dort était bien plus attrayante que ne le laissait présager la triste enseigne qui en ornait la devanture. Ackyn baignait dans un univers où se mêlaient joyeusement la vapeur des boissons, la lumière des chandelles, la chaleur de l’âtre, sans compter les rires, les diverses conversations et le concert de heurts et de bruissements qui constituait l’arrière-fond sonore de l’endroit. Ce tableau était d’une bienveillante humanité, quoique moins raffinée que celle qu’Ackyn avait coutume de fréquenter.
Il observait la scène avec un certain bonheur. Cette chaleur humaine, cette vie lui faisait du bien. Il en avait été éloigné depuis bien trop longtemps. Il se rappelait maintenant pourquoi il fallait se battre à Kaïber. Pas pour l’honneur. Pas pour la gloire, non. Pour la vie. Cette petite étincelle, cette minuscule lueur qui poussait les êtres à aller de l’avant, bâtir leur avenir, échafauder leur destiné.
Ackyn contempla sa pinte de bière, un sourire effleurant ses lèvres alors que la douceur de vivre ravivait son cœur. Sa méditation fut rompue par l’arrivée d’un nouvel hôte, grand et svelte sous sa tunique grise. L’assistance marqua une pause, puis le nouveau venu rejeta son capuchon, révélant un visage fin aux yeux d’un gris-bleu lénifiant, encadré par une chevelure blonde soyeuse soigneusement peignée qui retombait élégamment sur ses épaules.
« -Que voilà une plaisante compagnie ! Me permettrez-vous de me joindre à vous, et de vous égailler au mieux ? Car nous autres elfes sommes inspirés par les étoiles, et les voilà déjà qui brillent hautes dans le ciel... »
L’elfe acheva sa phrase en sortant une harpe des profondeurs de son capuchon, provoquant un concert d’applaudissement chez les habitués et les voyageurs de passage.
L’elfe s’approcha de l’âtre, et commença à pincer les fines cordes de son instrument. La mélodie lente et cristalline emplit la taverne, stoppant net le brouhaha chaotique qui y régnait jusqu’alors. Tous observaient le baladin, et goûtaient sa musique comme l’on apprécie un vin délicat. Puis, le rythme de la mélodie s’accéléra, entraînant avec elle une cadence que tous battaient de leurs mains ou de leurs pieds. Bientôt, un violon et une vielle se joignirent avec quelques difficultés au rythme joyeux de l’elfe, produisant malgré tout une musique qui éveilla les membres des convives. Des couples se formèrent, qui ne tardèrent pas à se déhancher aux sons espiègles du violon, au bourdonnement continu de la vielle et à la mélodie cristalline de la harpe.
Ackyn observait la scène, un franc sourire aux lèvres. Même le tenancier esquissait quelques pas de danse malgré son embonpoint et la surcharge des consommations qu’il apportait aux clients.
« -Je ne sais quelle magie anime ses mains, mais sa musique fait fleurir la joie et s’épanouir les cœurs... » Pensa Ackyn en observant un couple qui discutait à voix basse. Il songea un moment à retourner au Pot Cassé pour inviter Leene, mais il redoutait la réaction de la jeune femme... Et était bien décidé à profiter au maximum de la soirée.
Leene déboucha de la sombre allée avec un soupir de soulagement. Elle avait beau faire partie des plus terribles guerriers d’Akkylannie, elle n’en préférait pas moins disposer d’un maximum de possibilités tactiques, ce qu’était loin d’offrir une ruelle longue et étroite plongée dans les ténèbres. Elle découvrit à la lueur des étoiles l’enseigne de la forge qu’elle recherchait. Malgré l’heure tardive, de la lumière filtrait de sous la porte et de l’encadrement des fenêtres. Leene s’approcha et frappa trois coups légers et un coup lourd au battant de bronze qui ornait la porte. Quelqu’un ouvrit... Mais personne ne se dressa face à elle.
« -En bas... » Fit une voix qui mêlait agacement et résignation.
Leene baissa la tête, légèrement décontenancée, et contempla le nain roux à la barbe fleurie qui lui avait ouvert.
« -Vous désirez ? » Demanda le nain dont le ton s’était fait beaucoup plus amical en découvrant la nature du visiteur.
« -Je viens pour l’épée de mon père, Nirem. »
Le nain haussa un sourcil, et fit entrer Leene dans la chaleur étouffante de l’échoppe. Il referma derrière elle, non sans avoir jeté un coup d’œil suspicieux dans la rue déserte.
« -Attendez ici. » Ordonna le nain en lui désignant un tabouret. Il se saisit d’un tuyau de cuivre qui plongeait dans le sol, et y lâcha quelques mots que Leene ne put comprendre. Puis, sans un mot de plus, il retourna à son ouvrage, un plastron qui avait dû connaître plusieurs vies, si ce n’est plusieurs porteurs.
Leene observa en connaisseur les différentes armes qui étaient mises en évidence sur les murs, délaissant les fers à cheval, casseroles et autres outils agricoles qui constituaient la plupart des travaux en cours. Elle s’approcha du râtelier d’armes et détailla le travail des gardes et des pommeaux, sous le regard amusé du nain.
« -Soyez prudente avec celles-ci, fille de Nirem. Ce ne sont pas des épées d’apparat. »
Leene fixa le nain de son regard de glace, et dégaina une lame, un sourire en coin. Elle la soupesa, la fit passer d’une main à l’autre, vérifia son équilibre en exécutant un moulinet dans le vide ; puis lui fit décrire une suite d’ellipses entrelacées qui se seraient avérées mortelles pour quiconque se serait trouvé prit à l’intérieur. Le visage du nain se mua en une expression de surprise, et il finit par oublier sa tâche pour admirer la maîtrise martiale de la jeune femme.
« -Equilibrée, maniable... Mais manquant de légèreté. Le poids du pommeau y est pour beaucoup, et pèse sur le poignet... afin de contrebalancer la longueur de la lame, n’est-ce pas ? »
« -Je vois que la fille de Nirem ne fait pas que porter les épées, elle les manie également... » Répliqua le nain, ravi.
« -Mais voilà quelqu’un qui vous conduira à celle que vous cherchez » lui dit-il en désignant du regard un homme qui venait d’émerger du sous-sol de la forge. Leene se retourna.
« -Veuillez me suivre » invita l’homme sur un ton qui tenait plus du commandement que de l’invitation.
Leene descendit les escaliers et ressentit la bienfaisante fraîcheur souterraine après la chaleur oppressante de la forge. L’homme, enveloppé dans son tablier de cuir, lui fit signe d’avancer, puis toucha quelques objets anodins parmi les étagères où s’empilaient les travaux effectués. Aussitôt, un pan de mur en brique pivota vers l’extérieur, dévoilant une salle cachée dans laquelle Leene fut priée d’entrer. Son guide la suivit, refermant le passage derrière eux... Et brandit une dague qu’il pressa sans délicatesse sur la jugulaire de la jeune femme.
« -Votre nom » questionna-t-il en Akkylanien.
« -Leene de Haven .
-Le nom de votre maître.
- Teralon.
-Le nom de votre mission, et son code.
- Animus Redemptio, code noir-blanc, rouge. »
L’homme remua silencieusement les lèvres.
« -Noir-blanc, rouge... » Finit-il par dire. « Kaïber, Lion, pour Teralon. Je suis au courant. ».
Il retira sa dague, et un sourire barra son visage.
« -Bienvenue à Danéran, Dame Leene. »
Au milieu de l’escalier, elle lança :
« - Finalement, c’est vous qui aviez raison : je préfère aussi le lit de l’auberge ! »
La remarque était acide, mais Ackyn sourit quand même. Il ignorait comment rattraper son erreur. Il ignorait même s’il avait envie de rattraper son erreur. Après tout, n’avait-elle pas elle-même provoqué ce contact ? Leene ne pouvait ignorer sa beauté. Elle l’avait peut être sciemment attisé, pour ensuite mieux le repousser. Peut-être jouait-elle avec lui ?
Il sentait gronder en lui de la colère. Il devait absolument se changer les idées. Il dîna et demanda à l’aubergiste une taverne où finir la soirée. Avec de la chance, il y trouverait de l’animation. La journée avait été trop terne à son goût, à l’exception de la baignade du matin.
« - Sans aucune hésitation, Le Lion Dort » répondit l’aubergiste « C’est mon frère qui tient la baraque. Allez-y de ma part, il vous fera un prix »
L’affaire était entendue.
A l’abri de sa chambre, Leene revêtit des vêtement plus appropriés. Elle avait à faire : le rapport devait parvenir à Teralon dans les plus brefs délais. Heureusement, l'Inquisition était pleine de ressources, en Akkylanie, en terres ennemies mais aussi en terres alliées. Elle savait où se rendre.
Dans une simple tunique noire, recouverte par son manteau sombre, elle sortit dans la ruelle par la fenêtre. A chaque cheville, une dague était attachée. En faisant bien attention à rester discrète et à ne pas attirer l’attention des rares passants qu’elle rencontra, elle se dirigea vers l’échoppe d’un maréchal-ferrant, à l’ouest de la ville.
Leene n’avait de Danéran qu’une connaissance limitée, et les dédales de ruelles de la partie ouest de la ville ne tardèrent pas à la désorienter. Hésitant à un carrefour, elle fut hélée par un groupe d’ivrognes qui finissaient la soirée confortablement vautrés dans le caniveau. Elle ne prêta aucune attention aux invitations avinées et aux rires suggestifs du groupe d’hommes et se remémora son dernier passage dans la cité. Son regard passa d’une rue à l’autre à la recherche de détails qui frapperaient sa mémoire. Elle finit par remarquer une statuette figurant un ange rédempteur sur la façade d’une des bâtisses, et poursuivit son chemin dans cette direction. Si ses souvenirs ne la trompaient pas, l’échoppe du forgeron se trouvait au bout de la rue.
La taverne du Lion Dort était bien plus attrayante que ne le laissait présager la triste enseigne qui en ornait la devanture. Ackyn baignait dans un univers où se mêlaient joyeusement la vapeur des boissons, la lumière des chandelles, la chaleur de l’âtre, sans compter les rires, les diverses conversations et le concert de heurts et de bruissements qui constituait l’arrière-fond sonore de l’endroit. Ce tableau était d’une bienveillante humanité, quoique moins raffinée que celle qu’Ackyn avait coutume de fréquenter.
Il observait la scène avec un certain bonheur. Cette chaleur humaine, cette vie lui faisait du bien. Il en avait été éloigné depuis bien trop longtemps. Il se rappelait maintenant pourquoi il fallait se battre à Kaïber. Pas pour l’honneur. Pas pour la gloire, non. Pour la vie. Cette petite étincelle, cette minuscule lueur qui poussait les êtres à aller de l’avant, bâtir leur avenir, échafauder leur destiné.
Ackyn contempla sa pinte de bière, un sourire effleurant ses lèvres alors que la douceur de vivre ravivait son cœur. Sa méditation fut rompue par l’arrivée d’un nouvel hôte, grand et svelte sous sa tunique grise. L’assistance marqua une pause, puis le nouveau venu rejeta son capuchon, révélant un visage fin aux yeux d’un gris-bleu lénifiant, encadré par une chevelure blonde soyeuse soigneusement peignée qui retombait élégamment sur ses épaules.
« -Que voilà une plaisante compagnie ! Me permettrez-vous de me joindre à vous, et de vous égailler au mieux ? Car nous autres elfes sommes inspirés par les étoiles, et les voilà déjà qui brillent hautes dans le ciel... »
L’elfe acheva sa phrase en sortant une harpe des profondeurs de son capuchon, provoquant un concert d’applaudissement chez les habitués et les voyageurs de passage.
L’elfe s’approcha de l’âtre, et commença à pincer les fines cordes de son instrument. La mélodie lente et cristalline emplit la taverne, stoppant net le brouhaha chaotique qui y régnait jusqu’alors. Tous observaient le baladin, et goûtaient sa musique comme l’on apprécie un vin délicat. Puis, le rythme de la mélodie s’accéléra, entraînant avec elle une cadence que tous battaient de leurs mains ou de leurs pieds. Bientôt, un violon et une vielle se joignirent avec quelques difficultés au rythme joyeux de l’elfe, produisant malgré tout une musique qui éveilla les membres des convives. Des couples se formèrent, qui ne tardèrent pas à se déhancher aux sons espiègles du violon, au bourdonnement continu de la vielle et à la mélodie cristalline de la harpe.
Ackyn observait la scène, un franc sourire aux lèvres. Même le tenancier esquissait quelques pas de danse malgré son embonpoint et la surcharge des consommations qu’il apportait aux clients.
« -Je ne sais quelle magie anime ses mains, mais sa musique fait fleurir la joie et s’épanouir les cœurs... » Pensa Ackyn en observant un couple qui discutait à voix basse. Il songea un moment à retourner au Pot Cassé pour inviter Leene, mais il redoutait la réaction de la jeune femme... Et était bien décidé à profiter au maximum de la soirée.
Leene déboucha de la sombre allée avec un soupir de soulagement. Elle avait beau faire partie des plus terribles guerriers d’Akkylannie, elle n’en préférait pas moins disposer d’un maximum de possibilités tactiques, ce qu’était loin d’offrir une ruelle longue et étroite plongée dans les ténèbres. Elle découvrit à la lueur des étoiles l’enseigne de la forge qu’elle recherchait. Malgré l’heure tardive, de la lumière filtrait de sous la porte et de l’encadrement des fenêtres. Leene s’approcha et frappa trois coups légers et un coup lourd au battant de bronze qui ornait la porte. Quelqu’un ouvrit... Mais personne ne se dressa face à elle.
« -En bas... » Fit une voix qui mêlait agacement et résignation.
Leene baissa la tête, légèrement décontenancée, et contempla le nain roux à la barbe fleurie qui lui avait ouvert.
« -Vous désirez ? » Demanda le nain dont le ton s’était fait beaucoup plus amical en découvrant la nature du visiteur.
« -Je viens pour l’épée de mon père, Nirem. »
Le nain haussa un sourcil, et fit entrer Leene dans la chaleur étouffante de l’échoppe. Il referma derrière elle, non sans avoir jeté un coup d’œil suspicieux dans la rue déserte.
« -Attendez ici. » Ordonna le nain en lui désignant un tabouret. Il se saisit d’un tuyau de cuivre qui plongeait dans le sol, et y lâcha quelques mots que Leene ne put comprendre. Puis, sans un mot de plus, il retourna à son ouvrage, un plastron qui avait dû connaître plusieurs vies, si ce n’est plusieurs porteurs.
Leene observa en connaisseur les différentes armes qui étaient mises en évidence sur les murs, délaissant les fers à cheval, casseroles et autres outils agricoles qui constituaient la plupart des travaux en cours. Elle s’approcha du râtelier d’armes et détailla le travail des gardes et des pommeaux, sous le regard amusé du nain.
« -Soyez prudente avec celles-ci, fille de Nirem. Ce ne sont pas des épées d’apparat. »
Leene fixa le nain de son regard de glace, et dégaina une lame, un sourire en coin. Elle la soupesa, la fit passer d’une main à l’autre, vérifia son équilibre en exécutant un moulinet dans le vide ; puis lui fit décrire une suite d’ellipses entrelacées qui se seraient avérées mortelles pour quiconque se serait trouvé prit à l’intérieur. Le visage du nain se mua en une expression de surprise, et il finit par oublier sa tâche pour admirer la maîtrise martiale de la jeune femme.
« -Equilibrée, maniable... Mais manquant de légèreté. Le poids du pommeau y est pour beaucoup, et pèse sur le poignet... afin de contrebalancer la longueur de la lame, n’est-ce pas ? »
« -Je vois que la fille de Nirem ne fait pas que porter les épées, elle les manie également... » Répliqua le nain, ravi.
« -Mais voilà quelqu’un qui vous conduira à celle que vous cherchez » lui dit-il en désignant du regard un homme qui venait d’émerger du sous-sol de la forge. Leene se retourna.
« -Veuillez me suivre » invita l’homme sur un ton qui tenait plus du commandement que de l’invitation.
Leene descendit les escaliers et ressentit la bienfaisante fraîcheur souterraine après la chaleur oppressante de la forge. L’homme, enveloppé dans son tablier de cuir, lui fit signe d’avancer, puis toucha quelques objets anodins parmi les étagères où s’empilaient les travaux effectués. Aussitôt, un pan de mur en brique pivota vers l’extérieur, dévoilant une salle cachée dans laquelle Leene fut priée d’entrer. Son guide la suivit, refermant le passage derrière eux... Et brandit une dague qu’il pressa sans délicatesse sur la jugulaire de la jeune femme.
« -Votre nom » questionna-t-il en Akkylanien.
« -Leene de Haven .
-Le nom de votre maître.
- Teralon.
-Le nom de votre mission, et son code.
- Animus Redemptio, code noir-blanc, rouge. »
L’homme remua silencieusement les lèvres.
« -Noir-blanc, rouge... » Finit-il par dire. « Kaïber, Lion, pour Teralon. Je suis au courant. ».
Il retira sa dague, et un sourire barra son visage.
« -Bienvenue à Danéran, Dame Leene. »
popolman- Ermite crabe
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Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
La fête battait son plein au Lion Dort. La musique de l’elfe comblait l’assistance et dissipait les ombres dans l’esprit d’Ackyn. Puis, sans crier gare, l’elfe s’arrêta. Les musiciens qui l’accompagnaient l’imitèrent quelques secondes plus tard, posant sur lui des regards interrogateurs. La taverne se figea dans un silence attentif. Le baladin redressa la tête et détailla les hôtes d’un regard doux-amer.
« -Mais la vie... La vie n’est pas que joie, chants et danses. La vie peut se faire froide et cassante comme la glace, là où elle n’était que douceur et chaleur, comme ce feu qui crépite dans l’âtre. La vie peut-être amère et cruelle, là où elle n’était que miel et éther des rêves... »
Les danseurs se rassirent, soudain mélancoliques et songeurs, alors que l’elfe tirait de sa harpe une nouvelle mélopée cristalline dont les sonorités reflétaient la tristesse de ses propos.
« -Ecoutez... La complainte à Linelaeth... Ecrite il y a bien longtemps, avant que les Ténèbres ne se déversent sur le monde... Elle chante l’amour, l’amour perdu, que l’on craint de ne jamais ressentir à nouveau. Ecoutez... Car ceci aussi est la vie. »
L’elfe joint sa voix à la mélodie de la harpe, manipulant des mots aux accents inconnus de l’assistance mais qui se mêlaient délicatement aux sons de la harpe, produisant un air aux rythmes lents et mélancoliques. Ackyn, qui avait appris les bases du Cynwäll à Kaïber, en comprit certaines paroles :
« Que ceux qui croient connaître la douleur,
S’agenouillent et écoutent.
Que ceux qui, de la vie, ont perdu tout bonheur,
S’asseyent et écoutent.
Blanche et fine était-elle,
Comme un lys du lac Asnël.
De vert était son corsage, courant dans l’orge,
Et l’or parait son visage, tombant sur sa gorge.
L’or cascada dans mes mains...
Le vert tomba de ses reins...
Sa blancheur, elle l’offrit, tremblante,
A mes mains, pourtant innocentes.
Mais or, vert, blanc, j’ai tout perdu.
Car lorsque le crépuscule apparût
La Mort vint me la prendre
De mon cœur, encore tendre.
Linelaeth, Linelaeth, mon amour, me reviendras-tu ?
Mais dans un triste regard, à jamais elle s’est tue...
Que les Ténèbres me craignent, car ils m’ont pris celle que j’aimais,
Que les Ténèbres me craignent, car jamais je ne cèderais.
Linelaeth, Linelaeth, je t’ai perdu...
Linelaeth, Linelaeth, tu ne reviendras plus... »
L’elfe finit la complainte sur un crescendo complexe qui se répercuta longtemps dans la taverne. Le tenancier, les larmes aux yeux, rompit le silence :
« -Voilà un air par ma foi beau et triste. Et je ne saurais dire s’il est plus beau que triste. Pardon, voilà que j’en bredouille comme un sot. Merci pour votre musique, Maître Elfe. »
Le tavernier salua le baladin jusqu’à terre, qui le gratifia en retour d’un salut étrange, touchant son front de la paume de sa main mi-close.
L’activité reprit peu à peu dans la taverne, comme si l’intervention bonhomme du tenancier avait rompu le charme. L’elfe se leva, rangea sa harpe, commanda un verre au tavernier qui le lui offrit de bon cœur, et se dirigea vers Ackyn.
« -Voudriez-vous partager votre table avec un baladin fatigué ? » Demanda l’Elfe.
« -Bien sûr, installez-vous ! » Répondit Ackyn ravis de pouvoir échanger quelques mots avec ce magicien des harmoniques. L’elfe s’attabla et but une gorgée tout en observant Ackyn.
« -Votre musique est sublime. Elle touche les âmes des gens. »
L’elfe hocha la tête et sourit en coin.
« -Et elle a eu un effet particulier sur la votre, n’est-ce pas ? »
Le sourire de l’elfe s’élargit alors qu’Ackyn détournait le regard.
« -Votre trouble doit être bien grand pour que la Complainte à Linelaeth vous touche à ce point. »
Ackyn ne put s’empêcher de regarder l’elfe avec surprise.
« -Vous êtes le seul à vous être réfugié dans votre esprit à l’écoute de cette chanson. Les autres écoutaient, s’embrassaient... Vous, vous rêviez. »
Ackyn hocha la tête.
« -Oui... Il y a... Certaines choses que je devrais oublier... Mais j’en suis incapable. »
L’elfe s’installa plus confortablement. Son regard se perdit dans les profondeurs de la taverne.
« -Les blessures au cœur sont les plus terribles de toutes. Mais elles font partie de la vie. Que serait le bonheur, si l’on ne connaissait le malheur ? Si chaque chose a son contraire, c’est pour mieux en goûter la plénitude. »
Il se retourna vers Ackyn.
« -Aussi, je vous donne ce conseil, qui en vaut un autre : vivez. Ne vous attardez pas sur ce qui pourrait être, ou aurait put être. La vie est bien trop précieuse pour qu’on la passe à dépérir en songeant aux opportunités manquées. »
Ackyn soupira.
« -Vous avez sans doute raison. Je devrais profiter de cette permission au mieux. »
L’elfe haussa un sourcil.
« -Vous êtes un soldat ? » Son visage s’éclaira. « Un glorieux combattant de la lumière ?! » Il se leva, aux anges. « Sûrement un chevalier ! Voilà qui serait pour moi un sujet de balade ! »
L’elfe se tourna vers le tavernier.
« -Des feuilles ! Une plume ! De l’encre ! L’inspiration m’envoie une nouvelle muse ! »
Fixant Ackyn, il rajouta d’un ton enjoué :
« -Je veux tout savoir ! Les batailles ! Vos actions d’éclat ! Ca y est, je peux vous voir dans votre armure, chevauchant vers votre destinée ! »
L’elfe semblait transporté. Ackyn, riant, était trop surpris pour rejeter la demande du baladin, et le contenta de son histoire dès que celui-ci fut pourvu en papier.
Il ne fallut qu’une fraction de seconde à Leene pour retrouver son calme habituel.
« -Bonsoir, frère templier. »
L’homme salua sa supérieure hiérarchique sans réticences.
« -Quels sont vos ordres, Inquisitrice ? »
Elle lui tendit la lettre.
« -Ceci doit parvenir à mon maître dans les plus brefs délais. Je pars pour Kalienne demain. Faites-moi connaître sa réponse. »
« -Ce sera fait... Vous faut-il autre chose ? Vivres ? Moyen de transport ? »
Leene réfléchit un moment.
« -Y-a-t-il des caravanes pour Kalienne ? »
« -Certainement, madame. La prochaine part demain, dans la matinée. Quant à vos armes, j’ai reçu des consignes spéciales de votre maître. »
Il entraîna la jeune femme intriguée entre différents râteliers d’armes et s’arrêta devant l’un d’eux.
« -La voilà. » Fit le templier en lui désignant une lame.
Leene reconnut sa lame de châtiment. Elle la dégaina en un éclair. Un merveilleux travail d’équilibre, de légèreté. Elle en éprouva la rassurante lourdeur et caressa des yeux la garde et les glyphes incandescents qui ornaient la base de la lame. Elle était tout pour elle. Le symbole de sa charge, le rappel des sacrifices et des épreuves qu’elle avait dut endurer. Sa vie entière se concentrait dans cette longueur de métal que Teralon avait fait travailler spécialement pour elle. Plus qu’une arme, sa lame était un prolongement de son être. Elle l’apposa sur son front. Les runes s’illuminèrent, réagissant à cette retrouvaille tant attendue.
« -Pas encore... » Murmura-t-elle.
Le forgeron hocha la tête devant cet étrange spectacle.
« -Votre armure nous est parvenue. Je la graissais, justement. Mais votre maître vous a également fait don de ceci. »
Il lui tendit un coffret de bois simple. Leene l’ouvrit, et découvrit à l’intérieure une gemme de feu qui irradiait d’une douce lumière orangée. Avec elle, un mot de Teralon griffonné à la hâte.
« Faites-en bon usage. N’oubliez pas que la discrétion vous est nécessaire. J’ai foi en vous.
Merin vous garde, ma jeune apprentie. »
Elle ferma les yeux et adressa une prière muette à Teralon. Son maître avait en elle une confiance absolue. Elle ne le décevrait pas.
« -Je vais faire préparer vos affaires pour qu’elles vous suivent jusqu’à Kalienne. L’un des notre s’y rend justement par la caravane de demain. »
Leene rangea la gemme dans les profondeurs de son vêtement, brûla le papier dans l’âtre de la forge et prit congé du templier et du nain. Elle fit le chemin en sens inverse. Descendant la ruelle sombre qui l’avait conduite jusqu’à la forge, elle tomba sur le groupe d’ivrognes croisés à l’allée. A son approche, trois d’entre eux se levèrent et lui barrèrent la route sans mots dire.
« Tiens donc », songea-t-elle « cela m’aurait étonné. Pauvres imbéciles... »
Quelque chose l’avertit cependant. Ce silence. Ces hommes ne parlaient pas. Ne riaient pas. Ils titubaient, mais non pas sous l’emprise de l’alcool. Un rayon d’Yllia qui filtrait d’entre les toits rapprochés lui dévoila le visage des hommes. Elle retint une grimace d’horreur. L’un d’eux avait visiblement eu la gorge tranchée durant son sommeil. Son sang recouvrait son torse, mais son visage semblait paisiblement endormi. Ce n’était pas le cas des deux autres, dont les traits crispés dans des masques de souffrances reflétaient la détresse de qui demande pitié, et reçoit la mort.
« -Les malheureux... » Songea-t-elle tout en se penchant et dégainant les poignards attachés à ses chevilles.
Tenter de passer en force. Voilà ce qu’elle avait à l’esprit. Se frayer un chemin entre les morts vivants, et les distancer à la course. Elle n’avait pas les armes pour détruire ces créatures, et puiser dans les réserves de sa gemme aurait été un gâchis. Prenant de la vitesse, elle chargea les trois non-morts, tailladant les chairs mortes de ses deux armes, et se faufila entre ceux qui lui faisaient directement face. Elle courut pour leur échapper... Mais à peine les avait-elle dépassés que quatre autres morts se relevaient, lui barrant la route. Elle se retourna. Les trois zombis revenaient sur elle, lui barrant la route. Prise au piège. Serrant les dents de rage, elle se retourna nerveusement, et chercha un moyen de s’échapper. Les murs se dressaient devant elle comme d’insurmontables remparts. Mais le mortier était friable entre les pierres espacées. Retournant les poignards dans ses mains, elle entama l’escalade alors que les zombies se massaient sous elle dans un concert de plaintes et de murmures étouffés. Grognant sous l’effort, ses muscles jouant sous sa peau pâle, elle atteint le sommet du toit, haletante, et reprit sa respiration tout en regardant d’en haut la meute qui la fixait de ses yeux vides.
Elle rejeta sa tête en arrière et emplie ses poumons à la fraîcheur nocturne. Crissement de tuiles sur sa droite. Elle se retourna dans cette direction, ramassée sur elle-même, prête à bondir.
« -Une prouesse qui témoigne de votre valeur, jeune femme... » Souffla une voix étouffée mais parfaitement audible dans la nuit silencieuse. Leene leva les yeux sur une forme massive drapée de noir d’où émergeait un crâne grimaçant pourvue de cornes imposantes.
« -Tu n’es pas au bout de tes surprises, démon. » Répliqua-t-elle sur un ton glacial, altéré par l’effort. Elle pointa ses dagues en avant. Le sombre guerrier repoussa un pan de son manteau, dévoilant une lourde armure ornementée de façon baroque. Il se saisit d’une masse d’arme, délaissant l’épée qui pendait dans son dos.
« -Je crains que le combat ne soit pas des plus égal... » Chuchota le guerrier Crâne en gratifiant son adversaire d’un salut martial.
Leene fonça sur lui. Elle devait profiter de sa vivacité et de son agilité au maximum si elle voulait avoir une chance contre le chevalier noir qui se dressait, menaçant, devant elle. Sa rapidité surprit son adversaire qui donna un coup de masse dans le vide. Leene frappa au passage de ses deux lames le flanc découvert de son adversaire, mais le coup ricocha sans effet sur l’armure. Le Crâne se retourna, pour recevoir un coup de pied tendu en plein dans le masque, et recula d’un pas sous le choc. Leene ne lui laissa pas le temps de se remettre, et lui en décocha un autre dans le thorax. Le coup s’avéra inefficace contre le plastron d’acier noir, et le Crâne saisit au passage son pied dans son gantelet de jais. D’un simple mouvement du bras, il projeta Leene qui atterrit lourdement dans un craquement de tuiles brisées. Le Crâne remis son masque morbide d’aplomb et s’approcha d’un pas pesant vers elle, les rayons de l’astre lunaire soulignant la blancheur d’os du casque.
Leene se lova, grimaçant de douleur. Elle entendit le chevalier noir approcher et lança l’une de ses dagues au jugé. La lame vola et s’enfonça dans un bruit métallique sous l’épaulière gauche de son adversaire. Il se saisit du coutelas et l’arracha dans un grognement, puis le lança à son expéditrice. Le projectile s’enfonça en vibrant dans le mortier de la cheminée à quelques centimètres du visage de Leene. Elle dégagea sa lame et se prépara à recevoir la charge du sombre personnage. Celle-ci ne tarda pas à venir, et le Crâne démontra de nouveau sa puissance titanesque en brisant la cheminée de briques derrière laquelle elle se dissimulait. Leene sauta et roula sur elle-même alors qu’une pluie de débris criblait son ancienne position.
Aucune chance. Elle n’avait aucune chance.
Le Crâne était déjà sur elle, faisant tournoyer son arme au-dessus de sa tête. Leene esquiva tandis que le chevalier, emporté par son élan, dérapait sur les tuiles. Alors qu’il se stabilisait à deux pas du gouffre, elle prit son élan, sauta, et le percuta, les deux pieds en avant. Le sombre seigneur chuta dans le vide, s’écrasant dans la rue dans un craquement sinistre... Silence... Sous le regard de Leene, le Crâne se releva difficilement, secouant la tête pour en chasser les débris drainés dans sa chute. Il finit par se redresser complètement et la dévisagea sous son masque fendillé.
« -J’attends notre prochaine rencontre avec impatience... Guerrière. »
« J’y ais au moins gagné son respect », songea-t-elle, haletante, alors que le sombre chevalier disparaissait dans l’ombre, rompant le charme qui envoûtait le corps de ses précédentes victimes. Leene redescendit et rejoins le Pot Cassé aussi vite que le permettaient ses contusions.
« -Mais la vie... La vie n’est pas que joie, chants et danses. La vie peut se faire froide et cassante comme la glace, là où elle n’était que douceur et chaleur, comme ce feu qui crépite dans l’âtre. La vie peut-être amère et cruelle, là où elle n’était que miel et éther des rêves... »
Les danseurs se rassirent, soudain mélancoliques et songeurs, alors que l’elfe tirait de sa harpe une nouvelle mélopée cristalline dont les sonorités reflétaient la tristesse de ses propos.
« -Ecoutez... La complainte à Linelaeth... Ecrite il y a bien longtemps, avant que les Ténèbres ne se déversent sur le monde... Elle chante l’amour, l’amour perdu, que l’on craint de ne jamais ressentir à nouveau. Ecoutez... Car ceci aussi est la vie. »
L’elfe joint sa voix à la mélodie de la harpe, manipulant des mots aux accents inconnus de l’assistance mais qui se mêlaient délicatement aux sons de la harpe, produisant un air aux rythmes lents et mélancoliques. Ackyn, qui avait appris les bases du Cynwäll à Kaïber, en comprit certaines paroles :
« Que ceux qui croient connaître la douleur,
S’agenouillent et écoutent.
Que ceux qui, de la vie, ont perdu tout bonheur,
S’asseyent et écoutent.
Blanche et fine était-elle,
Comme un lys du lac Asnël.
De vert était son corsage, courant dans l’orge,
Et l’or parait son visage, tombant sur sa gorge.
L’or cascada dans mes mains...
Le vert tomba de ses reins...
Sa blancheur, elle l’offrit, tremblante,
A mes mains, pourtant innocentes.
Mais or, vert, blanc, j’ai tout perdu.
Car lorsque le crépuscule apparût
La Mort vint me la prendre
De mon cœur, encore tendre.
Linelaeth, Linelaeth, mon amour, me reviendras-tu ?
Mais dans un triste regard, à jamais elle s’est tue...
Que les Ténèbres me craignent, car ils m’ont pris celle que j’aimais,
Que les Ténèbres me craignent, car jamais je ne cèderais.
Linelaeth, Linelaeth, je t’ai perdu...
Linelaeth, Linelaeth, tu ne reviendras plus... »
L’elfe finit la complainte sur un crescendo complexe qui se répercuta longtemps dans la taverne. Le tenancier, les larmes aux yeux, rompit le silence :
« -Voilà un air par ma foi beau et triste. Et je ne saurais dire s’il est plus beau que triste. Pardon, voilà que j’en bredouille comme un sot. Merci pour votre musique, Maître Elfe. »
Le tavernier salua le baladin jusqu’à terre, qui le gratifia en retour d’un salut étrange, touchant son front de la paume de sa main mi-close.
L’activité reprit peu à peu dans la taverne, comme si l’intervention bonhomme du tenancier avait rompu le charme. L’elfe se leva, rangea sa harpe, commanda un verre au tavernier qui le lui offrit de bon cœur, et se dirigea vers Ackyn.
« -Voudriez-vous partager votre table avec un baladin fatigué ? » Demanda l’Elfe.
« -Bien sûr, installez-vous ! » Répondit Ackyn ravis de pouvoir échanger quelques mots avec ce magicien des harmoniques. L’elfe s’attabla et but une gorgée tout en observant Ackyn.
« -Votre musique est sublime. Elle touche les âmes des gens. »
L’elfe hocha la tête et sourit en coin.
« -Et elle a eu un effet particulier sur la votre, n’est-ce pas ? »
Le sourire de l’elfe s’élargit alors qu’Ackyn détournait le regard.
« -Votre trouble doit être bien grand pour que la Complainte à Linelaeth vous touche à ce point. »
Ackyn ne put s’empêcher de regarder l’elfe avec surprise.
« -Vous êtes le seul à vous être réfugié dans votre esprit à l’écoute de cette chanson. Les autres écoutaient, s’embrassaient... Vous, vous rêviez. »
Ackyn hocha la tête.
« -Oui... Il y a... Certaines choses que je devrais oublier... Mais j’en suis incapable. »
L’elfe s’installa plus confortablement. Son regard se perdit dans les profondeurs de la taverne.
« -Les blessures au cœur sont les plus terribles de toutes. Mais elles font partie de la vie. Que serait le bonheur, si l’on ne connaissait le malheur ? Si chaque chose a son contraire, c’est pour mieux en goûter la plénitude. »
Il se retourna vers Ackyn.
« -Aussi, je vous donne ce conseil, qui en vaut un autre : vivez. Ne vous attardez pas sur ce qui pourrait être, ou aurait put être. La vie est bien trop précieuse pour qu’on la passe à dépérir en songeant aux opportunités manquées. »
Ackyn soupira.
« -Vous avez sans doute raison. Je devrais profiter de cette permission au mieux. »
L’elfe haussa un sourcil.
« -Vous êtes un soldat ? » Son visage s’éclaira. « Un glorieux combattant de la lumière ?! » Il se leva, aux anges. « Sûrement un chevalier ! Voilà qui serait pour moi un sujet de balade ! »
L’elfe se tourna vers le tavernier.
« -Des feuilles ! Une plume ! De l’encre ! L’inspiration m’envoie une nouvelle muse ! »
Fixant Ackyn, il rajouta d’un ton enjoué :
« -Je veux tout savoir ! Les batailles ! Vos actions d’éclat ! Ca y est, je peux vous voir dans votre armure, chevauchant vers votre destinée ! »
L’elfe semblait transporté. Ackyn, riant, était trop surpris pour rejeter la demande du baladin, et le contenta de son histoire dès que celui-ci fut pourvu en papier.
Il ne fallut qu’une fraction de seconde à Leene pour retrouver son calme habituel.
« -Bonsoir, frère templier. »
L’homme salua sa supérieure hiérarchique sans réticences.
« -Quels sont vos ordres, Inquisitrice ? »
Elle lui tendit la lettre.
« -Ceci doit parvenir à mon maître dans les plus brefs délais. Je pars pour Kalienne demain. Faites-moi connaître sa réponse. »
« -Ce sera fait... Vous faut-il autre chose ? Vivres ? Moyen de transport ? »
Leene réfléchit un moment.
« -Y-a-t-il des caravanes pour Kalienne ? »
« -Certainement, madame. La prochaine part demain, dans la matinée. Quant à vos armes, j’ai reçu des consignes spéciales de votre maître. »
Il entraîna la jeune femme intriguée entre différents râteliers d’armes et s’arrêta devant l’un d’eux.
« -La voilà. » Fit le templier en lui désignant une lame.
Leene reconnut sa lame de châtiment. Elle la dégaina en un éclair. Un merveilleux travail d’équilibre, de légèreté. Elle en éprouva la rassurante lourdeur et caressa des yeux la garde et les glyphes incandescents qui ornaient la base de la lame. Elle était tout pour elle. Le symbole de sa charge, le rappel des sacrifices et des épreuves qu’elle avait dut endurer. Sa vie entière se concentrait dans cette longueur de métal que Teralon avait fait travailler spécialement pour elle. Plus qu’une arme, sa lame était un prolongement de son être. Elle l’apposa sur son front. Les runes s’illuminèrent, réagissant à cette retrouvaille tant attendue.
« -Pas encore... » Murmura-t-elle.
Le forgeron hocha la tête devant cet étrange spectacle.
« -Votre armure nous est parvenue. Je la graissais, justement. Mais votre maître vous a également fait don de ceci. »
Il lui tendit un coffret de bois simple. Leene l’ouvrit, et découvrit à l’intérieure une gemme de feu qui irradiait d’une douce lumière orangée. Avec elle, un mot de Teralon griffonné à la hâte.
« Faites-en bon usage. N’oubliez pas que la discrétion vous est nécessaire. J’ai foi en vous.
Merin vous garde, ma jeune apprentie. »
Elle ferma les yeux et adressa une prière muette à Teralon. Son maître avait en elle une confiance absolue. Elle ne le décevrait pas.
« -Je vais faire préparer vos affaires pour qu’elles vous suivent jusqu’à Kalienne. L’un des notre s’y rend justement par la caravane de demain. »
Leene rangea la gemme dans les profondeurs de son vêtement, brûla le papier dans l’âtre de la forge et prit congé du templier et du nain. Elle fit le chemin en sens inverse. Descendant la ruelle sombre qui l’avait conduite jusqu’à la forge, elle tomba sur le groupe d’ivrognes croisés à l’allée. A son approche, trois d’entre eux se levèrent et lui barrèrent la route sans mots dire.
« Tiens donc », songea-t-elle « cela m’aurait étonné. Pauvres imbéciles... »
Quelque chose l’avertit cependant. Ce silence. Ces hommes ne parlaient pas. Ne riaient pas. Ils titubaient, mais non pas sous l’emprise de l’alcool. Un rayon d’Yllia qui filtrait d’entre les toits rapprochés lui dévoila le visage des hommes. Elle retint une grimace d’horreur. L’un d’eux avait visiblement eu la gorge tranchée durant son sommeil. Son sang recouvrait son torse, mais son visage semblait paisiblement endormi. Ce n’était pas le cas des deux autres, dont les traits crispés dans des masques de souffrances reflétaient la détresse de qui demande pitié, et reçoit la mort.
« -Les malheureux... » Songea-t-elle tout en se penchant et dégainant les poignards attachés à ses chevilles.
Tenter de passer en force. Voilà ce qu’elle avait à l’esprit. Se frayer un chemin entre les morts vivants, et les distancer à la course. Elle n’avait pas les armes pour détruire ces créatures, et puiser dans les réserves de sa gemme aurait été un gâchis. Prenant de la vitesse, elle chargea les trois non-morts, tailladant les chairs mortes de ses deux armes, et se faufila entre ceux qui lui faisaient directement face. Elle courut pour leur échapper... Mais à peine les avait-elle dépassés que quatre autres morts se relevaient, lui barrant la route. Elle se retourna. Les trois zombis revenaient sur elle, lui barrant la route. Prise au piège. Serrant les dents de rage, elle se retourna nerveusement, et chercha un moyen de s’échapper. Les murs se dressaient devant elle comme d’insurmontables remparts. Mais le mortier était friable entre les pierres espacées. Retournant les poignards dans ses mains, elle entama l’escalade alors que les zombies se massaient sous elle dans un concert de plaintes et de murmures étouffés. Grognant sous l’effort, ses muscles jouant sous sa peau pâle, elle atteint le sommet du toit, haletante, et reprit sa respiration tout en regardant d’en haut la meute qui la fixait de ses yeux vides.
Elle rejeta sa tête en arrière et emplie ses poumons à la fraîcheur nocturne. Crissement de tuiles sur sa droite. Elle se retourna dans cette direction, ramassée sur elle-même, prête à bondir.
« -Une prouesse qui témoigne de votre valeur, jeune femme... » Souffla une voix étouffée mais parfaitement audible dans la nuit silencieuse. Leene leva les yeux sur une forme massive drapée de noir d’où émergeait un crâne grimaçant pourvue de cornes imposantes.
« -Tu n’es pas au bout de tes surprises, démon. » Répliqua-t-elle sur un ton glacial, altéré par l’effort. Elle pointa ses dagues en avant. Le sombre guerrier repoussa un pan de son manteau, dévoilant une lourde armure ornementée de façon baroque. Il se saisit d’une masse d’arme, délaissant l’épée qui pendait dans son dos.
« -Je crains que le combat ne soit pas des plus égal... » Chuchota le guerrier Crâne en gratifiant son adversaire d’un salut martial.
Leene fonça sur lui. Elle devait profiter de sa vivacité et de son agilité au maximum si elle voulait avoir une chance contre le chevalier noir qui se dressait, menaçant, devant elle. Sa rapidité surprit son adversaire qui donna un coup de masse dans le vide. Leene frappa au passage de ses deux lames le flanc découvert de son adversaire, mais le coup ricocha sans effet sur l’armure. Le Crâne se retourna, pour recevoir un coup de pied tendu en plein dans le masque, et recula d’un pas sous le choc. Leene ne lui laissa pas le temps de se remettre, et lui en décocha un autre dans le thorax. Le coup s’avéra inefficace contre le plastron d’acier noir, et le Crâne saisit au passage son pied dans son gantelet de jais. D’un simple mouvement du bras, il projeta Leene qui atterrit lourdement dans un craquement de tuiles brisées. Le Crâne remis son masque morbide d’aplomb et s’approcha d’un pas pesant vers elle, les rayons de l’astre lunaire soulignant la blancheur d’os du casque.
Leene se lova, grimaçant de douleur. Elle entendit le chevalier noir approcher et lança l’une de ses dagues au jugé. La lame vola et s’enfonça dans un bruit métallique sous l’épaulière gauche de son adversaire. Il se saisit du coutelas et l’arracha dans un grognement, puis le lança à son expéditrice. Le projectile s’enfonça en vibrant dans le mortier de la cheminée à quelques centimètres du visage de Leene. Elle dégagea sa lame et se prépara à recevoir la charge du sombre personnage. Celle-ci ne tarda pas à venir, et le Crâne démontra de nouveau sa puissance titanesque en brisant la cheminée de briques derrière laquelle elle se dissimulait. Leene sauta et roula sur elle-même alors qu’une pluie de débris criblait son ancienne position.
Aucune chance. Elle n’avait aucune chance.
Le Crâne était déjà sur elle, faisant tournoyer son arme au-dessus de sa tête. Leene esquiva tandis que le chevalier, emporté par son élan, dérapait sur les tuiles. Alors qu’il se stabilisait à deux pas du gouffre, elle prit son élan, sauta, et le percuta, les deux pieds en avant. Le sombre seigneur chuta dans le vide, s’écrasant dans la rue dans un craquement sinistre... Silence... Sous le regard de Leene, le Crâne se releva difficilement, secouant la tête pour en chasser les débris drainés dans sa chute. Il finit par se redresser complètement et la dévisagea sous son masque fendillé.
« -J’attends notre prochaine rencontre avec impatience... Guerrière. »
« J’y ais au moins gagné son respect », songea-t-elle, haletante, alors que le sombre chevalier disparaissait dans l’ombre, rompant le charme qui envoûtait le corps de ses précédentes victimes. Leene redescendit et rejoins le Pot Cassé aussi vite que le permettaient ses contusions.
popolman- Ermite crabe
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Re: La Fin de l'Innocence
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De bonne famille, ce garnement
Fit les cent coups et pis encore
Puis arrivé à l’âge d’or
Se tourna vers les armements
Puisqu’il était De Madinân
Il fut Chevalier dès alors
Et prit la route vers le Fort
D’où sont chassés les Mort-Vivants
Là il prouva en peu de temps
Que son courage était fait d’ors
Et sa bravoure meilleure encore
Capitaine il fut fait céans
>>
« - Voilà un bon début. Cela va être une grande ballade ! Je parlerais bien sûr des nombreux faits d’armes que vous m’avez conté, de votre quête de victoires, et glisserais ça et là l’événement qui vous préoccupe tant, vous rend si sensible à la complainte à Linelaeth. » L’Elfe était volubile.
Sa gaieté était communicative et il amusait Ackyn. D’autant qu’être le sujet principal d’une éventuelle saga cynwäll n’était pas pour lui déplaire. Pour autant, il était encore réticent à lui confier tout ce qu’il avait sur le cœur, et il espérait ne pas avoir à lui parler de ses sentiments plus récents. Ils terniraient trop le ton de la ballade, pensait-il avec amertume.
« - Mais rien n’est figé, tout peut changer, vous savez ! » l’Elfe fixait le Chevalier. Le ton était léger, mais le regard s’était fait insistant, interrogateur. Cela tira Ackyn de ses pensées.
« - Que voulez vous dire ? Je ne vous comprends pas… »
Ackyn fixait également, gêné, l’étrange ménestrel. Il avait entendu parler de gens qui pouvaient lire dans les pensées, mais il ne savait pas si ce don était répandu chez les Elfes.
« - Je veux simplement dire que si une tournure quelconque ne vous plait pas, vous pouvez la changer… Je veux dire, je peux la réécrire…
- Ah ! Oui, bien sûr ! Mais pour l’instant, cela me va, c’est très bien.
- Etes-vous sûr, Chevalier ? »
Le regard s’était encore durci. La gêne grandissait chez Ackyn.
« - Oui…
- Parfait alors. N’en parlons plus pour l’instant ! » Et l’Elfe partit d’un rire franc.
Quand l’ambiance fut à nouveau à la plaisanterie, Ackyn vida sa chope. Il s’excusa auprès de la compagnie. L’Elfe le rattrapa sur le pas de la porte. Le noble Barhan étant le sujet de son chef d’œuvre, il était indispensable qu’il le suive. Ceci permettrait d’apporter une conclusion précise, et de soumettre le poème à la critique du héros.
« - Soit. Je suis au Pot Cassé. Nous partons demain assez tôt pour Kalienne. Retrouvez-nous y !
- ‘Nous’ ?
- C’est assez compliqué, elle vous racontera elle-même.
- Ah ! ‘Elle’ ?
- Je suis fatigué, messire Elfe. Bonne nuit !
- Bonne nuit, Chevalier ! A demain ! »
Ennuyé de rentrer seul, Ackyn se consolait en pensant qu’il avait trouvé un compagnon sympathique pour la fin du voyage. Avec lui, l’ambiance serait sans doute plus détendue.
De toute façon, il avait réellement besoin de repos.
Leene ne fut pas fâchée d’atteindre sa chambre sans autre rencontre. Elle referma la fenêtre qui grinça dans la nuit. Son côté meurtri par le combat la lançait, et elle s’efforça de faire un onguent et un bandage les plus efficaces et les plus discrets possible. Nul ne devait pouvoir imaginer qu’elle avait couru sur les toits de la ville cette nuit. Le reste des blessures était plus superficiel, et elle avait l’habitude des combats pour ne pas s’en inquiéter.
La présence d’un Guerrier Crâne en plein milieu d’une ville comme Danéran la rendait beaucoup plus perplexe. Ces agents d’élite du Bélier n’étaient pas dépêchés à la légère, et toujours avec des missions précises. Le tout était de savoir la raison de sa venue. Etait-il là pour l’éliminer elle ? Après tout, elle n’avait pas que des amis, et ses précédentes missions avaient contrecarré certains projets nécromants. Etait-il là pour l’empêcher de mener sa mission à elle ? Ce point était plus problématique. D’une part, cela prouvait qu’il y avait eu des fuites vers l’Ennemi, ce qui n’était pas rassurant pour la suite. D’autre part, cela jetait un trouble plus important sur les rapport de sa cible avec les Ténèbres. Le commun des servants des Ténèbres ne se voit pas attribuer un Crâne comme garde du corps… Ou bien elle avait été là au mauvais moment, au mauvais endroit, à l’image de la troupe d’ivrognes ? Peu d’Inquisiteurs croient au hasard, malheureusement.
Il était trop tard pour trouver des réponses cohérentes à ces questions importantes. Elles attendraient donc la chevauchée du lendemain. Vu la tension de la journée entre elle et Ackyn, elle aurait tout le temps de penser de son côté. Elle vérifia la présence de sa précieuse gemme. Enfin, elle se glissa sous les couvertures.
De toute façon, elle avait réellement besoin de repos.
Il regarda le Chevalier tourner au coin de la ruelle. La démarche était trop assurée pour ne pas cacher l’abus de boisson. Il pouvait le suivre sans problème. L’Elfe s’élança donc dans les traces du jeune Capitaine. Quelques temps après, ils atteignirent Le Pot Cassé. Ackyn rentra pour rejoindre sa chambre. L’Elfe attendit un instant. Il contrôla la fenêtre de la chambre du Barhan, puis celle de l’Akkylanienne. Tout semblait normal. Il se posta dans la pénombre d’un coche, d’où il pouvait garder un œil sur les va-et-vient, emmitouflé dans sa tunique.
Il avait réellement besoin de repos, mais cela attendrait. De toute façon, il avait l’habitude de veiller, et la nuit était magnifique.
Pensant encore à la feinte de l’Inquisitrice, le Crâne passait de ruelle en ruelle. Il ne rencontra personne sur son chemin, si ce n’est un couple qui n’eut pas le temps de regretter sa sortie trop tardive. Elle l’avait eu par surprise, et il n’aimait pas la défaite. Mais il savait qu’il aurait sa revanche sur l’Akkylanienne.
Arrivé au devant d’une bâtisse sans prétention, il actionna le battant de la porte. Elle s’ouvrit et il entra dans le hall laissé dans la pénombre. En fait, toute la bâtisse était sans lumière. Sans aucun problème, le serviteur d’Achéron se dirigea vers le fond, où était situé un escalier qui donnait vers les étages supérieurs ou souterrains. Il descendit quelques volées de marche avant d’arriver dans une crypte. Sans qu’il ne fasse quoi que se soit, la porte qui barrait le chemin s’ouvrit, et il pénétra dans une salle légèrement plus grande, éclairée par quelques torches vissées aux murs. Au centre était un simple autel de marbre brut. Derrière, un fauteuil confortable. Quelqu’un s’y tenait, mais nul ne pouvait distinguer plus précisément ses formes.
« - J’ai failli, Madame. Je n’ai aucune excuse. La jeune femme est plus forte que je n’avais imaginé. Plus astucieuse, en fait !
- Ce n’est pas grave, c’était un simple premier contact. Ne vous tourmentez pas davantage. Le Barhan, lui, réagit comme nous le pensions. Le plan n’est pas compromis. Vous pouvez disposer, je vous contacterais sous peu.
- Merci. Que les Ténèbres vous recouvrent, Madame. »
Il sortit sans plus de manières qu’il était entré. De sombres nuages s’amoncelèrent et commencèrent à voiler Yllia, qui amorçait sa descente. Une pluie fine tomba bientôt sur la ville endormie.
Aux premières lueurs pâles de Lahn à travers les persiennes de sa chambre, Leene se leva et commença à se préparer. Dehors, la pluie continuait à tomber et le soleil peinait à traverser un ciel bien chargé. Bien que court, son sommeil avait été excellent. Le temps médiocre au dehors ne lui faisait pas regretter cette nuit dans un lit. Elle était de bonne humeur lorsqu’elle s’habilla, constatant que la douleur s’était bien calmée pendant son sommeil réparateur. En descendant pour prendre une légère collation, elle demanda à l’aubergiste où était son compagnon de voyage. Il répondit qu’il n’était pas encore paru et elle lui demanda donc d’aller le réveiller.
Les bruits contre la porte et les paroles de l’aubergiste le tirèrent d’un sommeil troublé. Ackyn n’était pas de ceux qui dormaient bien, surtout ces derniers temps, et les prix consentis par le tavernier n’avaient pas aidé. Il avait encore ce matin l’esprit embrumé, et il avait hâte de descendre pour y remédier en cuisine. Pour tout arranger, il avait aperçut la pluie par ses carreaux. Il se rafraîchit succinctement pour faire bonne figure. Il le devait à son rang, mais aussi à Leene, qui l’attendait en bas. De surcroît, il était maintenant au centre d’un poème ! La journée ne s’annonçait pas si mauvaise que ça, pensa-t-il finalement.
Ackyn et Leene s’étaient retrouvés dans la salle commune. Leene finissait sa collation. Elle salua le Chevalier simplement, se leva. Au passage, Ackyn la prévint qu’il comptait être prêt à partir bientôt. Il allait récupérer son cheval et il l’attendrait devant.
« - Avec une surprise ! » Rajouta-t-il.
« - Tiens donc ! Vous n’avez donc pas perdu votre soirée, Ackyn ! Ce qui explique vos traits tirés…
- Certes, peut-être ne préférais-je pas finalement le lit de l’auberge !
- Et bien vous avez eu tort ! D’autant que je compte sur votre galanterie pour me céder la première partie du voyage à cheval » Ainsi, elle arriverait mieux à réfléchir.
Ackyn n’avait pas envie de relancer si tôt l’ambiance de la veille. Il ne répondit rien.
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De bonne famille, ce garnement
Fit les cent coups et pis encore
Puis arrivé à l’âge d’or
Se tourna vers les armements
Puisqu’il était De Madinân
Il fut Chevalier dès alors
Et prit la route vers le Fort
D’où sont chassés les Mort-Vivants
Là il prouva en peu de temps
Que son courage était fait d’ors
Et sa bravoure meilleure encore
Capitaine il fut fait céans
>>
« - Voilà un bon début. Cela va être une grande ballade ! Je parlerais bien sûr des nombreux faits d’armes que vous m’avez conté, de votre quête de victoires, et glisserais ça et là l’événement qui vous préoccupe tant, vous rend si sensible à la complainte à Linelaeth. » L’Elfe était volubile.
Sa gaieté était communicative et il amusait Ackyn. D’autant qu’être le sujet principal d’une éventuelle saga cynwäll n’était pas pour lui déplaire. Pour autant, il était encore réticent à lui confier tout ce qu’il avait sur le cœur, et il espérait ne pas avoir à lui parler de ses sentiments plus récents. Ils terniraient trop le ton de la ballade, pensait-il avec amertume.
« - Mais rien n’est figé, tout peut changer, vous savez ! » l’Elfe fixait le Chevalier. Le ton était léger, mais le regard s’était fait insistant, interrogateur. Cela tira Ackyn de ses pensées.
« - Que voulez vous dire ? Je ne vous comprends pas… »
Ackyn fixait également, gêné, l’étrange ménestrel. Il avait entendu parler de gens qui pouvaient lire dans les pensées, mais il ne savait pas si ce don était répandu chez les Elfes.
« - Je veux simplement dire que si une tournure quelconque ne vous plait pas, vous pouvez la changer… Je veux dire, je peux la réécrire…
- Ah ! Oui, bien sûr ! Mais pour l’instant, cela me va, c’est très bien.
- Etes-vous sûr, Chevalier ? »
Le regard s’était encore durci. La gêne grandissait chez Ackyn.
« - Oui…
- Parfait alors. N’en parlons plus pour l’instant ! » Et l’Elfe partit d’un rire franc.
Quand l’ambiance fut à nouveau à la plaisanterie, Ackyn vida sa chope. Il s’excusa auprès de la compagnie. L’Elfe le rattrapa sur le pas de la porte. Le noble Barhan étant le sujet de son chef d’œuvre, il était indispensable qu’il le suive. Ceci permettrait d’apporter une conclusion précise, et de soumettre le poème à la critique du héros.
« - Soit. Je suis au Pot Cassé. Nous partons demain assez tôt pour Kalienne. Retrouvez-nous y !
- ‘Nous’ ?
- C’est assez compliqué, elle vous racontera elle-même.
- Ah ! ‘Elle’ ?
- Je suis fatigué, messire Elfe. Bonne nuit !
- Bonne nuit, Chevalier ! A demain ! »
Ennuyé de rentrer seul, Ackyn se consolait en pensant qu’il avait trouvé un compagnon sympathique pour la fin du voyage. Avec lui, l’ambiance serait sans doute plus détendue.
De toute façon, il avait réellement besoin de repos.
Leene ne fut pas fâchée d’atteindre sa chambre sans autre rencontre. Elle referma la fenêtre qui grinça dans la nuit. Son côté meurtri par le combat la lançait, et elle s’efforça de faire un onguent et un bandage les plus efficaces et les plus discrets possible. Nul ne devait pouvoir imaginer qu’elle avait couru sur les toits de la ville cette nuit. Le reste des blessures était plus superficiel, et elle avait l’habitude des combats pour ne pas s’en inquiéter.
La présence d’un Guerrier Crâne en plein milieu d’une ville comme Danéran la rendait beaucoup plus perplexe. Ces agents d’élite du Bélier n’étaient pas dépêchés à la légère, et toujours avec des missions précises. Le tout était de savoir la raison de sa venue. Etait-il là pour l’éliminer elle ? Après tout, elle n’avait pas que des amis, et ses précédentes missions avaient contrecarré certains projets nécromants. Etait-il là pour l’empêcher de mener sa mission à elle ? Ce point était plus problématique. D’une part, cela prouvait qu’il y avait eu des fuites vers l’Ennemi, ce qui n’était pas rassurant pour la suite. D’autre part, cela jetait un trouble plus important sur les rapport de sa cible avec les Ténèbres. Le commun des servants des Ténèbres ne se voit pas attribuer un Crâne comme garde du corps… Ou bien elle avait été là au mauvais moment, au mauvais endroit, à l’image de la troupe d’ivrognes ? Peu d’Inquisiteurs croient au hasard, malheureusement.
Il était trop tard pour trouver des réponses cohérentes à ces questions importantes. Elles attendraient donc la chevauchée du lendemain. Vu la tension de la journée entre elle et Ackyn, elle aurait tout le temps de penser de son côté. Elle vérifia la présence de sa précieuse gemme. Enfin, elle se glissa sous les couvertures.
De toute façon, elle avait réellement besoin de repos.
Il regarda le Chevalier tourner au coin de la ruelle. La démarche était trop assurée pour ne pas cacher l’abus de boisson. Il pouvait le suivre sans problème. L’Elfe s’élança donc dans les traces du jeune Capitaine. Quelques temps après, ils atteignirent Le Pot Cassé. Ackyn rentra pour rejoindre sa chambre. L’Elfe attendit un instant. Il contrôla la fenêtre de la chambre du Barhan, puis celle de l’Akkylanienne. Tout semblait normal. Il se posta dans la pénombre d’un coche, d’où il pouvait garder un œil sur les va-et-vient, emmitouflé dans sa tunique.
Il avait réellement besoin de repos, mais cela attendrait. De toute façon, il avait l’habitude de veiller, et la nuit était magnifique.
Pensant encore à la feinte de l’Inquisitrice, le Crâne passait de ruelle en ruelle. Il ne rencontra personne sur son chemin, si ce n’est un couple qui n’eut pas le temps de regretter sa sortie trop tardive. Elle l’avait eu par surprise, et il n’aimait pas la défaite. Mais il savait qu’il aurait sa revanche sur l’Akkylanienne.
Arrivé au devant d’une bâtisse sans prétention, il actionna le battant de la porte. Elle s’ouvrit et il entra dans le hall laissé dans la pénombre. En fait, toute la bâtisse était sans lumière. Sans aucun problème, le serviteur d’Achéron se dirigea vers le fond, où était situé un escalier qui donnait vers les étages supérieurs ou souterrains. Il descendit quelques volées de marche avant d’arriver dans une crypte. Sans qu’il ne fasse quoi que se soit, la porte qui barrait le chemin s’ouvrit, et il pénétra dans une salle légèrement plus grande, éclairée par quelques torches vissées aux murs. Au centre était un simple autel de marbre brut. Derrière, un fauteuil confortable. Quelqu’un s’y tenait, mais nul ne pouvait distinguer plus précisément ses formes.
« - J’ai failli, Madame. Je n’ai aucune excuse. La jeune femme est plus forte que je n’avais imaginé. Plus astucieuse, en fait !
- Ce n’est pas grave, c’était un simple premier contact. Ne vous tourmentez pas davantage. Le Barhan, lui, réagit comme nous le pensions. Le plan n’est pas compromis. Vous pouvez disposer, je vous contacterais sous peu.
- Merci. Que les Ténèbres vous recouvrent, Madame. »
Il sortit sans plus de manières qu’il était entré. De sombres nuages s’amoncelèrent et commencèrent à voiler Yllia, qui amorçait sa descente. Une pluie fine tomba bientôt sur la ville endormie.
Aux premières lueurs pâles de Lahn à travers les persiennes de sa chambre, Leene se leva et commença à se préparer. Dehors, la pluie continuait à tomber et le soleil peinait à traverser un ciel bien chargé. Bien que court, son sommeil avait été excellent. Le temps médiocre au dehors ne lui faisait pas regretter cette nuit dans un lit. Elle était de bonne humeur lorsqu’elle s’habilla, constatant que la douleur s’était bien calmée pendant son sommeil réparateur. En descendant pour prendre une légère collation, elle demanda à l’aubergiste où était son compagnon de voyage. Il répondit qu’il n’était pas encore paru et elle lui demanda donc d’aller le réveiller.
Les bruits contre la porte et les paroles de l’aubergiste le tirèrent d’un sommeil troublé. Ackyn n’était pas de ceux qui dormaient bien, surtout ces derniers temps, et les prix consentis par le tavernier n’avaient pas aidé. Il avait encore ce matin l’esprit embrumé, et il avait hâte de descendre pour y remédier en cuisine. Pour tout arranger, il avait aperçut la pluie par ses carreaux. Il se rafraîchit succinctement pour faire bonne figure. Il le devait à son rang, mais aussi à Leene, qui l’attendait en bas. De surcroît, il était maintenant au centre d’un poème ! La journée ne s’annonçait pas si mauvaise que ça, pensa-t-il finalement.
Ackyn et Leene s’étaient retrouvés dans la salle commune. Leene finissait sa collation. Elle salua le Chevalier simplement, se leva. Au passage, Ackyn la prévint qu’il comptait être prêt à partir bientôt. Il allait récupérer son cheval et il l’attendrait devant.
« - Avec une surprise ! » Rajouta-t-il.
« - Tiens donc ! Vous n’avez donc pas perdu votre soirée, Ackyn ! Ce qui explique vos traits tirés…
- Certes, peut-être ne préférais-je pas finalement le lit de l’auberge !
- Et bien vous avez eu tort ! D’autant que je compte sur votre galanterie pour me céder la première partie du voyage à cheval » Ainsi, elle arriverait mieux à réfléchir.
Ackyn n’avait pas envie de relancer si tôt l’ambiance de la veille. Il ne répondit rien.
...
popolman- Ermite crabe
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Re: La Fin de l'Innocence
La pluie avait gâché sa veillée, mais l’Elfe se tenait droit ce matin, prêt à accueillir le Chevalier. Lorsqu’il sortit de l’écurie, il remit sa capuche et alla à sa rencontre.
« - Hé là, Chevalier ! Bonjour !
- Bonjour, messire l’Elfe. Je vois que vous tenez parole.
- Et je constate que vous ne m’aviez pas menti non plus ! Où est donc cette femme dont vous me parliez tantôt ?
- Elle arrive. Elle essaie de se faire b… »
Ackyn n’eut pas le temps de finir sa phrase. Quelqu’un toussa fortement derrière lui.
« - Je ne vous permets pas, Chevalier. D’ailleurs, vous ne méritez pas que je me donne cette peine ! » Leene cherchait à rattraper sa maladresse de l’échange précédent. Elle fit une moue faussement irritée. Malgré la pluie, l’ambiance semblait partie pour être meilleure.
Il se mirent tous les trois en route. Leene sur le cheval et Ackyn et l’Elfe qui parlaient devant. Il sortirent ainsi par une des portes nord. A quelques distance devant eux, ils pouvaient voir la caravane.
« - Avec de la chance, nous pourrons déjeuner avec eux ! Cela améliorera l’ordinaire !
- Vous n’aimez pas ma chasse, Ackyn ? » La réponse incisive de Leene mettait Ackyn dans l’embarras. Quoi qu’il fasse ou dise, cela semblait déplaire. Il regrettait d’avoir accepter la compagnie de cette paysanne ! Il aurait été bien mieux, seul avec le rapporteur de ses hauts faits, celui qui ferait bientôt de lui le héros de toutes les gestes.
« - … Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je …
- N’insistez pas, mon cher. » Interrompit l’Elfe. « Contez-moi plutôt, Madame, comment une si belle jeune femme peut accompagner un tel rustre ? Notre ami commun m’a refusé ce récit passionnant !
- Ce n’est pas si passionnant, vous savez.
- Je jugerais sur pièce !
- Soit. »
Alors Leene se lança dans la version maquillée de la rencontre entre elle et Ackyn. L’Elfe interrompait souvent le récit pour obtenir des détails sur un point ou un autre ou encore un troisième. Il était très curieux et cela amusait Ackyn de voir Leene lutter pour retourner à chaque fois vers l’histoire. La matinée se passa ainsi dans la bonne humeur. Le temps du déjeuner approcha et ils s’étaient effectivement rapprochés de la caravane. Suffisamment pour qu’ils puissent demander aux commerçants de se joindre à eux lors de leur halte. L’affaire fut conclue avec un groupe de Keltois. Le repas fut excellent. Avant de repartir, Leene s’excusa et déclara qu’elle voulait faire un tour des achalandages.
Elle trouva sans peine, plus en avant de la caravane, le commerçant Akkylanien et ses compagnons. Elle regarda les faux et autres ustensiles attachés à la remorque. En un échange de signes, discrets et convenus, avec le marchand, elle savait que tout se passait comme prévu. Elle pourrait réceptionner ses affaires à Kalienne.
Alors qu’ils l’attendaient, Ackyn et l’Elfe devisaient avec les Keltois et rangeaient les paquetages. Elle les rejoint, ils prirent congé et repartirent sur la route. Ils avançaient plus vite que la caravane et eurent vite fait d’en atteindre la tête. Comme durant la matinée, Leene était sur le cheval et les deux autres parlaient ensemble devant. En fait, l’Elfe questionnait Ackyn sur chacun des aspects de sa vie, et c’est avec joie que le Barhan lui répondait. Il s’efforçait d’être le plus précis possible, car il avait compris que les détails étaient ce qui intéressait le plus le baladin. Etaient aussi ce qui intéresseraient le plus les enfants qui écouteraient bientôt sa légende.
Leene profita du calme relatif pour faire le point sur sa mission. Elle avait dès le début émis des doutes sur l’intégrité d’âme de sa cible. Le fameux épisode nocturne les confortant. Puis le comportement du Capitaine de Madinân s’était amélioré. En ce moment même, elle pouvait le qualifier de quelqu’un de parfaitement compétent pour défendre la Lumière, même à Kaïber. Pourtant, l’intervention du Crâne déplaçait toutes ces données, en la défaveur du Chevalier. En l’état, elle pensait qu’il était vraisemblablement corrompu par les Ténèbres, mais d’une manière beaucoup plus pernicieuse que d’habitude. Le Bélier renforçait constamment ses méthodes de recrutement, et il fallait toutes les connaissances de ses supérieurs pour les répertorier et y trouver des parades. Le pauvre de Madinân devait certainement être manipulé sans même qu’il ne le sache, ce qui expliquait son trouble et ses revirements de caractère. En revanche, elle était étonnée de la résistance qu’il opposait à cette machination hérétique. La distance y étant sûrement pour quelque chose, elle loua la sagesse du Haut Commandement de la Forteresse.
« - Incroyable ! Saviez-vous, très chère, que notre héros ci-présent avait été blessé à la Passe ? » L’Elfe avait haussé le ton pour attirer l’attention de Leene.
« - Vous ne saviez pas ? » Il la regardait avec le plus grand sérieux.
« - Je… Pardon, je n’écoutais pas… Non, j’ignorais cela.
- Cela vous intéresserait sûrement pourtant. Vous pourriez reconsidérer votre opinion sur le Capitaine Ackyn de Madinân.
- … Oui … sûrement. Comme vous dites si bien, je jugerais sur pièce.
- Ne soyez pas aussi prompte à juger, Madame ! » Malgré le sourire qui illuminait son visage, les yeux scrutaient Leene avec la plus grande attention. Elle fut gênée et détourna son regard vers Ackyn.
« - Et bien allez-y, Ackyn, ne vous faites pas prier. Racontez moi cet exploit !
- Ces exploits, pour être plus précis ! » Rajouta l’Elfe dans un nouveau rire.
A nouveau, Ackyn raconta ses exploits, c’est à dire les blessures qu’il avait reçues et comment il les avait reçues. Leene apprit effectivement beaucoup des événements narrés.
Une brume épaisse et tenace était tombée sur les remparts peu avant que l’escouade d’Ackyn ne soit affectée à la garde. Les premiers quarts s’étaient déroulés dans un mélange de tension et d’ennui habituel, et puis l’attaque avait eu lieu. Comme d’habitude, les soldats avaient pu contempler au milieu des hordes assaillantes les dépouilles de camarades ou alliés tombés quelques jours auparavant. 'Ne pas y penser' était le premier conseil reçu lors de l’arrivée à Kaïber. L’ancien ami ou frère était maintenant aux mains des Ténèbres corruptrices, et c’était même lui rendre un grand service que de le délivrer de ce sort. Ackyn avait fait sonner le gong d’alarme et vite organisé le premier rideau de défense. Il fallait tenir jusqu’à l’arrivée des renforts. Ces premiers moments étaient cruciaux : les forces de la Lumière n’avaient pas le droit de céder, ne pouvait pas permettre une brèche dans ce système de défense inflexible qu’était la Forteresse de Kaïber.
Les vétérans de l’escouade, ainsi que leur valeureux Capitaine n’avaient eu aucun problème à repousser la première vague, de simples pantins squelettiques. Ensuite étaient apparus les zombies, avec à leur tête le Guerrier Crâne qui menait l’expédition. L’escouade s’était organisée pour affronter la troupe adverse, tandis que le Capitaine se chargeait du Crâne. Le duel n’avait pas duré longtemps : le Crâne était très fort. En quelques feintes, il avait réussi à percer la défense d’Ackyn et lui avait asséné une entaille sur la cuisse. Puis les renforts, deux escouades de Templiers, étaient arrivés et l’attaque avait été définitivement repoussée. Une soirée comme il y en avait beaucoup à raconter sur les remparts de la Passe.
L’anecdote, loin d’être aussi innocente qu’Ackyn le laissait entendre, apportait de précieux éléments de réflexion à Leene. Cette blessure était peut être le point de départ de la machination. Non pas qu’une malédiction eut été transmise par la lame dans le sang du Capitaine : les lames de carnage de l’Ennemi boivent le sang, mais ne le trouble pas. Et un tel acte eût été vite reconnu par les mages qui officiaient à Kaïber. Mais la manière, tout en retenue, comme pour cacher une colère et un dépit, dont Ackyn racontait ce passage était par trop déplacée pour ne pas être significative. Le jeune Capitaine, fougueux, avait rencontré un adversaire bien plus fort que lui. Il avait perdu et seul l’aide des Templiers lui avait permis de ne pas faillir à ses ordres. Ackyn de Madinân avait connu un échec cuisant. Une âme noble ignore de pareils revers de destin, mais Ackyn était aussi orgueilleux et ambitieux. Qui sait les changements que cette défaite avait pu avoir sur son caractère ? Peut être avait-il magnifié les pouvoirs qui habitaient celui qui avait pu le battre ? Peut être avait-il envié ces pouvoirs ?
En tout cas, elle était de plus en plus sûre d’elle et de ses conclusions. Elle était surtout de plus en plus sûre de la décision finale à prendre. Bien que cela ne l’enchantasse pas, elle avait été formée pour cela, et son mentor ne l’avait pas envoyée en promenade à cheval.
Tout en réfléchissant, elle avait doublé sans y prendre garde ses deux compagnons. Elle tourna légèrement la tête, et les observa à la dérobade. Ils discutaient toujours des "exploits" d'Ackyn, et ce dernier rougissait sous les compliments et les expressions de surprises de l'elfe, qui lui demandait toujours plus de détail, et Leene se demanda à quoi tant de précision pouvait servir pour une balade.
Elle reporta son regard sur Ackyn. Ce dernier se frottait la nuque d'un air gêné alors que le baladin tentait de lui expliquer l'importance de l'hyperbole en poésie.
"-Euh... Vous êtes sûr que..." commença le chevalier.
"-Bien sûr. C'est une partie intégrante de l'art que d'exagérer un peu les chiffres."
"-J'en suis bien conscient, mais..."
"-Allons, Ackyn! Les héros des légendes abattent leurs ennemis par
vingtaines! En deçà, il ne s'agit que de guerriers, et on n'en retient pas le nom!"
"-Oui, mais tout de même... Soixante à moi seul..."
"-Eh bien quoi?" Répliqua l'elfe sur un ton pincé, "Je suis sûr qu'en additionnant vos victoires, vous dépasseriez largement ce chiffre."
"-Probablement, mais je..."
"-Allons, mon cher, ne vous préoccupez pas de ce détail, et contez-moi la suite", clama l'elfe, closant le débat.
Leene s'efforça de ne pas sourire. Elle imaginait un Ackyn auréolé de gloire, fauchant les Non-morts par centaines d'un négligeant revers de lame. Son rire éclata, la libérant en quelques instants du fardeau qui pesait sur ses épaules. Elle se retourna sur selle pour contempler le visage pantois d'Ackyn, qui rougit jusqu'aux oreilles lorsqu'il croisa son regard, avant d'éclater de rire à son tour.
Impassible, l'elfe haussa un sourcil, puis concéda un sourire en coin devant la bonne humeur des jeunes gens.
"-Soit. Mais je ne descendrais pas en dessous de trente!"
Leene croisa de nouveau le regard d'Ackyn, qui pris une pose aussi héroïque que cocasse. Elle lui accorda un léger sourire, puis se détourna. Ne pas s'attacher. Elle n'en avait pas le droit. C'était son devoir.
Elle piqua le cheval d'Ackyn qui partit au galop, et ferma les yeux, vidant son esprit en sentant le vent qui fouettait son visage, emportait ses cheveux brun.
"J'ai sous-estimé cette mission... Maître, quelle terrible épreuve m'avez-vous imposé..."
Ackyn et le baladin suivirent la course subite de la jeune femme.
"-Leene! Où allez-vous?!" S'écria Ackyn, inquiet. Il secoua la tête en soupirant. Qu'avait-il fait? Pourquoi le fuyait-elle ainsi? Ne l'avait-elle pas pardonné? Qu'avait-elle?
"-Elle souffre..." Répondit l'elfe à la question qu'Ackyn n'avait pas posé.
Le chevalier leva un regard surpris sur le baladin.
"-Mais... Pourquoi n'en parle-t-elle pas?"
"-Les roses Akkylaniennes sont taillées dans l'acier, Ackyn... Elle ne nous en soufflera mot."
L'elfe porta son regard sur Lahn, dont les derniers rayons réchauffaient les terres de l'Ouest durant sa descente.
"- Nous allons bientôt faire halte pour la nuit, chevalier."
Ackyn ne répondit pas. Il revoyait le sourire de Leene, entendait son rire...
Il se serait damné pour qu'elle soit toujours ainsi
« - Hé là, Chevalier ! Bonjour !
- Bonjour, messire l’Elfe. Je vois que vous tenez parole.
- Et je constate que vous ne m’aviez pas menti non plus ! Où est donc cette femme dont vous me parliez tantôt ?
- Elle arrive. Elle essaie de se faire b… »
Ackyn n’eut pas le temps de finir sa phrase. Quelqu’un toussa fortement derrière lui.
« - Je ne vous permets pas, Chevalier. D’ailleurs, vous ne méritez pas que je me donne cette peine ! » Leene cherchait à rattraper sa maladresse de l’échange précédent. Elle fit une moue faussement irritée. Malgré la pluie, l’ambiance semblait partie pour être meilleure.
Il se mirent tous les trois en route. Leene sur le cheval et Ackyn et l’Elfe qui parlaient devant. Il sortirent ainsi par une des portes nord. A quelques distance devant eux, ils pouvaient voir la caravane.
« - Avec de la chance, nous pourrons déjeuner avec eux ! Cela améliorera l’ordinaire !
- Vous n’aimez pas ma chasse, Ackyn ? » La réponse incisive de Leene mettait Ackyn dans l’embarras. Quoi qu’il fasse ou dise, cela semblait déplaire. Il regrettait d’avoir accepter la compagnie de cette paysanne ! Il aurait été bien mieux, seul avec le rapporteur de ses hauts faits, celui qui ferait bientôt de lui le héros de toutes les gestes.
« - … Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je …
- N’insistez pas, mon cher. » Interrompit l’Elfe. « Contez-moi plutôt, Madame, comment une si belle jeune femme peut accompagner un tel rustre ? Notre ami commun m’a refusé ce récit passionnant !
- Ce n’est pas si passionnant, vous savez.
- Je jugerais sur pièce !
- Soit. »
Alors Leene se lança dans la version maquillée de la rencontre entre elle et Ackyn. L’Elfe interrompait souvent le récit pour obtenir des détails sur un point ou un autre ou encore un troisième. Il était très curieux et cela amusait Ackyn de voir Leene lutter pour retourner à chaque fois vers l’histoire. La matinée se passa ainsi dans la bonne humeur. Le temps du déjeuner approcha et ils s’étaient effectivement rapprochés de la caravane. Suffisamment pour qu’ils puissent demander aux commerçants de se joindre à eux lors de leur halte. L’affaire fut conclue avec un groupe de Keltois. Le repas fut excellent. Avant de repartir, Leene s’excusa et déclara qu’elle voulait faire un tour des achalandages.
Elle trouva sans peine, plus en avant de la caravane, le commerçant Akkylanien et ses compagnons. Elle regarda les faux et autres ustensiles attachés à la remorque. En un échange de signes, discrets et convenus, avec le marchand, elle savait que tout se passait comme prévu. Elle pourrait réceptionner ses affaires à Kalienne.
Alors qu’ils l’attendaient, Ackyn et l’Elfe devisaient avec les Keltois et rangeaient les paquetages. Elle les rejoint, ils prirent congé et repartirent sur la route. Ils avançaient plus vite que la caravane et eurent vite fait d’en atteindre la tête. Comme durant la matinée, Leene était sur le cheval et les deux autres parlaient ensemble devant. En fait, l’Elfe questionnait Ackyn sur chacun des aspects de sa vie, et c’est avec joie que le Barhan lui répondait. Il s’efforçait d’être le plus précis possible, car il avait compris que les détails étaient ce qui intéressait le plus le baladin. Etaient aussi ce qui intéresseraient le plus les enfants qui écouteraient bientôt sa légende.
Leene profita du calme relatif pour faire le point sur sa mission. Elle avait dès le début émis des doutes sur l’intégrité d’âme de sa cible. Le fameux épisode nocturne les confortant. Puis le comportement du Capitaine de Madinân s’était amélioré. En ce moment même, elle pouvait le qualifier de quelqu’un de parfaitement compétent pour défendre la Lumière, même à Kaïber. Pourtant, l’intervention du Crâne déplaçait toutes ces données, en la défaveur du Chevalier. En l’état, elle pensait qu’il était vraisemblablement corrompu par les Ténèbres, mais d’une manière beaucoup plus pernicieuse que d’habitude. Le Bélier renforçait constamment ses méthodes de recrutement, et il fallait toutes les connaissances de ses supérieurs pour les répertorier et y trouver des parades. Le pauvre de Madinân devait certainement être manipulé sans même qu’il ne le sache, ce qui expliquait son trouble et ses revirements de caractère. En revanche, elle était étonnée de la résistance qu’il opposait à cette machination hérétique. La distance y étant sûrement pour quelque chose, elle loua la sagesse du Haut Commandement de la Forteresse.
« - Incroyable ! Saviez-vous, très chère, que notre héros ci-présent avait été blessé à la Passe ? » L’Elfe avait haussé le ton pour attirer l’attention de Leene.
« - Vous ne saviez pas ? » Il la regardait avec le plus grand sérieux.
« - Je… Pardon, je n’écoutais pas… Non, j’ignorais cela.
- Cela vous intéresserait sûrement pourtant. Vous pourriez reconsidérer votre opinion sur le Capitaine Ackyn de Madinân.
- … Oui … sûrement. Comme vous dites si bien, je jugerais sur pièce.
- Ne soyez pas aussi prompte à juger, Madame ! » Malgré le sourire qui illuminait son visage, les yeux scrutaient Leene avec la plus grande attention. Elle fut gênée et détourna son regard vers Ackyn.
« - Et bien allez-y, Ackyn, ne vous faites pas prier. Racontez moi cet exploit !
- Ces exploits, pour être plus précis ! » Rajouta l’Elfe dans un nouveau rire.
A nouveau, Ackyn raconta ses exploits, c’est à dire les blessures qu’il avait reçues et comment il les avait reçues. Leene apprit effectivement beaucoup des événements narrés.
Une brume épaisse et tenace était tombée sur les remparts peu avant que l’escouade d’Ackyn ne soit affectée à la garde. Les premiers quarts s’étaient déroulés dans un mélange de tension et d’ennui habituel, et puis l’attaque avait eu lieu. Comme d’habitude, les soldats avaient pu contempler au milieu des hordes assaillantes les dépouilles de camarades ou alliés tombés quelques jours auparavant. 'Ne pas y penser' était le premier conseil reçu lors de l’arrivée à Kaïber. L’ancien ami ou frère était maintenant aux mains des Ténèbres corruptrices, et c’était même lui rendre un grand service que de le délivrer de ce sort. Ackyn avait fait sonner le gong d’alarme et vite organisé le premier rideau de défense. Il fallait tenir jusqu’à l’arrivée des renforts. Ces premiers moments étaient cruciaux : les forces de la Lumière n’avaient pas le droit de céder, ne pouvait pas permettre une brèche dans ce système de défense inflexible qu’était la Forteresse de Kaïber.
Les vétérans de l’escouade, ainsi que leur valeureux Capitaine n’avaient eu aucun problème à repousser la première vague, de simples pantins squelettiques. Ensuite étaient apparus les zombies, avec à leur tête le Guerrier Crâne qui menait l’expédition. L’escouade s’était organisée pour affronter la troupe adverse, tandis que le Capitaine se chargeait du Crâne. Le duel n’avait pas duré longtemps : le Crâne était très fort. En quelques feintes, il avait réussi à percer la défense d’Ackyn et lui avait asséné une entaille sur la cuisse. Puis les renforts, deux escouades de Templiers, étaient arrivés et l’attaque avait été définitivement repoussée. Une soirée comme il y en avait beaucoup à raconter sur les remparts de la Passe.
L’anecdote, loin d’être aussi innocente qu’Ackyn le laissait entendre, apportait de précieux éléments de réflexion à Leene. Cette blessure était peut être le point de départ de la machination. Non pas qu’une malédiction eut été transmise par la lame dans le sang du Capitaine : les lames de carnage de l’Ennemi boivent le sang, mais ne le trouble pas. Et un tel acte eût été vite reconnu par les mages qui officiaient à Kaïber. Mais la manière, tout en retenue, comme pour cacher une colère et un dépit, dont Ackyn racontait ce passage était par trop déplacée pour ne pas être significative. Le jeune Capitaine, fougueux, avait rencontré un adversaire bien plus fort que lui. Il avait perdu et seul l’aide des Templiers lui avait permis de ne pas faillir à ses ordres. Ackyn de Madinân avait connu un échec cuisant. Une âme noble ignore de pareils revers de destin, mais Ackyn était aussi orgueilleux et ambitieux. Qui sait les changements que cette défaite avait pu avoir sur son caractère ? Peut être avait-il magnifié les pouvoirs qui habitaient celui qui avait pu le battre ? Peut être avait-il envié ces pouvoirs ?
En tout cas, elle était de plus en plus sûre d’elle et de ses conclusions. Elle était surtout de plus en plus sûre de la décision finale à prendre. Bien que cela ne l’enchantasse pas, elle avait été formée pour cela, et son mentor ne l’avait pas envoyée en promenade à cheval.
Tout en réfléchissant, elle avait doublé sans y prendre garde ses deux compagnons. Elle tourna légèrement la tête, et les observa à la dérobade. Ils discutaient toujours des "exploits" d'Ackyn, et ce dernier rougissait sous les compliments et les expressions de surprises de l'elfe, qui lui demandait toujours plus de détail, et Leene se demanda à quoi tant de précision pouvait servir pour une balade.
Elle reporta son regard sur Ackyn. Ce dernier se frottait la nuque d'un air gêné alors que le baladin tentait de lui expliquer l'importance de l'hyperbole en poésie.
"-Euh... Vous êtes sûr que..." commença le chevalier.
"-Bien sûr. C'est une partie intégrante de l'art que d'exagérer un peu les chiffres."
"-J'en suis bien conscient, mais..."
"-Allons, Ackyn! Les héros des légendes abattent leurs ennemis par
vingtaines! En deçà, il ne s'agit que de guerriers, et on n'en retient pas le nom!"
"-Oui, mais tout de même... Soixante à moi seul..."
"-Eh bien quoi?" Répliqua l'elfe sur un ton pincé, "Je suis sûr qu'en additionnant vos victoires, vous dépasseriez largement ce chiffre."
"-Probablement, mais je..."
"-Allons, mon cher, ne vous préoccupez pas de ce détail, et contez-moi la suite", clama l'elfe, closant le débat.
Leene s'efforça de ne pas sourire. Elle imaginait un Ackyn auréolé de gloire, fauchant les Non-morts par centaines d'un négligeant revers de lame. Son rire éclata, la libérant en quelques instants du fardeau qui pesait sur ses épaules. Elle se retourna sur selle pour contempler le visage pantois d'Ackyn, qui rougit jusqu'aux oreilles lorsqu'il croisa son regard, avant d'éclater de rire à son tour.
Impassible, l'elfe haussa un sourcil, puis concéda un sourire en coin devant la bonne humeur des jeunes gens.
"-Soit. Mais je ne descendrais pas en dessous de trente!"
Leene croisa de nouveau le regard d'Ackyn, qui pris une pose aussi héroïque que cocasse. Elle lui accorda un léger sourire, puis se détourna. Ne pas s'attacher. Elle n'en avait pas le droit. C'était son devoir.
Elle piqua le cheval d'Ackyn qui partit au galop, et ferma les yeux, vidant son esprit en sentant le vent qui fouettait son visage, emportait ses cheveux brun.
"J'ai sous-estimé cette mission... Maître, quelle terrible épreuve m'avez-vous imposé..."
Ackyn et le baladin suivirent la course subite de la jeune femme.
"-Leene! Où allez-vous?!" S'écria Ackyn, inquiet. Il secoua la tête en soupirant. Qu'avait-il fait? Pourquoi le fuyait-elle ainsi? Ne l'avait-elle pas pardonné? Qu'avait-elle?
"-Elle souffre..." Répondit l'elfe à la question qu'Ackyn n'avait pas posé.
Le chevalier leva un regard surpris sur le baladin.
"-Mais... Pourquoi n'en parle-t-elle pas?"
"-Les roses Akkylaniennes sont taillées dans l'acier, Ackyn... Elle ne nous en soufflera mot."
L'elfe porta son regard sur Lahn, dont les derniers rayons réchauffaient les terres de l'Ouest durant sa descente.
"- Nous allons bientôt faire halte pour la nuit, chevalier."
Ackyn ne répondit pas. Il revoyait le sourire de Leene, entendait son rire...
Il se serait damné pour qu'elle soit toujours ainsi
popolman- Ermite crabe
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Re: La Fin de l'Innocence
Une heure plus tard, la caravane les avait rejoins. Ils avaient fait halte, et un campement avait été érigé pour la nuit. Les quarts avaient été répartis entre les gardes de l'escorte et les guerriers présent dans la caravane. Et bien évidemment, Ackyn s'était porté volontaire.
"-Sûrement la force de l'habitude" commenta l'elfe alors que le Bahran les quittait pour prendre son tour de garde.
"-Ou peut-être veut-il nous prouver sa valeur une nouvelle fois" lança Leene. Elle se reprocha aussitôt cette remarque. Dénigrer systématiquement Ackyn était injuste. Il ne méritait pas cela.
Elle interrompit son introspection en remarquant que le baladin la dévisageait. Elle le fixa à son tour. Le regard bleu farouche de la jeune femme se heurta à celui gris-mer de l'elfe. Un regard paisible, sage, qui se jouait des voiles de la psyché. Leene avait l'impression que l'elfe lisait dans son âme comme à livre ouvert, violant les scellés posés par son esprit, la laissant nue et vulnérable. Elle détourna le regard.
"-Le détestez-vous à ce point?"
Le ton de l'elfe était léger, comme si rien ne s'était passé. Leene déglutit.
"-Je ne le déteste pas..."
"-Vraiment? L'aimez-vous, alors?"
"-Certainement pas!" Répliqua-t-elle furieusement.
L'elfe porta un doigt à ses lèvres, et resta silencieux un moment.
"-Il vous est donc indifférent..."
"-Cessez ce petit jeu! Je ne sais ni qui vous êtes, ni d'où vous venez, et mes sentiments ne regardent que moi! Bonne nuit, maître Elfe!"
Leene se roula en boule dans sa couverture et s'efforça de dormir.
"-Froide et tranchante comme l'acier... Bonne nuit, ma jeune amie" murmura le baladin tout en contemplant Yllia, dont les reflets bleutés teintaient de mélancolie le coeur de l'elfe. Il esquissa un geste vers sa harpe, puis se ravisa.
"-Non. Pas de musique cette nuit... La lune pleure" se murmura-t-il à lui même, tandis qu'une ombre grandissait dans son esprit. Il se leva et rejoint Ackyn, fouillant l'obscurité autour du camps de sa vie perçante.
"-Ackyn!"
Le chevalier sursauta et se retrouva nez à nez avec l'elfe. Il ne l'avait pas entendu approcher.
"-Que venez-vous faire ici? Il se passe quelque chose?"
L'elfe émis en sifflement inquiet.
"-Je n'en sais trop rien. J'ai l'impression que cette nuit nous réserve bien des surprises. Restez sur vos gardes. Je vais avertir notre escorte et tenter de me procurer un arc."
Ackyn le suivit du regard alors qu'il disparaissait entre les tentes et les chariots. Il reporta son attention sur la portion de forêt qui lui faisait face, mais les maigres braseros du camps n'en dévoilaient pas les frondaisons.
Il frissonna à l'idée d'une armée d'os et de chaires pourrissantes qui qui attendaient patiemment son heure dans ces sous-bois.
"-Voyons! Nous sommes loin dans le coeur du royaume, maintenant. Que pourrait-il nous arriver?"
Il porta la main à la garde de son épée. Le contact lui apporta une certaine quiétude, mais il avait appris à Kaïber que la valeur d'un seul ne pouvait rien contre la marée des Ténèbres. Il s'emmitoufla dans sa cape, et s'installa pour la veillée.
<<
La situation se complique.
Comme convenu, la présente vous donne les pleins pouvoirs pour remmener le Barhan dans de meilleures dispositions.
La conservation en l’état de ses compagnons est anecdotique. Faites à votre bon plaisir !
>>
Ces quelques lignes sur le parchemin raisonnaient encore dans son esprit, tandis que ses doigts froissaient le document en un poing ferme et confiant. S’approchant du petit feu discret dressé à la hâte pour chauffer l’attente, sa main jeta la boule ainsi formée dans les flammes qui rougeoyaient sa cape. Ses bras se croisèrent. Il réfléchit un instant à ce qu’il avait mis en place. Une dernière fois, pour être sûr de la réussite de l’opération, son esprit repassa les différentes phases qu’il avait exposées dans l’après-midi. Ses jambes l’entraînèrent ensuite près du chef du groupe d’homme qui l’épaulait.
« - Vous pouvez y aller !»
Même à côté du sombre Guerrier Crâne, le colosse qui menait les Drunes restait impressionnant. Quand il eût entendu son commanditaire, à l’idée du carnage qu’il allait lancé bientôt, ses yeux s’allumèrent.
Il se dirigea vers son paquetage. Il se coiffa d’un casque ouvragé et torturé qui y était posé, de telle sorte que son visage paraissait à présent couvert de cicatrices et de tatouages. De chaque côté partaient de courtes cornes aiguisées et rouges. Il enleva sa vulgaire chemise et enfila une cuirasse écorchée elle aussi, qui couvrait son torse imposant. Ainsi préparé, le tueur des Bois Noirs fit jouer ses deux bras musclés. Quand les veines furent saillantes aux coudes, il prit une des deux haches courtes à sa ceinture. Il s’entailla chaque main et lécha ses plaies.
A travers le casque de bataille, un feu puissant prit possession de son regard. Un feu de haine, de violence, qui remplaçait les reflets du foyer ridicule. Une faim de sang et de mort envahissait son corps et sa bouche. Il était prêt.
« - Une dernière chose : je n’accepterai aucune excuse. » La voix du Crâne soufflait comme un vent des plaines froides. Elle contrastait avec le rire franc du Drune.
« - La victoire ne nécessite aucune excuse ! » Ainsi finit le rire et la discussion.
Les non-yeux du serviteur des Ténèbres suivirent le guerrier qui allait prévenir les siens. Ils semblaient l’arme idéale pour réussir. Il y aurait fatalement des survivants, les caravaniers étaient nombreux et l’extermination n’était pas l’objectif. Ils témoigneraient que le Bélier n’était pas derrière cette razzia. Il s’était donné beaucoup de mal pour contacter un groupe de ces Keltois malsains. Leurs mœurs le perturbaient. Ils entraient en résonance avec ce qui le maintenait aux ordres des Dieux Obscurs et il détestait cette sensation de faiblesse.
Il s’était donné encore plus de mal pour les dépêcher ici à temps. Beaucoup de gemmes avaient été dépensées dans l’opération. Mais sa maîtresse l’avait prévenu : l’échec n’était plus de mise. Et sa revanche était proche.
Le groupe de Drunes avait finit son conditionnement. Après un échange de regard avec le Crâne, le chef et ses compagnons se lancèrent dans l’ombre du bois qui les entourait, vers l’autre orée, où campaient leurs proies. Ils étaient pareils à des loups en colère, furieux et déterminés.
En soldat expérimenté, Ackyn redoutait la torpeur et le froid, qui engourdissent les veilles. Ils ralentissent les réflexes, quand ils ne provoquent pas un somme, la pire des fautes lors d’une garde. Souvent donc, il se levait, ravivait ses bras à la faible chaleur de son brasero. Il faisait aussi quelques pas autour.
Depuis que l’Elfe l’avait prévenu de ses pressentiments, le Capitaine était aux aguets. Il faisait confiance aux jugements de ce peuple mystérieux, dont les Sages arrivaient à prévenir les plus grandes catastrophes de la Passe. Il redoublait d’attention, et pourtant, rien n’arrivait.
Et puis un cri.
Ce cri d’alerte avait jailli du côté où l’escorte tenait la garde. Mû par ses réflexes, Ackyn sortit sa lame de son fourreau et dégaina un pistolet de défense. Il couru vers l’endroit d’où provenait l’alarme.
Il s’attendait à une bande décharnée, comme il en avait tant combattues. Au lieu de ça, l’escorte était submergée par une horde sauvage de barbares qu’il ne connaissait pas. En un coup d’œil exercé, il jaugea la situation. Elle était en faveur des assaillants. Malgré l’avertissement de l’Elfe, l’escorte manquait d’expérience. Elle pouvait faire face à des attaques de maraudeurs et de voleurs ; elle était dépassée contre une équipée de guerriers visiblement motivés. Il aperçut ses deux compagnons en prise avec ces barbares. Ils paraissaient s’en sortir très convenablement. Il trouva curieux qu’une paysanne, même Akkylannienne, tire aussi bien le fer. Un craquement et des gargouillis le ramenèrent à l’instant présent. Il se retourna.
Une deuxième vague de barbares venait dans son dos. Un de ces Keltois venait de tuer un garde. Le malheureux avait bloqué la lourde hache avec sa hallebarde avant que les doigts crochus ne lui arrachent la glotte. Le Keltois fouillait la gorge ouverte, et Ackyn était horrifié. Lentement, continuant son ouvrage, le Drune leva les yeux vers lui. Un sourire mauvais ornait son visage. Brusquement, il laissa le cadavre et se jeta vers Ackyn. Une flèche en plein milieu du front arrêta sa charge. Ackyn prit le temps de tourner la tête. D’un mouvement rapide, il remercia l’Elfe, déjà aux prises avec un autre adversaire. Il fallait qu’il se ressaisisse. Qu’il fasse honneur à son rang.
Habité par cette nouvelle volonté, il se tenait prêt à repousser l’attaque sur ce flanc. Un nouveau Drune, les lèvres trempées de sang et de boue, remplaçait déjà l’autre. La lourde hache était prête à s’abattre sur le Barhan. A peine le barbare avait-il commencé son attaque que le cliquetis du chien se fit entendre. Un claquement et il s’effondrait, éventré par la décharge à bout portant. Le Capitaine eut le temps de ranger son pistolet vide et de se saisir du second. Deux autres venaient venger leurs camarades. Ackyn apercevait leurs yeux à travers les casques effrayants. Ils étaient noyés de haine. Rien à voir avec les orbites vides des pantins de Kaïber. Un frisson parcourut son dos. Il leva le poing chargé de poudre.
Les deux Drunes courraient en changeant de direction, pareils à ces loups affamés qui peuplaient les forêts les plus sauvages de la Baronnie. Ne voulant risquer de rater la cible, Ackyn attendait le dernier moment. Ils étaient désormais tout proches. Resserrant une poigne autour de son épée, l’autre pressait la détente. Touché à la gorge, l’adversaire le plus proche s’écroulait aux côtés des deux précédents. Ackyn n’avait pas le temps de souffler, le second enragé enjambait déjà ses prédécesseurs. Lui aussi tenait sa hache à deux mains, bien haute.
En un réflexe, Ackyn porta sa lame de travers, parant ainsi le premier assaut. Les vibrations du choc faisaient trembler son bras et déjà la hache remontait, menaçante. Les deux bras levés, le Drune dévoilait ses côtes, qui n’était pas couvertes par le plastron de métal. Elles saignaient par de multiples plaies. La répétition du motif fit penser à Ackyn que ça n’était pas des blessures. Ce fou avait lui même entaillé son corps avant la bataille ! La lame descendait à présent vers lui. Il para à nouveau, plus faiblement. Le Drune avait senti le relâchement d’Ackyn. Une de ses mains lâcha prise et Ackyn reçut un formidable coup à l’estomac. Le choc était rude et la cotte de maille n’empêchait pas la douleur d’envahir son corps. Une troisième fois, la hache se leva.
Se forçant à oublier son mal, Ackyn planta la cuisse. L’autre grogna mais la hache restait en mouvement. Ackyn retira sa pointe et para pour la troisième fois. Cette fois, il ne laissa pas le Drune reprendre l’initiative. D’un revers d’épée, il poussa la hache sur le côté, déséquilibrant le Keltois. Aussitôt, il donna un coup de pommeau dans le casque. Nouveau grognement du barbare, qui envoya une violente bourrasque dans l’épaule d’Ackyn, le faisant tomber à terre. Sûr de sa victoire, le Drune enleva son casque. Un filet de sang coulait de son front, encadrant ses yeux d’un nouveau tatouage. Des yeux de colère et de furie. La hache se leva et ses yeux se révulsèrent.
Il s’effondra. Une courte hache était plantée entre ses omoplates. A une petite distance, Ackyn aperçut son propriétaire : un formidable géant qui courrait vers lui, la tête et le corps couverts de métal semblable à des plaies terrifiantes, encadrés de puissants bras, dont l’un tenait la hache jumelle. Le Capitaine n’avait pas le temps de se relever qu’il était déjà sur lui. Ses cheveux formaient derrière le casque une énorme crinière, renforçant l’image d’un fauve sanguinaire. Et cette bête sauvage était devant lui, la hache à la main. Ackyn donna un coup d’épée sur le côté, que le géant paraît sans soucis. Un deuxième eût le même résultat. Ackyn se sentait perdu. Une flèche siffla, manqua la cible. Le colosse regarda d’où provenait la menace. Il hurla des ordres à des acolytes qui le suivaient.
L’occasion était trop belle. L’épée d’Ackyn se ficha dans l’énorme biceps de son adversaire. Aucun grognement ne ponctua cette victoire. Le chef Drune baissa son visage vers le Barhan. Sa main libre entoura la lame et la retira sans effort. Le sang jailli des doigts et du bras. Ensuite, il envoya un coup de pied dans la mâchoire d’Ackyn. La douleur qui enserrait sa tête remplaçait celle du ventre. Enveloppé dans cette affreuse sensation, Ackyn de Mâdinan aperçut un géant flou se baisser vers lui. Il murmura quelque chose à son oreille tandis qu’une nouvelle souffrance remontait son bras. Le flou se redressa.
Avant de perdre conscience, Ackyn devinait que le Keltois mettait quelque chose dans une sacoche à sa ceinture. Il leva son bras gauche. L’index n’y était plus. Il sombra dans la douleur.
Le meneur évita une nouvelle flèche avant de charger le Barhan sur son épaule et de s’en retourner dans l’ombre du bois. Un signe de tête à un de ses seconds, et ce dernier lança un sifflement. La meute se replia.
Leene retira son poignard du cœur du Drune à ses pieds. D’un coup d’œil circulaire, elle constatait l’ampleur de la dévastation. Les Drunes avaient fait un carnage. Autour d’elle, deux corps de l’escorte gisaient, l’un sans tête, l’autre sans bras. Elle ne comprenait pas cette attaque. Les Drunes n’avaient jamais attaqué si loin. D’ailleurs, ils auraient été repérés bien avant. Et pourquoi s’en prendre à cette caravane et repartir si vite. Ce clan avait pour habitude de ne cesser le combat qu’au dernier combattant tombé, pour s’adonner ensuite à leurs pratiques répugnantes et nécrophages.
« - Ils sont venus pour notre ami. » Derrière elle, l’Elfe s’était rapproché. « J’ai essayé de le protéger, mais j’ai failli. Ils l’ont enlevé ! »
Leene regarda plus attentivement. Le Capitaine Ackyn de Mâdinan n’était pas visible. Elle demanda :
« - Pourquoi ? »
« - Je pense qu’ils étaient aux ordres de quelqu’un d’autre. Peut être quelqu’un que vous avez connu. Et je pense qu’il le voulait vivant. »
« - Sous-entendez-vous que j’ai qu… »
L’Elfe coupa brusquement la jeune femme.
« - Non. Je faisais allusion à votre rencontre sur les toits de Danéran. » Leene restait interdite. Il continua. « Ecoutez, arrêtons le petit jeu des cachotteries. Je connais les grandes lignes de votre mission. Les miennes sont similaires, l’intention de protéger au lieu d’éliminer. »
« - Vous m’insultez, Maître Elfe ! »
« - Non, je connais suffisamment les pensées et les méthodes des Inquisiteurs. Je respecte votre ordre, mais je ne cautionne pas la promptitude de ses décisions ni la certitude qu’il met dans ses jugements et ses sentences. »
« - C’est f… »
« - Peu m’importe que vous soyez d’accord ou non. Admettons que j’ai tort, si vous le préférez ainsi. Ce qui m’importe à présent est la survie de notre ami. Allez chercher votre paquetage. Je dis bien TOUT votre paquetage ! Je crains que vos contacts de la caravane n’aient trouvé plus forts qu’eux ce soir. »
Alors qu’elle se dirigeait vers leur campement, elle fit volte-face.
« - Pourquoi exactement faites-vous ceci ? »
« - J’ai une ballade à terminer, pardi ! »
"-Sûrement la force de l'habitude" commenta l'elfe alors que le Bahran les quittait pour prendre son tour de garde.
"-Ou peut-être veut-il nous prouver sa valeur une nouvelle fois" lança Leene. Elle se reprocha aussitôt cette remarque. Dénigrer systématiquement Ackyn était injuste. Il ne méritait pas cela.
Elle interrompit son introspection en remarquant que le baladin la dévisageait. Elle le fixa à son tour. Le regard bleu farouche de la jeune femme se heurta à celui gris-mer de l'elfe. Un regard paisible, sage, qui se jouait des voiles de la psyché. Leene avait l'impression que l'elfe lisait dans son âme comme à livre ouvert, violant les scellés posés par son esprit, la laissant nue et vulnérable. Elle détourna le regard.
"-Le détestez-vous à ce point?"
Le ton de l'elfe était léger, comme si rien ne s'était passé. Leene déglutit.
"-Je ne le déteste pas..."
"-Vraiment? L'aimez-vous, alors?"
"-Certainement pas!" Répliqua-t-elle furieusement.
L'elfe porta un doigt à ses lèvres, et resta silencieux un moment.
"-Il vous est donc indifférent..."
"-Cessez ce petit jeu! Je ne sais ni qui vous êtes, ni d'où vous venez, et mes sentiments ne regardent que moi! Bonne nuit, maître Elfe!"
Leene se roula en boule dans sa couverture et s'efforça de dormir.
"-Froide et tranchante comme l'acier... Bonne nuit, ma jeune amie" murmura le baladin tout en contemplant Yllia, dont les reflets bleutés teintaient de mélancolie le coeur de l'elfe. Il esquissa un geste vers sa harpe, puis se ravisa.
"-Non. Pas de musique cette nuit... La lune pleure" se murmura-t-il à lui même, tandis qu'une ombre grandissait dans son esprit. Il se leva et rejoint Ackyn, fouillant l'obscurité autour du camps de sa vie perçante.
"-Ackyn!"
Le chevalier sursauta et se retrouva nez à nez avec l'elfe. Il ne l'avait pas entendu approcher.
"-Que venez-vous faire ici? Il se passe quelque chose?"
L'elfe émis en sifflement inquiet.
"-Je n'en sais trop rien. J'ai l'impression que cette nuit nous réserve bien des surprises. Restez sur vos gardes. Je vais avertir notre escorte et tenter de me procurer un arc."
Ackyn le suivit du regard alors qu'il disparaissait entre les tentes et les chariots. Il reporta son attention sur la portion de forêt qui lui faisait face, mais les maigres braseros du camps n'en dévoilaient pas les frondaisons.
Il frissonna à l'idée d'une armée d'os et de chaires pourrissantes qui qui attendaient patiemment son heure dans ces sous-bois.
"-Voyons! Nous sommes loin dans le coeur du royaume, maintenant. Que pourrait-il nous arriver?"
Il porta la main à la garde de son épée. Le contact lui apporta une certaine quiétude, mais il avait appris à Kaïber que la valeur d'un seul ne pouvait rien contre la marée des Ténèbres. Il s'emmitoufla dans sa cape, et s'installa pour la veillée.
<<
La situation se complique.
Comme convenu, la présente vous donne les pleins pouvoirs pour remmener le Barhan dans de meilleures dispositions.
La conservation en l’état de ses compagnons est anecdotique. Faites à votre bon plaisir !
>>
Ces quelques lignes sur le parchemin raisonnaient encore dans son esprit, tandis que ses doigts froissaient le document en un poing ferme et confiant. S’approchant du petit feu discret dressé à la hâte pour chauffer l’attente, sa main jeta la boule ainsi formée dans les flammes qui rougeoyaient sa cape. Ses bras se croisèrent. Il réfléchit un instant à ce qu’il avait mis en place. Une dernière fois, pour être sûr de la réussite de l’opération, son esprit repassa les différentes phases qu’il avait exposées dans l’après-midi. Ses jambes l’entraînèrent ensuite près du chef du groupe d’homme qui l’épaulait.
« - Vous pouvez y aller !»
Même à côté du sombre Guerrier Crâne, le colosse qui menait les Drunes restait impressionnant. Quand il eût entendu son commanditaire, à l’idée du carnage qu’il allait lancé bientôt, ses yeux s’allumèrent.
Il se dirigea vers son paquetage. Il se coiffa d’un casque ouvragé et torturé qui y était posé, de telle sorte que son visage paraissait à présent couvert de cicatrices et de tatouages. De chaque côté partaient de courtes cornes aiguisées et rouges. Il enleva sa vulgaire chemise et enfila une cuirasse écorchée elle aussi, qui couvrait son torse imposant. Ainsi préparé, le tueur des Bois Noirs fit jouer ses deux bras musclés. Quand les veines furent saillantes aux coudes, il prit une des deux haches courtes à sa ceinture. Il s’entailla chaque main et lécha ses plaies.
A travers le casque de bataille, un feu puissant prit possession de son regard. Un feu de haine, de violence, qui remplaçait les reflets du foyer ridicule. Une faim de sang et de mort envahissait son corps et sa bouche. Il était prêt.
« - Une dernière chose : je n’accepterai aucune excuse. » La voix du Crâne soufflait comme un vent des plaines froides. Elle contrastait avec le rire franc du Drune.
« - La victoire ne nécessite aucune excuse ! » Ainsi finit le rire et la discussion.
Les non-yeux du serviteur des Ténèbres suivirent le guerrier qui allait prévenir les siens. Ils semblaient l’arme idéale pour réussir. Il y aurait fatalement des survivants, les caravaniers étaient nombreux et l’extermination n’était pas l’objectif. Ils témoigneraient que le Bélier n’était pas derrière cette razzia. Il s’était donné beaucoup de mal pour contacter un groupe de ces Keltois malsains. Leurs mœurs le perturbaient. Ils entraient en résonance avec ce qui le maintenait aux ordres des Dieux Obscurs et il détestait cette sensation de faiblesse.
Il s’était donné encore plus de mal pour les dépêcher ici à temps. Beaucoup de gemmes avaient été dépensées dans l’opération. Mais sa maîtresse l’avait prévenu : l’échec n’était plus de mise. Et sa revanche était proche.
Le groupe de Drunes avait finit son conditionnement. Après un échange de regard avec le Crâne, le chef et ses compagnons se lancèrent dans l’ombre du bois qui les entourait, vers l’autre orée, où campaient leurs proies. Ils étaient pareils à des loups en colère, furieux et déterminés.
En soldat expérimenté, Ackyn redoutait la torpeur et le froid, qui engourdissent les veilles. Ils ralentissent les réflexes, quand ils ne provoquent pas un somme, la pire des fautes lors d’une garde. Souvent donc, il se levait, ravivait ses bras à la faible chaleur de son brasero. Il faisait aussi quelques pas autour.
Depuis que l’Elfe l’avait prévenu de ses pressentiments, le Capitaine était aux aguets. Il faisait confiance aux jugements de ce peuple mystérieux, dont les Sages arrivaient à prévenir les plus grandes catastrophes de la Passe. Il redoublait d’attention, et pourtant, rien n’arrivait.
Et puis un cri.
Ce cri d’alerte avait jailli du côté où l’escorte tenait la garde. Mû par ses réflexes, Ackyn sortit sa lame de son fourreau et dégaina un pistolet de défense. Il couru vers l’endroit d’où provenait l’alarme.
Il s’attendait à une bande décharnée, comme il en avait tant combattues. Au lieu de ça, l’escorte était submergée par une horde sauvage de barbares qu’il ne connaissait pas. En un coup d’œil exercé, il jaugea la situation. Elle était en faveur des assaillants. Malgré l’avertissement de l’Elfe, l’escorte manquait d’expérience. Elle pouvait faire face à des attaques de maraudeurs et de voleurs ; elle était dépassée contre une équipée de guerriers visiblement motivés. Il aperçut ses deux compagnons en prise avec ces barbares. Ils paraissaient s’en sortir très convenablement. Il trouva curieux qu’une paysanne, même Akkylannienne, tire aussi bien le fer. Un craquement et des gargouillis le ramenèrent à l’instant présent. Il se retourna.
Une deuxième vague de barbares venait dans son dos. Un de ces Keltois venait de tuer un garde. Le malheureux avait bloqué la lourde hache avec sa hallebarde avant que les doigts crochus ne lui arrachent la glotte. Le Keltois fouillait la gorge ouverte, et Ackyn était horrifié. Lentement, continuant son ouvrage, le Drune leva les yeux vers lui. Un sourire mauvais ornait son visage. Brusquement, il laissa le cadavre et se jeta vers Ackyn. Une flèche en plein milieu du front arrêta sa charge. Ackyn prit le temps de tourner la tête. D’un mouvement rapide, il remercia l’Elfe, déjà aux prises avec un autre adversaire. Il fallait qu’il se ressaisisse. Qu’il fasse honneur à son rang.
Habité par cette nouvelle volonté, il se tenait prêt à repousser l’attaque sur ce flanc. Un nouveau Drune, les lèvres trempées de sang et de boue, remplaçait déjà l’autre. La lourde hache était prête à s’abattre sur le Barhan. A peine le barbare avait-il commencé son attaque que le cliquetis du chien se fit entendre. Un claquement et il s’effondrait, éventré par la décharge à bout portant. Le Capitaine eut le temps de ranger son pistolet vide et de se saisir du second. Deux autres venaient venger leurs camarades. Ackyn apercevait leurs yeux à travers les casques effrayants. Ils étaient noyés de haine. Rien à voir avec les orbites vides des pantins de Kaïber. Un frisson parcourut son dos. Il leva le poing chargé de poudre.
Les deux Drunes courraient en changeant de direction, pareils à ces loups affamés qui peuplaient les forêts les plus sauvages de la Baronnie. Ne voulant risquer de rater la cible, Ackyn attendait le dernier moment. Ils étaient désormais tout proches. Resserrant une poigne autour de son épée, l’autre pressait la détente. Touché à la gorge, l’adversaire le plus proche s’écroulait aux côtés des deux précédents. Ackyn n’avait pas le temps de souffler, le second enragé enjambait déjà ses prédécesseurs. Lui aussi tenait sa hache à deux mains, bien haute.
En un réflexe, Ackyn porta sa lame de travers, parant ainsi le premier assaut. Les vibrations du choc faisaient trembler son bras et déjà la hache remontait, menaçante. Les deux bras levés, le Drune dévoilait ses côtes, qui n’était pas couvertes par le plastron de métal. Elles saignaient par de multiples plaies. La répétition du motif fit penser à Ackyn que ça n’était pas des blessures. Ce fou avait lui même entaillé son corps avant la bataille ! La lame descendait à présent vers lui. Il para à nouveau, plus faiblement. Le Drune avait senti le relâchement d’Ackyn. Une de ses mains lâcha prise et Ackyn reçut un formidable coup à l’estomac. Le choc était rude et la cotte de maille n’empêchait pas la douleur d’envahir son corps. Une troisième fois, la hache se leva.
Se forçant à oublier son mal, Ackyn planta la cuisse. L’autre grogna mais la hache restait en mouvement. Ackyn retira sa pointe et para pour la troisième fois. Cette fois, il ne laissa pas le Drune reprendre l’initiative. D’un revers d’épée, il poussa la hache sur le côté, déséquilibrant le Keltois. Aussitôt, il donna un coup de pommeau dans le casque. Nouveau grognement du barbare, qui envoya une violente bourrasque dans l’épaule d’Ackyn, le faisant tomber à terre. Sûr de sa victoire, le Drune enleva son casque. Un filet de sang coulait de son front, encadrant ses yeux d’un nouveau tatouage. Des yeux de colère et de furie. La hache se leva et ses yeux se révulsèrent.
Il s’effondra. Une courte hache était plantée entre ses omoplates. A une petite distance, Ackyn aperçut son propriétaire : un formidable géant qui courrait vers lui, la tête et le corps couverts de métal semblable à des plaies terrifiantes, encadrés de puissants bras, dont l’un tenait la hache jumelle. Le Capitaine n’avait pas le temps de se relever qu’il était déjà sur lui. Ses cheveux formaient derrière le casque une énorme crinière, renforçant l’image d’un fauve sanguinaire. Et cette bête sauvage était devant lui, la hache à la main. Ackyn donna un coup d’épée sur le côté, que le géant paraît sans soucis. Un deuxième eût le même résultat. Ackyn se sentait perdu. Une flèche siffla, manqua la cible. Le colosse regarda d’où provenait la menace. Il hurla des ordres à des acolytes qui le suivaient.
L’occasion était trop belle. L’épée d’Ackyn se ficha dans l’énorme biceps de son adversaire. Aucun grognement ne ponctua cette victoire. Le chef Drune baissa son visage vers le Barhan. Sa main libre entoura la lame et la retira sans effort. Le sang jailli des doigts et du bras. Ensuite, il envoya un coup de pied dans la mâchoire d’Ackyn. La douleur qui enserrait sa tête remplaçait celle du ventre. Enveloppé dans cette affreuse sensation, Ackyn de Mâdinan aperçut un géant flou se baisser vers lui. Il murmura quelque chose à son oreille tandis qu’une nouvelle souffrance remontait son bras. Le flou se redressa.
Avant de perdre conscience, Ackyn devinait que le Keltois mettait quelque chose dans une sacoche à sa ceinture. Il leva son bras gauche. L’index n’y était plus. Il sombra dans la douleur.
Le meneur évita une nouvelle flèche avant de charger le Barhan sur son épaule et de s’en retourner dans l’ombre du bois. Un signe de tête à un de ses seconds, et ce dernier lança un sifflement. La meute se replia.
Leene retira son poignard du cœur du Drune à ses pieds. D’un coup d’œil circulaire, elle constatait l’ampleur de la dévastation. Les Drunes avaient fait un carnage. Autour d’elle, deux corps de l’escorte gisaient, l’un sans tête, l’autre sans bras. Elle ne comprenait pas cette attaque. Les Drunes n’avaient jamais attaqué si loin. D’ailleurs, ils auraient été repérés bien avant. Et pourquoi s’en prendre à cette caravane et repartir si vite. Ce clan avait pour habitude de ne cesser le combat qu’au dernier combattant tombé, pour s’adonner ensuite à leurs pratiques répugnantes et nécrophages.
« - Ils sont venus pour notre ami. » Derrière elle, l’Elfe s’était rapproché. « J’ai essayé de le protéger, mais j’ai failli. Ils l’ont enlevé ! »
Leene regarda plus attentivement. Le Capitaine Ackyn de Mâdinan n’était pas visible. Elle demanda :
« - Pourquoi ? »
« - Je pense qu’ils étaient aux ordres de quelqu’un d’autre. Peut être quelqu’un que vous avez connu. Et je pense qu’il le voulait vivant. »
« - Sous-entendez-vous que j’ai qu… »
L’Elfe coupa brusquement la jeune femme.
« - Non. Je faisais allusion à votre rencontre sur les toits de Danéran. » Leene restait interdite. Il continua. « Ecoutez, arrêtons le petit jeu des cachotteries. Je connais les grandes lignes de votre mission. Les miennes sont similaires, l’intention de protéger au lieu d’éliminer. »
« - Vous m’insultez, Maître Elfe ! »
« - Non, je connais suffisamment les pensées et les méthodes des Inquisiteurs. Je respecte votre ordre, mais je ne cautionne pas la promptitude de ses décisions ni la certitude qu’il met dans ses jugements et ses sentences. »
« - C’est f… »
« - Peu m’importe que vous soyez d’accord ou non. Admettons que j’ai tort, si vous le préférez ainsi. Ce qui m’importe à présent est la survie de notre ami. Allez chercher votre paquetage. Je dis bien TOUT votre paquetage ! Je crains que vos contacts de la caravane n’aient trouvé plus forts qu’eux ce soir. »
Alors qu’elle se dirigeait vers leur campement, elle fit volte-face.
« - Pourquoi exactement faites-vous ceci ? »
« - J’ai une ballade à terminer, pardi ! »
popolman- Ermite crabe
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Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Leene émit un sifflement contrit et se précipita vers le chariot des Akkylaniens. Elle stoppa net en trouvant le convoi. Ses compatriotes n’avaient pas été épargnés par l’attaque. L’un était étendu sur le sol, décapité, le corps haché de coups furieux. Un autre, jeune, à peine un garçonnet, avait été empalé contre la voiture. La jeune femme s’approcha et retira la lance grossière qui l’épinglait. Le corps chuta lourdement. Elle l’allongea, lui joignant les mains.
« -Rejoins Mérin, enfant. Là t’attend la paix. »
Elle lui ferma les yeux.
L’elfe l’observait à la lueur des braseros tout en réapprovisionnant son carquois.
« -Non. Elle n’est pas que froid et tranchant. Je vois cément la douceur de son cœur. »
Leene commençait à s’harnacher, ignorant les regards atterrés des survivants, surpris de voir la jeune femme revêtir les attributs du terrible juge qu’elle était. Juge… Et bourreau.
L’elfe la contempla un moment. Fut-elle toujours ainsi ? Que serait-elle devenue, en d’autres temps, d’autres lieux ? N’aurait-elle pas été bonheur et joie, plutôt que tristesse et mort ?
Il ferma les yeux et articula silencieusement trois mots. Aussitôt, son esprit se fit clair, le libérant de ces tristes considérations. Voilà que ses souvenirs affluaient. Il s’attarda mélancoliquement sur certains d’entre eux, mais fini par se détourner, et se focalisa sur les plus récents… Son esprit les passait en revues dans une quiétude souveraine, les analysants en détail, tissant des liens entre eux pour s’approcher de la vérité. Mais la part d’ombre était encore trop importante…
« Ainsi en est-il des Ténèbres… Ils dévorent tout ce qu’ils touchent…Tous ceux qu’ils touchent…»
L’amertume de cette pensée brisa sa méditation.
« -Vos préparatifs sont-ils terminés, Dame Leene ? » Lança-t-il, les yeux toujours clos.
« -Ils le sont, Maître Elfe. »
Le Cynwäll ouvrit les yeux, découvrant pour la première fois la jeune femme dans ses atours guerriers. Son armure ciselée était parfaitement adaptée, sans surcharge de protections inutiles. Dans le même esprit, sa lame de jugement était bien moins imposante que celle de ses pairs… Mais l’elfe ne doutait pas qu’elle n’en était pas moins destructrice dans les mains de sa propriétaire. Il manquait cependant quelque chose.
« -Et votre masque ? » Questionna le baladin.
« -Je n’en a pas besoin. »
L’elfe constata avec surprise que les doux traits de Leene ne reflétaient maintenant plus qu’une sévérité glacée.
« -La Rose d’Acier est de retour » constata-t-il tristement.
Les Drunes se déplaçaient rapidement, courant à travers la forêt et écrasant de leurs foulées le tapis végétal de feuilles desséchées.
Le chef drune se porta à la hauteur du guerrier Crâne, qui ouvrait la voie.
« -Où donc nous conduisez-vous ? Nous devons retourner sur nos terres, désormais ! » Lança-t-il au ténébreux guerrier juché sur sa monture cadavérique.
« -Pas avant que le prisonnier ne soit livré à mon maître. N’oubliez pas les termes de notre contrat » répliqua le Crâne dans un souffle rauque.
Ackyn émergeait lentement des brumes de l’inconscience, mais sa vue était flouée par la fatigue et la douleur. Il était pendu, pieds et poings liés à une solide branche, elle-même portée par deux drunes qui marchaient à vive allure. Il devina à la lueur d’Yllia plus qu’il ne vit le reste de la colonne qui serpentait entre les racines et les talus à leur suite, porteurs de macabres trophées, fruit de leur rapide pillage.
Puis la douleur l’assaillie, comme si son corps se manifestait à son esprit. Il ressentait de multiples contusions, et l’étreinte des liens qui entaillaient sa peau à la moindre secousse. Mais plus que tout, son index le brûlait atrocement. On poussa son flanc, lui arrachant un gémissement.
« -Tu es réveillé, chevalier ? »
Hagard, le Bahran tenta de dévisager son interlocuteur, et leva les yeux sur le heaume surmonté de bois de cerf du Drune qui l’avait défait.
« -Tu es un piètre guerrier. Je ne comprend pas que l’on t’accorde autant d’importance » dit le barbare tout en palpant une bourse pendue à sa ceinture.
« -Bah, peu m’importe. Mais peut-être regretteras-tu notre compagnie lorsque nous t’aurons livré à tes nouveaux maîtres. »
Il s’en fut sur un rire moqueur.
Ackyn s’affaissa, se laissant ballotter par la marche chaotique. Ses nouveaux maîtres ? Mais qui donc déployait tous ces efforts contre lui ? Et dans quel but ?
« Je quitte un cauchemar pour en vivre un autre » songea-t-il amèrement. « Mon rêve me semblait pourtant si proche… »
La douleur et la fatigue eurent raison de sa conscience, et Ackyn sombra… Dans son esprit se
dessinaient les traits d’une jeune femme au regard de glace.
« -Plus vite, Leene ! Nous gagnons du terrain ! »
L’elfe se releva sèchement et poursuivit le chemin sylvestre fraîchement retourné par les bottes drunes. Montée sur le cheval d’Ackyn, l’Akkylanienne suivait l’elfe, dont le pas preste dénotait une détermination farouche. Les deux compagnons ne relâchaient pas leurs efforts, ne s’accordant aucun répit, poursuivant encore leur course dans les brumes matinales puis sous les pâles rayons de l’aurore. Ils touchaient bientôt au but.
<<
La Rose d’Acier et moi-même prenons les Keltois en chasse - Les évènements s’enchaînent selon les Hypothesis du Seigneur Kyrö - Cependant, les Ténèbres gênent la Lecture de l’Arborescence - je garde espoir de tirer le Lion de ce mauvais pas, comme nous le voulons - Nos alliés, eux, semblent adopter une attitude plus dogmatique - Je contiens ces ardeurs jusqu’à présent.
Salutations de rigueur.
>>
Teralon, tenait le compte-rendu télépathe, face au Chevalier Dragon en charge du détachement Cynwall, dans le bureau de ce dernier, près de la plate-forme d’envol dorée ouest. La perspicacité des Cynwë n’avait de cesse de l’étonner. Il leva son regard du parchemin et planta ses yeux dans ceux de Kyrö. Ils se regardèrent un instant sans rien dire, masque contre masque. Puis le Dragon brisa le silence.
« - Vous saisissez à présent pleinement la raison de mon invitation, je suppose. »
Dehors, seul le vent froid pouvait être entendu, en provenance de la Baronnie Maudite, comme toujours. La réponse du Griffon fut toute aussi glaciale.
« - Effectivement, il y a une divergence majeure ! Je savais que votre ordre avait mandaté un agent pour aider le notre, mais son infiltration a été remarquable. La « Rose d’Acier », pour reprendre votre terme, a du être assez surprise… »
Les drapeaux cynwë, effilochés par le souffle incessant de Kaïber, claquaient autour de la plateforme. L’Inquisiteur ne détachait pas ses yeux de son interlocuteur. A travers le masque, les deux traits gris clair sondaient les pensées du Cynwall. Il savait pourtant que cela était inutile. Ces Elfes avaient une parfaite maîtrise de leurs sentiments.
« - Votre « Nièce », si vous préférez cette dénomination, n’a pas été si dupe que ses rapports le montrent. Le Barhan – et c’est lui que nous voulons aider – a été beaucoup plus naïf. »
« - Quel Barhan ne l’est pas, pour accepter leurs croyances ? » dit-il après un soupir, las et désabusé. Sa main désigna l’ensemble des fortifications visibles à travers les vitres.
Quelques grains de poussière et de sable oubliés entre les larges dalles se faisaient balayer au dehors, venant frapper les hautes vitres du bureau du commandeur. La pique était facile, mais Teralon était à court d’argument. Il savait pertinemment que son homologue en savait beaucoup plus que ce qu’il laissait filtrer dans la discussion. Il fallait emprunter des sentiers que le Dragon n’aurait pas prévus.
« - Bref… Ne dérivons pas sur l’ésotérique, mon cher. En l’état, votre ordre souhaite-t-il ou non l’élimination du Capitaine ? »
Teralon sourcilla à peine. Il avait réussi ! En acceptant le rendez-vous, le Maître Inquisiteur avait imaginé ce sur quoi l’entretien pouvait déboucher. Et l’Elfe se mettait à découvert, confirmant l’une de ses suppositions. Il passa son doigt sur son masque, là où passait la cicatrice, sur son visage.
« - Vous n’êtes pas habilité à recevoir cette information, mon cher. »
Le Cynwall se rapprocha de son bureau, croisa les mains au dessus de son écritoire.
« - Allons, gagnons tous deux du temps… »
Le Maître Inquisiteur réfléchit un instant aux conséquences de sa réponse. Pouvait-il se permettre un tel écart de confiance vis-à-vis de sa protégée ?
Il se leva, se dirigea vers les magnifiques étagères chargées de livres et de parchemins qui occupaient chaque espace entre les fenêtres. Ses yeux passaient sur les précieux volumes chargés de connaissances mystérieuses. Somme toute, il valait mieux compter le Seigneur Kyrö parmi ses alliés, sur l’échiquier de la Forteresse. Leene comprendrait. Il en était sûr.
« - Oui, j’ai conseillé sa mort. Je suppose que vous le saviez déjà. Donc, que proposez-vous comme alternative ? »
[-]
« -Rejoins Mérin, enfant. Là t’attend la paix. »
Elle lui ferma les yeux.
L’elfe l’observait à la lueur des braseros tout en réapprovisionnant son carquois.
« -Non. Elle n’est pas que froid et tranchant. Je vois cément la douceur de son cœur. »
Leene commençait à s’harnacher, ignorant les regards atterrés des survivants, surpris de voir la jeune femme revêtir les attributs du terrible juge qu’elle était. Juge… Et bourreau.
L’elfe la contempla un moment. Fut-elle toujours ainsi ? Que serait-elle devenue, en d’autres temps, d’autres lieux ? N’aurait-elle pas été bonheur et joie, plutôt que tristesse et mort ?
Il ferma les yeux et articula silencieusement trois mots. Aussitôt, son esprit se fit clair, le libérant de ces tristes considérations. Voilà que ses souvenirs affluaient. Il s’attarda mélancoliquement sur certains d’entre eux, mais fini par se détourner, et se focalisa sur les plus récents… Son esprit les passait en revues dans une quiétude souveraine, les analysants en détail, tissant des liens entre eux pour s’approcher de la vérité. Mais la part d’ombre était encore trop importante…
« Ainsi en est-il des Ténèbres… Ils dévorent tout ce qu’ils touchent…Tous ceux qu’ils touchent…»
L’amertume de cette pensée brisa sa méditation.
« -Vos préparatifs sont-ils terminés, Dame Leene ? » Lança-t-il, les yeux toujours clos.
« -Ils le sont, Maître Elfe. »
Le Cynwäll ouvrit les yeux, découvrant pour la première fois la jeune femme dans ses atours guerriers. Son armure ciselée était parfaitement adaptée, sans surcharge de protections inutiles. Dans le même esprit, sa lame de jugement était bien moins imposante que celle de ses pairs… Mais l’elfe ne doutait pas qu’elle n’en était pas moins destructrice dans les mains de sa propriétaire. Il manquait cependant quelque chose.
« -Et votre masque ? » Questionna le baladin.
« -Je n’en a pas besoin. »
L’elfe constata avec surprise que les doux traits de Leene ne reflétaient maintenant plus qu’une sévérité glacée.
« -La Rose d’Acier est de retour » constata-t-il tristement.
Les Drunes se déplaçaient rapidement, courant à travers la forêt et écrasant de leurs foulées le tapis végétal de feuilles desséchées.
Le chef drune se porta à la hauteur du guerrier Crâne, qui ouvrait la voie.
« -Où donc nous conduisez-vous ? Nous devons retourner sur nos terres, désormais ! » Lança-t-il au ténébreux guerrier juché sur sa monture cadavérique.
« -Pas avant que le prisonnier ne soit livré à mon maître. N’oubliez pas les termes de notre contrat » répliqua le Crâne dans un souffle rauque.
Ackyn émergeait lentement des brumes de l’inconscience, mais sa vue était flouée par la fatigue et la douleur. Il était pendu, pieds et poings liés à une solide branche, elle-même portée par deux drunes qui marchaient à vive allure. Il devina à la lueur d’Yllia plus qu’il ne vit le reste de la colonne qui serpentait entre les racines et les talus à leur suite, porteurs de macabres trophées, fruit de leur rapide pillage.
Puis la douleur l’assaillie, comme si son corps se manifestait à son esprit. Il ressentait de multiples contusions, et l’étreinte des liens qui entaillaient sa peau à la moindre secousse. Mais plus que tout, son index le brûlait atrocement. On poussa son flanc, lui arrachant un gémissement.
« -Tu es réveillé, chevalier ? »
Hagard, le Bahran tenta de dévisager son interlocuteur, et leva les yeux sur le heaume surmonté de bois de cerf du Drune qui l’avait défait.
« -Tu es un piètre guerrier. Je ne comprend pas que l’on t’accorde autant d’importance » dit le barbare tout en palpant une bourse pendue à sa ceinture.
« -Bah, peu m’importe. Mais peut-être regretteras-tu notre compagnie lorsque nous t’aurons livré à tes nouveaux maîtres. »
Il s’en fut sur un rire moqueur.
Ackyn s’affaissa, se laissant ballotter par la marche chaotique. Ses nouveaux maîtres ? Mais qui donc déployait tous ces efforts contre lui ? Et dans quel but ?
« Je quitte un cauchemar pour en vivre un autre » songea-t-il amèrement. « Mon rêve me semblait pourtant si proche… »
La douleur et la fatigue eurent raison de sa conscience, et Ackyn sombra… Dans son esprit se
dessinaient les traits d’une jeune femme au regard de glace.
« -Plus vite, Leene ! Nous gagnons du terrain ! »
L’elfe se releva sèchement et poursuivit le chemin sylvestre fraîchement retourné par les bottes drunes. Montée sur le cheval d’Ackyn, l’Akkylanienne suivait l’elfe, dont le pas preste dénotait une détermination farouche. Les deux compagnons ne relâchaient pas leurs efforts, ne s’accordant aucun répit, poursuivant encore leur course dans les brumes matinales puis sous les pâles rayons de l’aurore. Ils touchaient bientôt au but.
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La Rose d’Acier et moi-même prenons les Keltois en chasse - Les évènements s’enchaînent selon les Hypothesis du Seigneur Kyrö - Cependant, les Ténèbres gênent la Lecture de l’Arborescence - je garde espoir de tirer le Lion de ce mauvais pas, comme nous le voulons - Nos alliés, eux, semblent adopter une attitude plus dogmatique - Je contiens ces ardeurs jusqu’à présent.
Salutations de rigueur.
>>
Teralon, tenait le compte-rendu télépathe, face au Chevalier Dragon en charge du détachement Cynwall, dans le bureau de ce dernier, près de la plate-forme d’envol dorée ouest. La perspicacité des Cynwë n’avait de cesse de l’étonner. Il leva son regard du parchemin et planta ses yeux dans ceux de Kyrö. Ils se regardèrent un instant sans rien dire, masque contre masque. Puis le Dragon brisa le silence.
« - Vous saisissez à présent pleinement la raison de mon invitation, je suppose. »
Dehors, seul le vent froid pouvait être entendu, en provenance de la Baronnie Maudite, comme toujours. La réponse du Griffon fut toute aussi glaciale.
« - Effectivement, il y a une divergence majeure ! Je savais que votre ordre avait mandaté un agent pour aider le notre, mais son infiltration a été remarquable. La « Rose d’Acier », pour reprendre votre terme, a du être assez surprise… »
Les drapeaux cynwë, effilochés par le souffle incessant de Kaïber, claquaient autour de la plateforme. L’Inquisiteur ne détachait pas ses yeux de son interlocuteur. A travers le masque, les deux traits gris clair sondaient les pensées du Cynwall. Il savait pourtant que cela était inutile. Ces Elfes avaient une parfaite maîtrise de leurs sentiments.
« - Votre « Nièce », si vous préférez cette dénomination, n’a pas été si dupe que ses rapports le montrent. Le Barhan – et c’est lui que nous voulons aider – a été beaucoup plus naïf. »
« - Quel Barhan ne l’est pas, pour accepter leurs croyances ? » dit-il après un soupir, las et désabusé. Sa main désigna l’ensemble des fortifications visibles à travers les vitres.
Quelques grains de poussière et de sable oubliés entre les larges dalles se faisaient balayer au dehors, venant frapper les hautes vitres du bureau du commandeur. La pique était facile, mais Teralon était à court d’argument. Il savait pertinemment que son homologue en savait beaucoup plus que ce qu’il laissait filtrer dans la discussion. Il fallait emprunter des sentiers que le Dragon n’aurait pas prévus.
« - Bref… Ne dérivons pas sur l’ésotérique, mon cher. En l’état, votre ordre souhaite-t-il ou non l’élimination du Capitaine ? »
Teralon sourcilla à peine. Il avait réussi ! En acceptant le rendez-vous, le Maître Inquisiteur avait imaginé ce sur quoi l’entretien pouvait déboucher. Et l’Elfe se mettait à découvert, confirmant l’une de ses suppositions. Il passa son doigt sur son masque, là où passait la cicatrice, sur son visage.
« - Vous n’êtes pas habilité à recevoir cette information, mon cher. »
Le Cynwall se rapprocha de son bureau, croisa les mains au dessus de son écritoire.
« - Allons, gagnons tous deux du temps… »
Le Maître Inquisiteur réfléchit un instant aux conséquences de sa réponse. Pouvait-il se permettre un tel écart de confiance vis-à-vis de sa protégée ?
Il se leva, se dirigea vers les magnifiques étagères chargées de livres et de parchemins qui occupaient chaque espace entre les fenêtres. Ses yeux passaient sur les précieux volumes chargés de connaissances mystérieuses. Somme toute, il valait mieux compter le Seigneur Kyrö parmi ses alliés, sur l’échiquier de la Forteresse. Leene comprendrait. Il en était sûr.
« - Oui, j’ai conseillé sa mort. Je suppose que vous le saviez déjà. Donc, que proposez-vous comme alternative ? »
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popolman- Ermite crabe
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Age : 42
Localisation : Généralement sur Terre, mais pas toujours
Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Les traces étaient faciles à suivre : les Drunes avaient opté pour la vitesse. L’aube était passée et la piste continuait, de plus en plus fraîche. Ils étaient sortis du bois, avaient traversé des plaines et d’autres bois. A présent, ils se dirigeaient vers un groupe de bâtiments, un hameau abandonné. Les premières habitations qu’ils croisaient. Leene fit soudain arrêter sa monture et sauta à terre. Elle appela l’Elfe à ses côtés.
« - Les Ténèbres sont à l’œuvre dans le village, où l’ont été récemment. Je ressens leurs pulsations morbides au travers de ma lame. »
Désormais sur leurs gardes, ils entrèrent entre les pauvres maisonnettes défoncées par le temps. Pas un bruit ne venait perturber le lieu. Après avoir porté son regard tout autour, l’Elfe s’approcha de l’Inquisitrice.
« - Il n’y a plus personne ici… »
Leene était par nature beaucoup plus prudente. Par nature, ou par habitude ?
« - Le Crâne nous tend peut être un piège ! » relança-t-elle pour se soustraire à ce questionnement intérieur de plus en plus oppressant.
« - Je ne pense pas. Il nous aurait déjà attaqué. Que pourrions-nous faire à deux contre une telle bande ?… Non, je pense qu’ils sont partis. Mais j’ignore où est la source… »
Leene admit la justesse de ces arguments. Elle l’apostropha tandis qu’il passait la main sur le sol.
« - Je prends les bâtiments de gauche et vous ceux de droite.»
Suite à quoi elle se dirigea vers la première bâtisse. La plus grande confusion régnait dans ses pensées. Quelle part prenait son sacerdoce dans sa vie, dans la façon dont elle appréhendait toute chose ? Son maître le lui avait pourtant appris. Il ne fallait jamais laisser un trouble personnel influencer une action, un comportement. Était-ce là la leçon qu’il lui avait promise à l’issue de cette mission ? Pouvoir déceler ce qui relevait de sa propre personnalité ou de son allégeance envers l’Église de Merin ?
Se focaliser sur sa mission ! Sa mission, désormais très claire ! Mais elle ne pouvait empêcher la sympathie qu’elle avait développée envers Ackyn de venir compliquer cette consigne. L’Elfe semblait encore défendre le Barhan. Elle en était à démêler toutes ces réflexions quand elle poussa la porte pourrie du deuxième bâtiment. L’odeur ne la frappa qu’après qu’elle eut vu la scène. Une pure horreur !
Elle sortit à l’air frais et appela son compagnon.
« - Et bien nous savons maintenant où a été ouvert le Portail. Il semble évident que ces barbares ne connaissaient pas le processus d’appel. Le souffle ténèbraïque les a brûlés vifs. » dit-il devant les corps calcinés, projetés aux quatre coins.
« - Les survivants ont dû passer de l’autre côté, mais cela peut être n’importe où ! »
Leene poussa un grognement de frustration, tandis que son poing frappait un des murs proches. Du crépi brûlé tomba sur le sol. L’Elfe l’observa, puis rompit le silence.
« - Leene, puis-je vous poser une question d’ordre personnel ? » Il portait à nouveau sur elle ce regard étrange, entre malice et suspicion.
Leene ne savait pas ce que cachait l’attitude de son compagnon. Il n’avait jamais fait preuve de tact auparavant. Elle hocha la tête. L’Elfe se frotta la tempe avant de continuer.
« - J’ai besoin d’apprécier votre niveau de tolérance,… votre ouverture d’esprit… avant de vous montrer pourquoi c’est moi qui ait été envoyé ici, et nul autre des miens. Je serais direct : avez-vous déjà manipulé les Ténèbres ? »
Leene resta interloqué un moment, mais l’expression de surprise qu’elle abordait fût bien tôt remplacée par le masque de sévérité froide que l’elfe lui connaissait.
« -Vous… »
La voix de Leene n’aurait pas pu être chargée de plus de haine. Le feulement du métal se fit entendre alors que l’inquisitrice dégainait sa lame de jugement. Les runes à la base de l’arme semblaient luire en réponse à la fureur de la jeune femme.
« -Vous êtes… Un traître !!! »
L’elfe hocha la tête, les yeux clos ;
« -J’avais crû… Je me suis trompé. » Il secoua la tête, puis la fixa d’un regard triste.
« -Je n’ai jamais servi les Ténèbres »
« -Mensonges ! »
Leene chargea, décochant à l’elfe un coup de taille, qu’il évita d’une roulade de côté.
« -Leene, je vous en prie … Ecoutez moi ! »
« -Silence ! »
Cette charge fut encore plus brutale que la précédente. L’elfe esquiva plusieurs passes, mais son adversaire fini par perdre patience, et se lança sur lui, l’écrasant de tout son poids contre le mur. Elle fit jouer Thémis sur la gorge du baladin.
« -Repens toi maintenant, ou meurs impardonné » lui souffla-t-elle, les dents serrées.
Le regard de l’elfe se plongea une fois encore dans les yeux glacés de l’inquisitrice.
« -Je suis désolé, Leene. »
L’Akkylanienne hésita, puis senti le contact de la main de l’elfe sur son abdomen. Elle redressa la tête.
«-Ne me… »
« Vous ne me laissez pas le choix » continua l’elfe, amère.
Une onde de douleur atroce submergea la jeune femme alors que l’elfe déversait sur elle le pouvoir de sa gemme de Ténèbres. Des arcs électriques violacés parcouraient son corps, pris dans un brouillard noir qui la maintenait en l’air. La douleur… La douleur, la douleur ! L’inquisitrice lâcha son arme et hurla de toutes ses forces alors que la magie noire consumait le moindre de ses muscles et fulgurait par ses os.
« -Assez ! »
L’elfe rompit le maléfice, bouleversé. Leene chuta à terre, gémissant de souffrance. L’elfe se jeta à genoux et l’enserra dans ses bras.
« -Leene… Pardon… Pardonnez moi. » Il écarta une mèche qui couvrait son visage « Nous ne sommes pas ennemies… Non… Nous devons remplir notre mission… Nous devons trouver Ackyn… »
La jeune femme leva le regard sur l’elfe, la respiration sifflante. Elle le fixa un moment, puis acquiesça.
Ackyn émergeait peu à peu des méandres qu’avait traversé son esprit. La douleur avait disparu. Il était allongé sur une sorte d’autel. Il ouvrit progressivement les yeux, craignant l’agressive clarté du jour, mais seules étaient les ténèbres, douce et tiède pénombre que le chevalier n’aurait jamais voulu quitter. On l’avait dépouillé de ses vêtements et recouvert d’un lourd drap pourpre. Du coin de l’œil, il pouvait discerner un doux feu qui finissait de se consumer dans l’âtre, éclairant de sa lumière blafarde une salle ovale bordée de colonnes, enrichie de tentures du même ton que le drap qui le bordait. Le Bahran contempla un moment la richesse de la pièce. Les colonnes aux chapiteaux délicatement ciselées soutenaient une voûte enluminée de frises entrelacées. De somptueuses sculptures d’hommes et de femmes drapés ornaient les niches emménagées dans les murs. Le froufroutement d’une tenture le tira de son examen. Une voix féminine s’éleva, douce et onctueuse dans le silence feutré.
« -Es-tu réveillé ? »
Ackyn tourna la tête en direction de la voix, mais ne perçu de la femme qu’un pan de robe noire flottant à sa suite.
« -Où suis-je ? » Répondit-il comme dans un rêve.
« -Tu es en mon château, en sécurité. Ne t’inquiète pas ; je veille sur toi. »
Ces mots dissipèrent tous doutes dans l’esprit d’Ackyn. Il se dérida.
« -J’ai pour habitude de veiller sur les autres, ma dame. Non que l’on veille sur moi… »
Le rire cristallin de son invisible interlocutrice résonna dans la salle.
« -Vous semblez pourtant si vulnérable à cette heure, chevalier », dit-elle d’un ton moqueur, « Laissez-moi donc vous protéger pour l’instant. »
Elle entra enfin dans le champ de vision d’Ackyn. Sa longue chevelure de bronze reposait dans son dos, se mariant à merveille avec son teint. Elle s’inclina, et Ackyn sombra dans deux lacs d’émeraudes chatoyants. Les douces lèvres teintées d’ocre s’ouvrirent à nouveau.
« -Ne te tourmente point l’esprit. Tu auras bientôt réponse à toutes tes questions. Repose toi. » Elle lui sourit
« -N’aie crainte. Je veille sur toi. »
« - Les Ténèbres sont à l’œuvre dans le village, où l’ont été récemment. Je ressens leurs pulsations morbides au travers de ma lame. »
Désormais sur leurs gardes, ils entrèrent entre les pauvres maisonnettes défoncées par le temps. Pas un bruit ne venait perturber le lieu. Après avoir porté son regard tout autour, l’Elfe s’approcha de l’Inquisitrice.
« - Il n’y a plus personne ici… »
Leene était par nature beaucoup plus prudente. Par nature, ou par habitude ?
« - Le Crâne nous tend peut être un piège ! » relança-t-elle pour se soustraire à ce questionnement intérieur de plus en plus oppressant.
« - Je ne pense pas. Il nous aurait déjà attaqué. Que pourrions-nous faire à deux contre une telle bande ?… Non, je pense qu’ils sont partis. Mais j’ignore où est la source… »
Leene admit la justesse de ces arguments. Elle l’apostropha tandis qu’il passait la main sur le sol.
« - Je prends les bâtiments de gauche et vous ceux de droite.»
Suite à quoi elle se dirigea vers la première bâtisse. La plus grande confusion régnait dans ses pensées. Quelle part prenait son sacerdoce dans sa vie, dans la façon dont elle appréhendait toute chose ? Son maître le lui avait pourtant appris. Il ne fallait jamais laisser un trouble personnel influencer une action, un comportement. Était-ce là la leçon qu’il lui avait promise à l’issue de cette mission ? Pouvoir déceler ce qui relevait de sa propre personnalité ou de son allégeance envers l’Église de Merin ?
Se focaliser sur sa mission ! Sa mission, désormais très claire ! Mais elle ne pouvait empêcher la sympathie qu’elle avait développée envers Ackyn de venir compliquer cette consigne. L’Elfe semblait encore défendre le Barhan. Elle en était à démêler toutes ces réflexions quand elle poussa la porte pourrie du deuxième bâtiment. L’odeur ne la frappa qu’après qu’elle eut vu la scène. Une pure horreur !
Elle sortit à l’air frais et appela son compagnon.
« - Et bien nous savons maintenant où a été ouvert le Portail. Il semble évident que ces barbares ne connaissaient pas le processus d’appel. Le souffle ténèbraïque les a brûlés vifs. » dit-il devant les corps calcinés, projetés aux quatre coins.
« - Les survivants ont dû passer de l’autre côté, mais cela peut être n’importe où ! »
Leene poussa un grognement de frustration, tandis que son poing frappait un des murs proches. Du crépi brûlé tomba sur le sol. L’Elfe l’observa, puis rompit le silence.
« - Leene, puis-je vous poser une question d’ordre personnel ? » Il portait à nouveau sur elle ce regard étrange, entre malice et suspicion.
Leene ne savait pas ce que cachait l’attitude de son compagnon. Il n’avait jamais fait preuve de tact auparavant. Elle hocha la tête. L’Elfe se frotta la tempe avant de continuer.
« - J’ai besoin d’apprécier votre niveau de tolérance,… votre ouverture d’esprit… avant de vous montrer pourquoi c’est moi qui ait été envoyé ici, et nul autre des miens. Je serais direct : avez-vous déjà manipulé les Ténèbres ? »
Leene resta interloqué un moment, mais l’expression de surprise qu’elle abordait fût bien tôt remplacée par le masque de sévérité froide que l’elfe lui connaissait.
« -Vous… »
La voix de Leene n’aurait pas pu être chargée de plus de haine. Le feulement du métal se fit entendre alors que l’inquisitrice dégainait sa lame de jugement. Les runes à la base de l’arme semblaient luire en réponse à la fureur de la jeune femme.
« -Vous êtes… Un traître !!! »
L’elfe hocha la tête, les yeux clos ;
« -J’avais crû… Je me suis trompé. » Il secoua la tête, puis la fixa d’un regard triste.
« -Je n’ai jamais servi les Ténèbres »
« -Mensonges ! »
Leene chargea, décochant à l’elfe un coup de taille, qu’il évita d’une roulade de côté.
« -Leene, je vous en prie … Ecoutez moi ! »
« -Silence ! »
Cette charge fut encore plus brutale que la précédente. L’elfe esquiva plusieurs passes, mais son adversaire fini par perdre patience, et se lança sur lui, l’écrasant de tout son poids contre le mur. Elle fit jouer Thémis sur la gorge du baladin.
« -Repens toi maintenant, ou meurs impardonné » lui souffla-t-elle, les dents serrées.
Le regard de l’elfe se plongea une fois encore dans les yeux glacés de l’inquisitrice.
« -Je suis désolé, Leene. »
L’Akkylanienne hésita, puis senti le contact de la main de l’elfe sur son abdomen. Elle redressa la tête.
«-Ne me… »
« Vous ne me laissez pas le choix » continua l’elfe, amère.
Une onde de douleur atroce submergea la jeune femme alors que l’elfe déversait sur elle le pouvoir de sa gemme de Ténèbres. Des arcs électriques violacés parcouraient son corps, pris dans un brouillard noir qui la maintenait en l’air. La douleur… La douleur, la douleur ! L’inquisitrice lâcha son arme et hurla de toutes ses forces alors que la magie noire consumait le moindre de ses muscles et fulgurait par ses os.
« -Assez ! »
L’elfe rompit le maléfice, bouleversé. Leene chuta à terre, gémissant de souffrance. L’elfe se jeta à genoux et l’enserra dans ses bras.
« -Leene… Pardon… Pardonnez moi. » Il écarta une mèche qui couvrait son visage « Nous ne sommes pas ennemies… Non… Nous devons remplir notre mission… Nous devons trouver Ackyn… »
La jeune femme leva le regard sur l’elfe, la respiration sifflante. Elle le fixa un moment, puis acquiesça.
Ackyn émergeait peu à peu des méandres qu’avait traversé son esprit. La douleur avait disparu. Il était allongé sur une sorte d’autel. Il ouvrit progressivement les yeux, craignant l’agressive clarté du jour, mais seules étaient les ténèbres, douce et tiède pénombre que le chevalier n’aurait jamais voulu quitter. On l’avait dépouillé de ses vêtements et recouvert d’un lourd drap pourpre. Du coin de l’œil, il pouvait discerner un doux feu qui finissait de se consumer dans l’âtre, éclairant de sa lumière blafarde une salle ovale bordée de colonnes, enrichie de tentures du même ton que le drap qui le bordait. Le Bahran contempla un moment la richesse de la pièce. Les colonnes aux chapiteaux délicatement ciselées soutenaient une voûte enluminée de frises entrelacées. De somptueuses sculptures d’hommes et de femmes drapés ornaient les niches emménagées dans les murs. Le froufroutement d’une tenture le tira de son examen. Une voix féminine s’éleva, douce et onctueuse dans le silence feutré.
« -Es-tu réveillé ? »
Ackyn tourna la tête en direction de la voix, mais ne perçu de la femme qu’un pan de robe noire flottant à sa suite.
« -Où suis-je ? » Répondit-il comme dans un rêve.
« -Tu es en mon château, en sécurité. Ne t’inquiète pas ; je veille sur toi. »
Ces mots dissipèrent tous doutes dans l’esprit d’Ackyn. Il se dérida.
« -J’ai pour habitude de veiller sur les autres, ma dame. Non que l’on veille sur moi… »
Le rire cristallin de son invisible interlocutrice résonna dans la salle.
« -Vous semblez pourtant si vulnérable à cette heure, chevalier », dit-elle d’un ton moqueur, « Laissez-moi donc vous protéger pour l’instant. »
Elle entra enfin dans le champ de vision d’Ackyn. Sa longue chevelure de bronze reposait dans son dos, se mariant à merveille avec son teint. Elle s’inclina, et Ackyn sombra dans deux lacs d’émeraudes chatoyants. Les douces lèvres teintées d’ocre s’ouvrirent à nouveau.
« -Ne te tourmente point l’esprit. Tu auras bientôt réponse à toutes tes questions. Repose toi. » Elle lui sourit
« -N’aie crainte. Je veille sur toi. »
popolman- Ermite crabe
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Localisation : Généralement sur Terre, mais pas toujours
Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Son univers n’était que douleur !
Souffrances et tourments !
La brûlure qui avait envahi son esprit lorsque le Keltois l’avait amputé n’était qu’une farce au regard de ce qui l’habitait à présent. De morbides vases communiquant jouaient avec lui : D’un côté, il sentait son esprit se retirer hors de son corps ; de l’autre, il sentait que cette enveloppe charnelle se remplissait au fur et à mesure d’une noirceur sans nom.
Et cette noirceur, qui prenait le pas sur son âme, portait en elle toutes les tortures possibles et les étendait à chacune des fibres qu’avaient été le Chevalier Ackyn de Madinân. Bientôt, il ne serait plus rien, il incarnerait simplement et tout à fait cette douleur.
Il réalisait à présent la vanité dont il avait fait preuve. Toute cette course au succès et à la reconnaissance qui le guidait depuis sa première victoire à Kaïber était ridicule. Elle avait été le fil qui l’avait mené sur cet autel. La blessure d’orgueil donnée par le Guerrier Crâne, que le baladin elfe avait réveillée au plus profond de ses souvenirs n’avait fait que nourrir cette envie d’être l’égal des plus valeureux héros que vantaient les légendes de son enfance. Et cette envie aussi l’avait mené sur le marbre glacial.
Il avait été le jouet de la Lumière.
Il avait été le jouet des Ténèbres.
A présent, le jeu prenait fin et les Ténèbres l’emportaient.
Il repensait aux lignes qu’il écrivait dans son journal. Comme il avait été clairvoyant : se battre contre une telle puissance était inutile !
Apogée de l’ironie ! Le seul mérite de ceux qui se battaient à la Faille était de rendre leur liberté à ceux qu’ils allaient remplacer tôt ou tard. Car il savait maintenant à quel point il délivrait ceux qui avaient été ses semblables, quand son épée brisait les pantins. Comme les siennes, leurs pensées ne devaient plus être qu’un vortex malade, une vrille de torture sans fin.
Ce n’était qu’une question de temps, et les Nécromants avaient toute l’éternité accordée par les Ténèbres…
Ackyn avait tantôt haï ces traîtres du Bélier, tantôt envié. Maintenant, il n’éprouvait qu’une sourde apathie pour ces sorciers qui jouaient avec le sombre Principe. Car en fait, ce sont les Ténèbres qui jouaient avec eux comme avec lui.
Et ainsi tous étaient dans les mains de ce que chacun pensait maîtriser. Les grandes figures d’autrefois, comme les seigneurs d’aujourd’hui, il en était désormais certain, étaient manipulés par les causes qu’ils servaient, nobles ou corrompues.
Telle fut la dernière pensée du Chevalier Ackyn de Madinân, avant que son univers ne s’abandonne totalement à la douleur, aux souffrances et aux tourments.
_________________
La nécromancienne observa un moment encore son captif alité. Le rituel s’avérait inefficace. Sa magie avait été impuissante, non pas contrée comme l’on aurait pu s’y attendre face à un serviteur de la lumière, mais absorbée, dévorée par une entité ténébreuse affamée et privée depuis longtemps de sa source vitale. Elle caressa rêveusement la joue du Bahran d’un doigt délicat.
« -Je pensais savoir qui tu étais, mais tu l’ignores toi-même… »
Elle se pencha sur le visage paisible d’Ackyn.
« -Je t’aiderais à découvrir ta vrai nature. Tu ne seras pas l’un de mes pions, non. »
Elle le considéra. Un géhénnide ! Un être dont l’âme elle-même était inextricablement lié aux Ténèbres… Quelle ironie... Ce preux chevalier se battait contre cela même dont il était issu. Comme il avait dû souffrir, déchiré entre les deux principes, obligé de servir l’un pour mieux refouler l’autre… Il pouvait devenir puissant. A travers elle, il pourrait atteindre une puissance inaccessible à quiconque. Mais il pourrait alors la consumer, elle… Non, il n’était qu’un homme. Elle le contrôlerait.
Elle posa sa tête sur la poitrine du Bahran, écoutant les battements réguliers de son cœur.
« -Je ferais de toi l’être le plus redouté du Bélier, Ackyn de Mâdinan… Et alors, plus personne ne s’opposera à moi. »
Mais cette entrée en la matière ne convenait pas… Elle pencha sa tête de côté, méditant. Elle trouva bientôt une solution amusante, et se permit un léger sourire.
Il s’était enfin réveillé. Elle pouvait le voir, qui, désorienté, tournait la tête de droite et de gauche, scrutant la salle qui l’entourait. Il était temps pour elle de faire son entrée. Ecartant une tenture, elle pénétra dans la pièce.
« -Es-tu réveillé ? »
Le même ton, les mêmes mots. Elle se déplaça, se mettant sciemment hors de sa vue.
« -Où suis-je ? » Répondit-il faiblement.
« -Tu es en mon domaine, en sécurité. Ne t’inquiète pas, je veille sur toi. »
La nécromancienne calculait la moindre de ses paroles. Il fallait endormir sa méfiance, se poser comme alliée fidèle et indéfectible. Dissiper une ancienne réalité dans les brumes d’un songe.
« -J’ai pour habitude de veiller sur les autres, ma Dame. Non que l’on veille sur moi… »
La réplique était toujours aussi cocasse. Elle repris son jeu.
« -Vous semblez pourtant si vulnérable à cette heure, chevalier… Laissez moi donc vous protéger pour l’instant. »
Elle se dévoila enfin à lui. Son regard se posa sur elle. Il était captivé ; elle le savait déjà… Elle surpris une ombre dans son regard…
« -Je… »
Maintenant !
« -Ne te tourmente point l’esprit. Tu auras bientôt réponse à toutes tes questions. Repose toi. »
Elle avait mis toute la douceur dont elle était capable dans ces mots. Il se détendit progressivement, les yeux fixés sur les siens. Elle lui sourit.
« -N’aie crainte. Je veille sur toi. »
Il s’assoupit. Pauvre innocent, pris dans les charmes de la sorcière…
« -Je te guiderai, Ackyn »murmura-t-elle…
…
Elle quitta les lieux, étrangement troublée.
Souffrances et tourments !
La brûlure qui avait envahi son esprit lorsque le Keltois l’avait amputé n’était qu’une farce au regard de ce qui l’habitait à présent. De morbides vases communiquant jouaient avec lui : D’un côté, il sentait son esprit se retirer hors de son corps ; de l’autre, il sentait que cette enveloppe charnelle se remplissait au fur et à mesure d’une noirceur sans nom.
Et cette noirceur, qui prenait le pas sur son âme, portait en elle toutes les tortures possibles et les étendait à chacune des fibres qu’avaient été le Chevalier Ackyn de Madinân. Bientôt, il ne serait plus rien, il incarnerait simplement et tout à fait cette douleur.
Il réalisait à présent la vanité dont il avait fait preuve. Toute cette course au succès et à la reconnaissance qui le guidait depuis sa première victoire à Kaïber était ridicule. Elle avait été le fil qui l’avait mené sur cet autel. La blessure d’orgueil donnée par le Guerrier Crâne, que le baladin elfe avait réveillée au plus profond de ses souvenirs n’avait fait que nourrir cette envie d’être l’égal des plus valeureux héros que vantaient les légendes de son enfance. Et cette envie aussi l’avait mené sur le marbre glacial.
Il avait été le jouet de la Lumière.
Il avait été le jouet des Ténèbres.
A présent, le jeu prenait fin et les Ténèbres l’emportaient.
Il repensait aux lignes qu’il écrivait dans son journal. Comme il avait été clairvoyant : se battre contre une telle puissance était inutile !
Apogée de l’ironie ! Le seul mérite de ceux qui se battaient à la Faille était de rendre leur liberté à ceux qu’ils allaient remplacer tôt ou tard. Car il savait maintenant à quel point il délivrait ceux qui avaient été ses semblables, quand son épée brisait les pantins. Comme les siennes, leurs pensées ne devaient plus être qu’un vortex malade, une vrille de torture sans fin.
Ce n’était qu’une question de temps, et les Nécromants avaient toute l’éternité accordée par les Ténèbres…
Ackyn avait tantôt haï ces traîtres du Bélier, tantôt envié. Maintenant, il n’éprouvait qu’une sourde apathie pour ces sorciers qui jouaient avec le sombre Principe. Car en fait, ce sont les Ténèbres qui jouaient avec eux comme avec lui.
Et ainsi tous étaient dans les mains de ce que chacun pensait maîtriser. Les grandes figures d’autrefois, comme les seigneurs d’aujourd’hui, il en était désormais certain, étaient manipulés par les causes qu’ils servaient, nobles ou corrompues.
Telle fut la dernière pensée du Chevalier Ackyn de Madinân, avant que son univers ne s’abandonne totalement à la douleur, aux souffrances et aux tourments.
_________________
La nécromancienne observa un moment encore son captif alité. Le rituel s’avérait inefficace. Sa magie avait été impuissante, non pas contrée comme l’on aurait pu s’y attendre face à un serviteur de la lumière, mais absorbée, dévorée par une entité ténébreuse affamée et privée depuis longtemps de sa source vitale. Elle caressa rêveusement la joue du Bahran d’un doigt délicat.
« -Je pensais savoir qui tu étais, mais tu l’ignores toi-même… »
Elle se pencha sur le visage paisible d’Ackyn.
« -Je t’aiderais à découvrir ta vrai nature. Tu ne seras pas l’un de mes pions, non. »
Elle le considéra. Un géhénnide ! Un être dont l’âme elle-même était inextricablement lié aux Ténèbres… Quelle ironie... Ce preux chevalier se battait contre cela même dont il était issu. Comme il avait dû souffrir, déchiré entre les deux principes, obligé de servir l’un pour mieux refouler l’autre… Il pouvait devenir puissant. A travers elle, il pourrait atteindre une puissance inaccessible à quiconque. Mais il pourrait alors la consumer, elle… Non, il n’était qu’un homme. Elle le contrôlerait.
Elle posa sa tête sur la poitrine du Bahran, écoutant les battements réguliers de son cœur.
« -Je ferais de toi l’être le plus redouté du Bélier, Ackyn de Mâdinan… Et alors, plus personne ne s’opposera à moi. »
Mais cette entrée en la matière ne convenait pas… Elle pencha sa tête de côté, méditant. Elle trouva bientôt une solution amusante, et se permit un léger sourire.
Il s’était enfin réveillé. Elle pouvait le voir, qui, désorienté, tournait la tête de droite et de gauche, scrutant la salle qui l’entourait. Il était temps pour elle de faire son entrée. Ecartant une tenture, elle pénétra dans la pièce.
« -Es-tu réveillé ? »
Le même ton, les mêmes mots. Elle se déplaça, se mettant sciemment hors de sa vue.
« -Où suis-je ? » Répondit-il faiblement.
« -Tu es en mon domaine, en sécurité. Ne t’inquiète pas, je veille sur toi. »
La nécromancienne calculait la moindre de ses paroles. Il fallait endormir sa méfiance, se poser comme alliée fidèle et indéfectible. Dissiper une ancienne réalité dans les brumes d’un songe.
« -J’ai pour habitude de veiller sur les autres, ma Dame. Non que l’on veille sur moi… »
La réplique était toujours aussi cocasse. Elle repris son jeu.
« -Vous semblez pourtant si vulnérable à cette heure, chevalier… Laissez moi donc vous protéger pour l’instant. »
Elle se dévoila enfin à lui. Son regard se posa sur elle. Il était captivé ; elle le savait déjà… Elle surpris une ombre dans son regard…
« -Je… »
Maintenant !
« -Ne te tourmente point l’esprit. Tu auras bientôt réponse à toutes tes questions. Repose toi. »
Elle avait mis toute la douceur dont elle était capable dans ces mots. Il se détendit progressivement, les yeux fixés sur les siens. Elle lui sourit.
« -N’aie crainte. Je veille sur toi. »
Il s’assoupit. Pauvre innocent, pris dans les charmes de la sorcière…
« -Je te guiderai, Ackyn »murmura-t-elle…
…
Elle quitta les lieux, étrangement troublée.
popolman- Ermite crabe
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Age : 42
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Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
« -Aash’lark nahu mele sinyell… »
Un vent léger souleva quelques tourbillons de poussière.
« -Ténèbres, répondez à mon appel… »
Les fines particules se figèrent en l’air, révélant les flux d’énergies qui avaient constitués le portail.
« -Mal’och falli’nien nihlia … »
Les grains de poussières se teintèrent d’un mauve sombre, puis tourbillonnèrent autour d’un axe invisible.
« -Convergez, éthers des ombres, dévoilez ce qui fut, ce qui est, et ce qui sera. »
La gemme que l’elfe tenait entre ses mains libéra un éclair violacé qui frappa le nuage, provoquant une explosion de ténèbre qui sembla engloutir tous sons alentours, puis le flux magique convergea vers le centre du nuage, créant un tunnel à travers la réalité même.
Leene observait silencieusement, médusée par la déferlante d’énergie qu’elle ressentait par chaque pore de sa peau. C’était comme une brise tantôt douce et tiède, tantôt mordante et glacée, qui tentait de la dominer, de la mettre à genoux. L’inquisitrice se concentra et dirigea ses pensées sur Teralon. Elle le revoyait, sévère et intransigeant… Elle avait payé de son sang son enseignement, mais elle y avait gagné le respect et le soutient qu’aucun père n’aurait pu lui donner. Elle ne cèderait pas, ni maintenant, ni jamais. L’elfe se tourna vers elle, les yeux interrogateurs.
« -Je suis prête. »
Le baladin acquiesça, et ils pénétrèrent tous deux dans le portail.
L’expérience resta à jamais gravé dans sa mémoire : son corps n’avait pas bougé d’un pouce alors qu’elle se sentait projetée à une vitesse folle dans le tunnel d’ombre, que traversait de temps à autres des éclairs rouges ou mauves. La traversée était autant éprouvante pour le corps que pour l’esprit : des voix aguicheuses murmurantes, criardes ou sourdes l’harcelaient d’un babil entêtant ou lui dévoilait les secrets de son âme dans une langue inconnue… puis tout cessa. Elle retrouva son corps, et chuta à terre. L’elfe la saisit et la traîna à l’abri d’une épaisse colonne.
« -Vous allez bien ? Le premier passage est toujours un peu brutal… »
« - Je survivrais » le coupa-t-elle. « Donnez moi un instant pour récupérer. »
« -Hâtez vous. Nous n’avons pas beaucoup de temps. »
Comme pour confirmer les propos du Cynwäll, les échos de pas précipité leurs parvinrent d’un couloir à leur gauche. Leene se remis debout et dégaina sa lame. L’elfe la héla tout en courrant vers le corridor droit. Ils débouchèrent sur une double porte en bronze.
« -Elles ne s’ouvrent pas ! » Pesta l’elfe.
« - Coincés… » Ajouta Leene en plissant les yeux. Elle se retourna prête à recevoir les assaillants. Elle constata que l’elfe ne l’imitait pas. Il avait jeté son havresac à terre et fourrageait à l’intérieur.
« -Que diable faites-vous ? » lui lança-t-elle.
« - Je m’arme » dit-il calmement.
Une clameur retentit à l’endroit où se trouvait le portail. Le choc des pas sur le marbre se rapprochait d’eux. Le baladin avait déballé trois tuyaux de métal ouvragé, et les vissait ensemble de ses longs doigts agiles.
« -Ils arrivent ! » s’écria Leene.
Sans plus attendre, l’Akkylanienne chargea, et tomba sur quatre gardes en livrée noire et ocre, l’arme au clair. Ils marquèrent un moment de stupeur en voyant une inquisitrice du Griffon foncer sur eux. Ceci fut fatal à l’un d’entre eux, qui leva trop tard son épée et reçu un revers de Thémis en travers de la gorge. Il était à peine tombé que Leene enchaînait un coup furieux sur le heaume d’un autre garde qui recula, sonné, avant d’être transpercé de par la lame de jugement. Les deux survivants se ressaisirent et l’attaquèrent. Leene se déporta sur la gauche et para la première attaque, mais ne vit pas venir la seconde, qui ricocha sur son épaulière. Elle accusa le choc et se désengagea, brandissant Thémis à la verticale au dessus d’elle. Elle repris son souffle et héla son compagnon.
« -Maître Elfe, par Mérin, hâtez vous ! »
« -Encore une seconde. »
Les gardes chargèrent en hurlant. Elle esquiva le premier, éclipsa la garde du second d’un coup d’estoc, passa sur sa gauche, retourna Thémis dans ses mains et l’enfonça dans le dos de l’homme, qui poussa un râle d’agonie en chutant. Elle se retourna juste à temps pour parer un autre assaut, fit tourbillonner sa lame et décocha un coup précis à la gorge du soldat, qui tomba devant l’inquisitrice une main morte agrippée à sa robe. Elle se débarrassa de l’importun d’un coup de soleret.
« -Impressionnant. Ce qu’on dit de vous est en deçà de la réalité. »
Elle leva les yeux sur l’elfe qui tenait une étrange lance à bout de bras.
« -Puis-je savoir ce que vous faisiez pendant tout ce temps ? » Gronda l’Akkylanienne.
« -J’appréciais votre performance. »
« -Comment ? »
« -Allons, ma chère, ne braillez pas comme une mule. Vous êtes toujours en vie… »
Il la gratifia de l’un de ses sourires, et l’inquisitrice roula des yeux.
Un grondement les fit tous deux sursauter. Les portes de bronzes s’étaient ouvertes. Dans l’entrebâillement apparut une haute silhouette drapée de noir. Il portait un casque de crâne ricanant rehaussé de cornes de bélier. Le masque morbide était fissuré. L’imposant guerrier Crâne passa le pas de la porte, qui se referma derrière lui dans un raclement sinistre. Le regard infernal se posa sur Leene.
« -Ne vous avais-je pas prédit cette rencontre, inquisitrice ? » Lança le Crâne dans un souffle rauque.
« -Si fait. Et vous me voyez dans des atours plus convenables » répliqua-t-elle acidement tout en montrant son armure de plate.
Le Crâne acquiesça .Il laissa choir sa lourde cape, dévoilant son armure noire de jais, et dégaina la terrible lame de carnage qui pendait dans son dos.
« - L’Elfe est à nous, Malefecit. Souvenez-vous de notre arrangement. » lança une voix grave.
Le chef des Drunes apparût, une hache dans chaque main. Il avait délaissé son heaume aux bois de cerf et dévoilait une tête rasée où cicatrices et tatouages s’entremêlaient dans un patchwork terrifiant. A sa suite apparurent quatre autres Drunes. Le Crâne hôcha la tête en guise d’assentiment.
D’un pas tranquille, le baladin s’interposa entre Leene et les Keltois obscurs.
« -Tu as tué nombre des notre, Elfe. J’exige ton sang pour le leur…»
« -Je n’en aurais jamais assez pour vous rembourser celui que j’ai versé, j’en ai bien peur.. »
Poussant un grognement guttural, un des Drunes se détacha de la troupe et se porta devant l’elfe, levant sa hache bien haut pour un coup direct, définitif.
Il y eu un mouvement d’air… Il y eu un éclair de lumière…
Le tête du barbare tomba à terre suivit de son tronc, puis de ses jambes.
La lance de l’elfe se terminait par un rayon de lumière vive. Les Drunes, à l’exception du chef, eurent un mouvement de recul. Au même moment, Leene embrasait Thémis avec la gemme de feu qu’elle avait si précieusement gardé jusqu’ici.
« -Vois la justice de Mérin, monstre, et subit son courroux ! »
Le Crâne salua son adversaire et se mit en garde. Les Drunes chargèrent en hurlant.
Un vent léger souleva quelques tourbillons de poussière.
« -Ténèbres, répondez à mon appel… »
Les fines particules se figèrent en l’air, révélant les flux d’énergies qui avaient constitués le portail.
« -Mal’och falli’nien nihlia … »
Les grains de poussières se teintèrent d’un mauve sombre, puis tourbillonnèrent autour d’un axe invisible.
« -Convergez, éthers des ombres, dévoilez ce qui fut, ce qui est, et ce qui sera. »
La gemme que l’elfe tenait entre ses mains libéra un éclair violacé qui frappa le nuage, provoquant une explosion de ténèbre qui sembla engloutir tous sons alentours, puis le flux magique convergea vers le centre du nuage, créant un tunnel à travers la réalité même.
Leene observait silencieusement, médusée par la déferlante d’énergie qu’elle ressentait par chaque pore de sa peau. C’était comme une brise tantôt douce et tiède, tantôt mordante et glacée, qui tentait de la dominer, de la mettre à genoux. L’inquisitrice se concentra et dirigea ses pensées sur Teralon. Elle le revoyait, sévère et intransigeant… Elle avait payé de son sang son enseignement, mais elle y avait gagné le respect et le soutient qu’aucun père n’aurait pu lui donner. Elle ne cèderait pas, ni maintenant, ni jamais. L’elfe se tourna vers elle, les yeux interrogateurs.
« -Je suis prête. »
Le baladin acquiesça, et ils pénétrèrent tous deux dans le portail.
L’expérience resta à jamais gravé dans sa mémoire : son corps n’avait pas bougé d’un pouce alors qu’elle se sentait projetée à une vitesse folle dans le tunnel d’ombre, que traversait de temps à autres des éclairs rouges ou mauves. La traversée était autant éprouvante pour le corps que pour l’esprit : des voix aguicheuses murmurantes, criardes ou sourdes l’harcelaient d’un babil entêtant ou lui dévoilait les secrets de son âme dans une langue inconnue… puis tout cessa. Elle retrouva son corps, et chuta à terre. L’elfe la saisit et la traîna à l’abri d’une épaisse colonne.
« -Vous allez bien ? Le premier passage est toujours un peu brutal… »
« - Je survivrais » le coupa-t-elle. « Donnez moi un instant pour récupérer. »
« -Hâtez vous. Nous n’avons pas beaucoup de temps. »
Comme pour confirmer les propos du Cynwäll, les échos de pas précipité leurs parvinrent d’un couloir à leur gauche. Leene se remis debout et dégaina sa lame. L’elfe la héla tout en courrant vers le corridor droit. Ils débouchèrent sur une double porte en bronze.
« -Elles ne s’ouvrent pas ! » Pesta l’elfe.
« - Coincés… » Ajouta Leene en plissant les yeux. Elle se retourna prête à recevoir les assaillants. Elle constata que l’elfe ne l’imitait pas. Il avait jeté son havresac à terre et fourrageait à l’intérieur.
« -Que diable faites-vous ? » lui lança-t-elle.
« - Je m’arme » dit-il calmement.
Une clameur retentit à l’endroit où se trouvait le portail. Le choc des pas sur le marbre se rapprochait d’eux. Le baladin avait déballé trois tuyaux de métal ouvragé, et les vissait ensemble de ses longs doigts agiles.
« -Ils arrivent ! » s’écria Leene.
Sans plus attendre, l’Akkylanienne chargea, et tomba sur quatre gardes en livrée noire et ocre, l’arme au clair. Ils marquèrent un moment de stupeur en voyant une inquisitrice du Griffon foncer sur eux. Ceci fut fatal à l’un d’entre eux, qui leva trop tard son épée et reçu un revers de Thémis en travers de la gorge. Il était à peine tombé que Leene enchaînait un coup furieux sur le heaume d’un autre garde qui recula, sonné, avant d’être transpercé de par la lame de jugement. Les deux survivants se ressaisirent et l’attaquèrent. Leene se déporta sur la gauche et para la première attaque, mais ne vit pas venir la seconde, qui ricocha sur son épaulière. Elle accusa le choc et se désengagea, brandissant Thémis à la verticale au dessus d’elle. Elle repris son souffle et héla son compagnon.
« -Maître Elfe, par Mérin, hâtez vous ! »
« -Encore une seconde. »
Les gardes chargèrent en hurlant. Elle esquiva le premier, éclipsa la garde du second d’un coup d’estoc, passa sur sa gauche, retourna Thémis dans ses mains et l’enfonça dans le dos de l’homme, qui poussa un râle d’agonie en chutant. Elle se retourna juste à temps pour parer un autre assaut, fit tourbillonner sa lame et décocha un coup précis à la gorge du soldat, qui tomba devant l’inquisitrice une main morte agrippée à sa robe. Elle se débarrassa de l’importun d’un coup de soleret.
« -Impressionnant. Ce qu’on dit de vous est en deçà de la réalité. »
Elle leva les yeux sur l’elfe qui tenait une étrange lance à bout de bras.
« -Puis-je savoir ce que vous faisiez pendant tout ce temps ? » Gronda l’Akkylanienne.
« -J’appréciais votre performance. »
« -Comment ? »
« -Allons, ma chère, ne braillez pas comme une mule. Vous êtes toujours en vie… »
Il la gratifia de l’un de ses sourires, et l’inquisitrice roula des yeux.
Un grondement les fit tous deux sursauter. Les portes de bronzes s’étaient ouvertes. Dans l’entrebâillement apparut une haute silhouette drapée de noir. Il portait un casque de crâne ricanant rehaussé de cornes de bélier. Le masque morbide était fissuré. L’imposant guerrier Crâne passa le pas de la porte, qui se referma derrière lui dans un raclement sinistre. Le regard infernal se posa sur Leene.
« -Ne vous avais-je pas prédit cette rencontre, inquisitrice ? » Lança le Crâne dans un souffle rauque.
« -Si fait. Et vous me voyez dans des atours plus convenables » répliqua-t-elle acidement tout en montrant son armure de plate.
Le Crâne acquiesça .Il laissa choir sa lourde cape, dévoilant son armure noire de jais, et dégaina la terrible lame de carnage qui pendait dans son dos.
« - L’Elfe est à nous, Malefecit. Souvenez-vous de notre arrangement. » lança une voix grave.
Le chef des Drunes apparût, une hache dans chaque main. Il avait délaissé son heaume aux bois de cerf et dévoilait une tête rasée où cicatrices et tatouages s’entremêlaient dans un patchwork terrifiant. A sa suite apparurent quatre autres Drunes. Le Crâne hôcha la tête en guise d’assentiment.
D’un pas tranquille, le baladin s’interposa entre Leene et les Keltois obscurs.
« -Tu as tué nombre des notre, Elfe. J’exige ton sang pour le leur…»
« -Je n’en aurais jamais assez pour vous rembourser celui que j’ai versé, j’en ai bien peur.. »
Poussant un grognement guttural, un des Drunes se détacha de la troupe et se porta devant l’elfe, levant sa hache bien haut pour un coup direct, définitif.
Il y eu un mouvement d’air… Il y eu un éclair de lumière…
Le tête du barbare tomba à terre suivit de son tronc, puis de ses jambes.
La lance de l’elfe se terminait par un rayon de lumière vive. Les Drunes, à l’exception du chef, eurent un mouvement de recul. Au même moment, Leene embrasait Thémis avec la gemme de feu qu’elle avait si précieusement gardé jusqu’ici.
« -Vois la justice de Mérin, monstre, et subit son courroux ! »
Le Crâne salua son adversaire et se mit en garde. Les Drunes chargèrent en hurlant.
popolman- Ermite crabe
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Re: La Fin de l'Innocence
Bien campé sur ses appuis, l’Elfe réussi à contenir la fureur ennemie. Bientôt, il fut entouré de chaque côté par ses adversaires, mais cela ne le gênait aucunement. Il arrivait sans aucun souci à lire les combinaisons des Drunes.
Les Keltois, ivres de sang et de carnage, rencontraient constamment la parade de leur unique adversaire, ce qui augmentait leur colère.
Lui utilisait les connaissances transmises par ses maîtres d’armes chronomanciens et conservait une sérénité exemplaire. Pratiquant chevronné de ces techniques, il avait l’impression de lire un traité d’escrime, tellement les mouvements des quatre mercenaires lui semblaient simples. Il augmenta sa vitesse d’exécution, et eu vite fait de désarmer deux barbares. Une seule traînée de lumière suffit à détacher leur bras du reste de leur corps. L’Elfe enchaîna de plus en plus vite. L’arc de sa Hallebarde de Lumière dessinait des arabesques mortelles tout autour de lui.
Soudain, sa chorégraphie funèbre fut arrêtée par le Chef Drune. Il avait bloqué le manche grâce à une de ses armes. Alors qu’il levait la deuxième dans un horrible rictus, l’Elfe se baissa prestement et ramassa deux haches abandonnées par les premiers cadavres. En un battement de cil, chacune finit au travers d’un pectoral Drune. Son combat était fini. L’Elfe regarda les malheureux autour de lui avant de se retourner vers le fracas de la Lame de Jugement contre la Lame de Carnage. Il avait à peine fait demi-tour qu’il vit la tête du Crâne se tourner vers lui.
Des mots de pouvoir furent doucement murmurés, l’arme sombre vibra un instant. Lorsque l’Elfe entendit derrière lui des cliquetis métalliques, il se retourna encore, décidé à renvoyer à la Mort les cinq parodies de guerrier qui revenaient devant lui. Bien que leurs regards fussent maintenant vides, leurs armes n’en étaient pas moins dangereuses. Il recommença sa danse macabre, mais elle était maintenant moins efficace. Les brûlures infligées aux Drunes ne diminuaient plus leur combativité. Ils étaient portés par les forces obscures, à présent.
Il sentit la fatigue le gagner et renforça sa concentration sur les préceptes martiaux de la Chronomancie : Se focaliser uniquement sur les mouvements de l’adversaire, devancer le temps qui lui est nécessaire et utiliser l’écart pour dévier ses coups et porter les siens. Cela se révéla juste suffisant pour maintenir les marionnettes à une distance respectable.
Alors il décida de rompre un nouveau serment, et de combiner ses facultés si spéciales à la Magie Cynwall.
Leene, de son côté, était plus à la peine. Son adversaire était puissant. Déjà sur les toits de Danéran, elle n’avait dû qu’à une feinte chanceuse d’éviter le pire. Là, dans le territoire de son ennemi, au milieu des courants de Ténèbres qui renforçaient sa magie, le rapport de force était en faveur du Crâne. Ses coups d’épée étourdissaient les bras de Leene lorsqu’elle parait. Il n’essayait même pas des passes compliquées, voyant que ses assauts répétés brisaient la volonté de l’Inquisitrice. Elle n’avait pas pu contrer la réanimation qui mettait l’Elfe en si fâcheuse posture. La revanche basculait en faveur du mort-vivant, qui voyait sa vengeance se dessiner au bout de sa lame.
Il reconnaissait la vaillance et la résistance de son adversaire. Les souvenirs de son passé étaient très faibles, mais il se rappelait que lui-même avait été un des meilleurs défenseurs de Tycho. C’était peut être ce passé de soldat émérite qui le poussait à respecter ses meilleurs ennemis et à rechercher des combats difficiles.
Il constatait que le visage de la jeune Akkylanienne était crispé et couvert de sueur. Etait-elle à bout ? Elle n’en montrait rien. Il pouvait vite en finir, mais il décida de faire durer le combat, pour le plaisir. Même si cela n’assouvirait pas la faim entretenue par les Ténèbres.
Une atroce froidure saisit Leene. La lame du Crâne avait cogné la sienne. Une erreur de parade lui avait permis de glisser tout du long pour aller ensuite entailler son bras gauche. Elle connaissait les sombres pouvoirs dont les Nécromanciens habitaient les armes de leurs favoris. Elle devait absolument les contenir hors de la blessure.
Elle recula de quelques enjambées. Ce peu de temps fut suffisant pour qu’elle saisisse la gemme de Feu. A son tour, elle murmura des paroles secrètes. Une légère tiédeur la remplit d’une nouvelle confiance et elle sentit la lutte entre Feu et Ténèbres dans son membre.
Le Crâne, lui, n’avait pas bougé. Sûr de sa force et de ses pouvoirs, il regardait les efforts de cette jeune femme pour retarder l’issue fatale. Sa main se leva, pointant sa lame vers elle, dans un geste de défi. Il voulait qu’elle comprenne à quel point elle ne devait qu’à la chance de l’avoir trompé lors de leur première rencontre.
Il allait frapper à nouveau quand des sons étranges, à côté, où ses pantins se battaient, attirèrent son attention. Sa tête se détourna pour en connaître la cause.
Leene, voyant que son adversaire relâchait le combat, se concentrait sur des formules qui aidaient le Feu à repousser le mal. Elle perçu cependant ces mêmes sons et tourna également la tête, de curiosité.
Ce qu’ils virent dépassait leur entendement.
L’Elfe, au milieu des cadavres animés, bougeait plus vite que le regard ne pouvait le saisir. Il manipulait sa hallebarde si rapidement, qu’une sphère de Lumière s’était formée autour de lui. Les pantins essayaient de la transpercer mais leurs attaques étaient repoussées par cette barrière. La moitié même avait déjà perdu sa hache dans ces tentatives. L’arme elfe consumait les chairs tendues à la place. Ils continuaient à porter des coups, inutiles, de leurs moignons noirs, alors que leurs coudes avaient déjà été mangés.
Leene senti à un moment que l’intensité lumineuse de la sphère augmentait, brouillant totalement l’Elfe. Il devait accélérer ses passes au-delà de toute possibilité physique. Elle hallucinait, ça n’était pas possible ! Sa blessure l’égarait-elle ?
Pourtant le Crâne aussi était perplexe. Il sentait que Leene récupérait, mais que l’Elfe était le danger le plus pressant, qu’il avait sous-estimé en le laissant aux prises avec ces pauvres barbares incapables ! Il fallait s’en débarrasser ! Profitant du trouble de Leene, il se permit une nouvelle incantation.
Le Chef Drune s’arrêta de gesticuler. Il fut pris de tremblements terribles. Ses muscles tressautaient sous sa peau tendue. Les cuirs craquèrent, faisant apparaître un guerrier à la musculature déformée par les Ténèbres, qui ne désirait que partager la douleur qui l’habitait. Ses yeux d’ailleurs étaient encore plus sombres et mats. D’un simple revers de lame, il rejeta les deux marionnettes sans bras qui polluaient son défi. Leur non-vie se brisa contre une colonne.
Il observait l’Elfe. Avec une soudaine colère, il entra à nouveau sa hache dans la sphère, pour contrer l’Elfe.
Laissant sa nouvelle arme handicaper l’Elfe, le Crâne décida d’en terminer avec la représentante de Merin, toute coriace qu’elle fût. Il abandonna son orgueil de soldat. Pourquoi retarder l’inévitable ? Pourquoi jouer avec elle quand d’autres combats l’attendaient ?
Leene eut seulement le temps d’essuyer la sueur qui descendait sur ses yeux. Encore toute étourdie des prouesses elfiques, elle para l’attaque du Guerrier Sombre. Un coup plus fort encore que les précédents. Elle sentait la détermination renouvelée du Crâne. La douleur dans son bras était encore vive. Elle tituba sous le choc, mais tint bon.
Le Serviteur du Bélier ne comprenait pas ce qui poussait ces êtres vivants à lutter pour survivre ainsi, au plus fort d’un combat qu’ils savaient perdus. Bien sûr, il était content de ne pas tomber sur des pleutres, mais cet instinct de préservation l’irritait. Lui-même avait accueilli avec joie les pouvoirs que lui conférait sa nouvelle allégeance. Pourquoi cette femme n’avait-elle pas hâte de le rejoindre ? Il formerait un couple craint sur tout le continent. Ils feraient tomber les citadelles millénaires, au nom des Ténèbres. Peut-être même mettraient-ils ensemble le pavillon du Bélier sur la plus haute tour de Cadwallon !
Il devait en être ainsi ! Il devait la tuer ! Ils devaient renaître ! Ses coups se firent plus appuyés.
Il y eut quelques étincelles. La Hallebarde se retrouva immobilisée. L’Elfe se contracta soudainement et braqua son regard sur ce nouvel adversaire. Ses yeux étaient transfigurés par les forces qu’il avait déclenchées. La pupille s’était totalement dilatée, occupait tout l’orbite. De fins éclairs les traversaient. Il avait déchaîné ses pouvoirs interdits, décuplés par les Ténèbres omniprésents, au risque de s’y perdre. Mais cela lui assurait un avantage que cette marionnette ne pouvait concevoir.
Sa totale conscience du combat n’accordait aucune initiative à ce golem de chair. Il l’avait vu venir au ralenti, et avait lu son attaque avec précision. Pourtant, il lui avait accordé ce contre.
Sitôt qu’il sentit la résistance de l’ancien Drune appuyer contre son arme, il lança cette dernière dans un arc de cercle vers l’arrière. Les deux têtes qui restaient furent tranchées et les Morts-Vivants tombèrent comme des chiffons.
Son arme se retrouvait à l’envers. Pour empêcher toute réaction du barbare, il envoya l’extrémité de la hampe vers le torse à portée. Son adversaire, surpris, accusa le coup et recula d’un pas. L’Elfe, s’appuyant sur cette perche, fit de même.
A peine sur ses pieds, il déchaîna la puissance de son arme par une incantation mystérieuse, mélange de mystiques Solaris et Gehenis.
La lame se mit à crépiter fortement. Il la retourna vers le guerrier difforme. Un flot incessant de puissants rayons d’énergie, de la Lumière pure, le frappa de plein fouet. Le guerrier d’Achéron se consuma entièrement, laissant à peine un nuage de cendres quand l’Elfe eut calmé la fureur de son arme.
Il se posa contre sa Hallebarde, à présent éteinte. Il regarda Leene, et ses yeux étaient à nouveau remplit de la malice d’un troubadour. Elle, elle se montrait digne de l’intérêt que le Guide lui portait.
Quand le Crâne eût ressenti le déferlement de magie qui envahissait le couloir, il fut envahi d’un doute. Il avait toujours pensé que la Magie de ses maîtres était la plus redoutable. Pourtant, il était témoin d’un déchaînement extraordinaire et inconnu. Il devait en informer se Maîtresse ! Il fixa Leene longuement à travers le croisement de leurs lames ennemies. Il la repoussa d’un geste et partit à travers la porte qui s’était ouverte derrière lui.
Leene, encore sous le coup de la surprise et de sa blessure, regardait l’entrebâillement. Il diminuait. Sans attendre, elle se jeta au travers de l’ouverture, vite suivie par l’Elfe.
Les Keltois, ivres de sang et de carnage, rencontraient constamment la parade de leur unique adversaire, ce qui augmentait leur colère.
Lui utilisait les connaissances transmises par ses maîtres d’armes chronomanciens et conservait une sérénité exemplaire. Pratiquant chevronné de ces techniques, il avait l’impression de lire un traité d’escrime, tellement les mouvements des quatre mercenaires lui semblaient simples. Il augmenta sa vitesse d’exécution, et eu vite fait de désarmer deux barbares. Une seule traînée de lumière suffit à détacher leur bras du reste de leur corps. L’Elfe enchaîna de plus en plus vite. L’arc de sa Hallebarde de Lumière dessinait des arabesques mortelles tout autour de lui.
Soudain, sa chorégraphie funèbre fut arrêtée par le Chef Drune. Il avait bloqué le manche grâce à une de ses armes. Alors qu’il levait la deuxième dans un horrible rictus, l’Elfe se baissa prestement et ramassa deux haches abandonnées par les premiers cadavres. En un battement de cil, chacune finit au travers d’un pectoral Drune. Son combat était fini. L’Elfe regarda les malheureux autour de lui avant de se retourner vers le fracas de la Lame de Jugement contre la Lame de Carnage. Il avait à peine fait demi-tour qu’il vit la tête du Crâne se tourner vers lui.
Des mots de pouvoir furent doucement murmurés, l’arme sombre vibra un instant. Lorsque l’Elfe entendit derrière lui des cliquetis métalliques, il se retourna encore, décidé à renvoyer à la Mort les cinq parodies de guerrier qui revenaient devant lui. Bien que leurs regards fussent maintenant vides, leurs armes n’en étaient pas moins dangereuses. Il recommença sa danse macabre, mais elle était maintenant moins efficace. Les brûlures infligées aux Drunes ne diminuaient plus leur combativité. Ils étaient portés par les forces obscures, à présent.
Il sentit la fatigue le gagner et renforça sa concentration sur les préceptes martiaux de la Chronomancie : Se focaliser uniquement sur les mouvements de l’adversaire, devancer le temps qui lui est nécessaire et utiliser l’écart pour dévier ses coups et porter les siens. Cela se révéla juste suffisant pour maintenir les marionnettes à une distance respectable.
Alors il décida de rompre un nouveau serment, et de combiner ses facultés si spéciales à la Magie Cynwall.
Leene, de son côté, était plus à la peine. Son adversaire était puissant. Déjà sur les toits de Danéran, elle n’avait dû qu’à une feinte chanceuse d’éviter le pire. Là, dans le territoire de son ennemi, au milieu des courants de Ténèbres qui renforçaient sa magie, le rapport de force était en faveur du Crâne. Ses coups d’épée étourdissaient les bras de Leene lorsqu’elle parait. Il n’essayait même pas des passes compliquées, voyant que ses assauts répétés brisaient la volonté de l’Inquisitrice. Elle n’avait pas pu contrer la réanimation qui mettait l’Elfe en si fâcheuse posture. La revanche basculait en faveur du mort-vivant, qui voyait sa vengeance se dessiner au bout de sa lame.
Il reconnaissait la vaillance et la résistance de son adversaire. Les souvenirs de son passé étaient très faibles, mais il se rappelait que lui-même avait été un des meilleurs défenseurs de Tycho. C’était peut être ce passé de soldat émérite qui le poussait à respecter ses meilleurs ennemis et à rechercher des combats difficiles.
Il constatait que le visage de la jeune Akkylanienne était crispé et couvert de sueur. Etait-elle à bout ? Elle n’en montrait rien. Il pouvait vite en finir, mais il décida de faire durer le combat, pour le plaisir. Même si cela n’assouvirait pas la faim entretenue par les Ténèbres.
Une atroce froidure saisit Leene. La lame du Crâne avait cogné la sienne. Une erreur de parade lui avait permis de glisser tout du long pour aller ensuite entailler son bras gauche. Elle connaissait les sombres pouvoirs dont les Nécromanciens habitaient les armes de leurs favoris. Elle devait absolument les contenir hors de la blessure.
Elle recula de quelques enjambées. Ce peu de temps fut suffisant pour qu’elle saisisse la gemme de Feu. A son tour, elle murmura des paroles secrètes. Une légère tiédeur la remplit d’une nouvelle confiance et elle sentit la lutte entre Feu et Ténèbres dans son membre.
Le Crâne, lui, n’avait pas bougé. Sûr de sa force et de ses pouvoirs, il regardait les efforts de cette jeune femme pour retarder l’issue fatale. Sa main se leva, pointant sa lame vers elle, dans un geste de défi. Il voulait qu’elle comprenne à quel point elle ne devait qu’à la chance de l’avoir trompé lors de leur première rencontre.
Il allait frapper à nouveau quand des sons étranges, à côté, où ses pantins se battaient, attirèrent son attention. Sa tête se détourna pour en connaître la cause.
Leene, voyant que son adversaire relâchait le combat, se concentrait sur des formules qui aidaient le Feu à repousser le mal. Elle perçu cependant ces mêmes sons et tourna également la tête, de curiosité.
Ce qu’ils virent dépassait leur entendement.
L’Elfe, au milieu des cadavres animés, bougeait plus vite que le regard ne pouvait le saisir. Il manipulait sa hallebarde si rapidement, qu’une sphère de Lumière s’était formée autour de lui. Les pantins essayaient de la transpercer mais leurs attaques étaient repoussées par cette barrière. La moitié même avait déjà perdu sa hache dans ces tentatives. L’arme elfe consumait les chairs tendues à la place. Ils continuaient à porter des coups, inutiles, de leurs moignons noirs, alors que leurs coudes avaient déjà été mangés.
Leene senti à un moment que l’intensité lumineuse de la sphère augmentait, brouillant totalement l’Elfe. Il devait accélérer ses passes au-delà de toute possibilité physique. Elle hallucinait, ça n’était pas possible ! Sa blessure l’égarait-elle ?
Pourtant le Crâne aussi était perplexe. Il sentait que Leene récupérait, mais que l’Elfe était le danger le plus pressant, qu’il avait sous-estimé en le laissant aux prises avec ces pauvres barbares incapables ! Il fallait s’en débarrasser ! Profitant du trouble de Leene, il se permit une nouvelle incantation.
Le Chef Drune s’arrêta de gesticuler. Il fut pris de tremblements terribles. Ses muscles tressautaient sous sa peau tendue. Les cuirs craquèrent, faisant apparaître un guerrier à la musculature déformée par les Ténèbres, qui ne désirait que partager la douleur qui l’habitait. Ses yeux d’ailleurs étaient encore plus sombres et mats. D’un simple revers de lame, il rejeta les deux marionnettes sans bras qui polluaient son défi. Leur non-vie se brisa contre une colonne.
Il observait l’Elfe. Avec une soudaine colère, il entra à nouveau sa hache dans la sphère, pour contrer l’Elfe.
Laissant sa nouvelle arme handicaper l’Elfe, le Crâne décida d’en terminer avec la représentante de Merin, toute coriace qu’elle fût. Il abandonna son orgueil de soldat. Pourquoi retarder l’inévitable ? Pourquoi jouer avec elle quand d’autres combats l’attendaient ?
Leene eut seulement le temps d’essuyer la sueur qui descendait sur ses yeux. Encore toute étourdie des prouesses elfiques, elle para l’attaque du Guerrier Sombre. Un coup plus fort encore que les précédents. Elle sentait la détermination renouvelée du Crâne. La douleur dans son bras était encore vive. Elle tituba sous le choc, mais tint bon.
Le Serviteur du Bélier ne comprenait pas ce qui poussait ces êtres vivants à lutter pour survivre ainsi, au plus fort d’un combat qu’ils savaient perdus. Bien sûr, il était content de ne pas tomber sur des pleutres, mais cet instinct de préservation l’irritait. Lui-même avait accueilli avec joie les pouvoirs que lui conférait sa nouvelle allégeance. Pourquoi cette femme n’avait-elle pas hâte de le rejoindre ? Il formerait un couple craint sur tout le continent. Ils feraient tomber les citadelles millénaires, au nom des Ténèbres. Peut-être même mettraient-ils ensemble le pavillon du Bélier sur la plus haute tour de Cadwallon !
Il devait en être ainsi ! Il devait la tuer ! Ils devaient renaître ! Ses coups se firent plus appuyés.
Il y eut quelques étincelles. La Hallebarde se retrouva immobilisée. L’Elfe se contracta soudainement et braqua son regard sur ce nouvel adversaire. Ses yeux étaient transfigurés par les forces qu’il avait déclenchées. La pupille s’était totalement dilatée, occupait tout l’orbite. De fins éclairs les traversaient. Il avait déchaîné ses pouvoirs interdits, décuplés par les Ténèbres omniprésents, au risque de s’y perdre. Mais cela lui assurait un avantage que cette marionnette ne pouvait concevoir.
Sa totale conscience du combat n’accordait aucune initiative à ce golem de chair. Il l’avait vu venir au ralenti, et avait lu son attaque avec précision. Pourtant, il lui avait accordé ce contre.
Sitôt qu’il sentit la résistance de l’ancien Drune appuyer contre son arme, il lança cette dernière dans un arc de cercle vers l’arrière. Les deux têtes qui restaient furent tranchées et les Morts-Vivants tombèrent comme des chiffons.
Son arme se retrouvait à l’envers. Pour empêcher toute réaction du barbare, il envoya l’extrémité de la hampe vers le torse à portée. Son adversaire, surpris, accusa le coup et recula d’un pas. L’Elfe, s’appuyant sur cette perche, fit de même.
A peine sur ses pieds, il déchaîna la puissance de son arme par une incantation mystérieuse, mélange de mystiques Solaris et Gehenis.
La lame se mit à crépiter fortement. Il la retourna vers le guerrier difforme. Un flot incessant de puissants rayons d’énergie, de la Lumière pure, le frappa de plein fouet. Le guerrier d’Achéron se consuma entièrement, laissant à peine un nuage de cendres quand l’Elfe eut calmé la fureur de son arme.
Il se posa contre sa Hallebarde, à présent éteinte. Il regarda Leene, et ses yeux étaient à nouveau remplit de la malice d’un troubadour. Elle, elle se montrait digne de l’intérêt que le Guide lui portait.
Quand le Crâne eût ressenti le déferlement de magie qui envahissait le couloir, il fut envahi d’un doute. Il avait toujours pensé que la Magie de ses maîtres était la plus redoutable. Pourtant, il était témoin d’un déchaînement extraordinaire et inconnu. Il devait en informer se Maîtresse ! Il fixa Leene longuement à travers le croisement de leurs lames ennemies. Il la repoussa d’un geste et partit à travers la porte qui s’était ouverte derrière lui.
Leene, encore sous le coup de la surprise et de sa blessure, regardait l’entrebâillement. Il diminuait. Sans attendre, elle se jeta au travers de l’ouverture, vite suivie par l’Elfe.
popolman- Ermite crabe
- Nombre de messages : 1327
Age : 42
Localisation : Généralement sur Terre, mais pas toujours
Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
c'est malin, et quand est ce qu'on a la suite?
en + elle est pas mal cette fic (traduction dans les critères de la norme: cette fic est super)
en + elle est pas mal cette fic (traduction dans les critères de la norme: cette fic est super)
Re: La Fin de l'Innocence
T'as trouvé ça où, toi? Je croyais que ça s'était perdu dans les abîmes du web, ça.
popolman- Ermite crabe
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Age : 42
Localisation : Généralement sur Terre, mais pas toujours
Date d'inscription : 15/01/2005
Re: La Fin de l'Innocence
Qui es-tu?
La conscience de l'être s'ébroua, imperceptible remous dans un monde d'ombres.
Ombre? Lumière...
Le monde changea dans un flash assourdissant. Les voiles d'ombres se déchirèrent et firent place à des toiles de lumières. Toiles de lumière. Nervures de lumière. Lumières différentes mais unies. Un vent souffle, doux, apaisant. Bizarrement, le changement n'a rien révolutionné. Le monde est différent, mais n'a pas été bouleversé. Quelle différence alors avec les ombres?
Lumière? Ombre...
Comme s'il se retournait sur lui même, le monde s'enveloppe de lambeaux de ténèbres qui occultent la blancheur luminescente. Toiles d'ombre. Nervures d' ombres. Ombres différentes mais unies. Le même vent fait onduler le monde de son souffle, l'habitant d'un semblant vie. Byzarrement, rien n'a changé.
Qui es-tu?
Comment?
Qui es-tu? Toi, l'être qui vois le monde, les toiles et les nervures, les faisceaux et les plans, et qui même sous les opposés, les trouvent inchangés?
Penses-tu qu'ils soient opposées? Je ne le pense pas. Je vois les voiles d'ombres, je vois les voiles de lumière, et pourtant, je trouve le monde inchangé. Je penses même que le monde existe sous ces voiles, qu'ils le cachent à mes yeux. Ils le cachent, mais il existe et existera sans eux.
Toi, l'être, tu penses que le monde n'est pas ombre ou lumière, et qu'il existe sans eux? Pourtant, tu ne vois que par eux. Les plans que tu vois sont d'ombre ou de lumière. Pareil sont les faisceaux. D'où te viens cette certitude?
Je ne le sais pas. C'est une vérité que je ressens, aussi sûre que le vent qui souffle, que le sable sous mes pieds, que la terre sous ma main. Mais tu as raison. Je ne peux voir qu'ombres et lumière. Pas ce qu'il y a derrière, non. C'est comme déchirer un voile pour en découvrir un autre, encore et toujours.
Oui. Mais tu peux nommer l'ombre et la clarté. Peut être qu'en invoquant les deux, tu peus les forcer à s'écarter et voir le monde...
Je... Je vais essayer.
Ombres se tordent. Lumière se faufile. Chacun se mord et s'entrechoque. Mais aucun ne prend l'avantage. Tout est mouvance, clarté, ombres, nervure et toiles. Mais le vent souffle, pareil à lui même. Et la terre se malaxe sous la main. Et le sable crisse sous les pieds.
Alors cela vint. Là où les ombres et la clarté s'emmêlaient pour se mordent. Le monde trembla alors que cela augmentait. Une fissure d'où jaillirent sons, odeurs, couleurs, vies, souvenirs.
L'être encaissa la déferlante dans un cri muet. Cela dura une seconde. Cela dura une éternité... Et l'être se réveilla.
"-Je m'appelle Ilthuair, Allewyth, Akryos, Tar-Baktir et bien d'autre noms encore. Je suis le Cynwäll . Je suis le Baladin. Je suis l'Allié. Je suis le Messager. Pour chaque peuple, un nom et un visage différent. Je suis l'elfe gris aux milles-masques. Et une fois de plus, sans toi, mon ami, j'étais perdu."
L'elfe apposa sont front contre le nasal du dragon. Ce dernier répondit au geste en inclinant légèrement la tête.
"- De tous les combats que j'ai mené dans ma vie, je crois que celui-ci était le plus incertain. Je suis heureux de te retrouver, elfe gris aux milles masques. Ilthuair, mon ami."
L'elfe s'accroupit, accablé de fatigue. Pour les sortir du territoire des Maudits, il avait épuisé l'intégralité de ses gemmes et fait appel plus que de raison à ses affinités avec le principe. Son corps entier lui manifestait sa douleur, alors que des veinules violacées saturées d'énergie typhonique rampaient sous sa peau. Il prit une profonde inspiration et commença une méditation noésienne qui s'annonçait fort longue. Il n'avait de toute façon guère le choix. L'Akkylanienne ne tolèrerait sûrement pas de le voir dans cet état. Il jeta un oeil dans la direction de Caer Manarkaël qui lui retourna un regard complice.
"-Ne t'inquiète pas. J'ai fait le nécessaire. Elle aussi, a besoin de récupérer de toute façon."
Leene reposait dans un contrefort rocheux, protégé du tumulte du vent par l'aile semi-déployée du dragon. Son visage semblait paisible, bercé par les rêves d'argents du dragon.
"-Elle est bien jeune, pour t'accompagner dans tes aventures, elfe gris. Je suis d'ailleurs surpris que tu voyages en telle compagnie..."
Le dragon renifla négligemment la lame de jugement de l'inquisitrice.
"-Je me demande si..."
Caer Manarkaël ne finit pas sa phrase. L'elfe ne l'écoutait plus, coupé du monde par sa transe méditative. Le dragon soupira. Il étira son aile gauche et la déploya autour du cynwäll. Le vent était frais sur les contreforts de la chaîne du Béhémoth.
"-Et le pire, c'est qu'après ça, il va falloir que je les transporte sans les faire tomber... Mes pauvres vieux os!"
Les évènements reprirent peu à peu leur place sous les yeux clos de l'Akkylanienne, comme autant d'images fugaces qui s'assemblaient tels les pièces d'un puzzle. Ils avaient poursuivis le guerrier Crâne à travers le dédale de couloirs et d'escaliers qui composait la Griffe de Terreur. Pour chaque embrasure de porte franchie, pour chaque marche d'escalier, c'était de nouveaux ennemis qui se dressaient, et un nouveau combat qui s'engageait. Les armes qui s' entrechoquaient, les coups répétés sur l'armure... Elle devenait de moins en moins précise dans son escrime, mais rejetait la fatigue de ses membres et la douleur des blessures qui s'accumulaient. Tout en elle était fureur. Tout comme les flammes qui dansaient sur sa lame de jugemment, sa volonté était portée au rouge. Elle retrouverait Ackyn. Elle retrouverait Ackyn et l'arracherait à ses ravisseurs. Elle le retrouverait, et le ramènerait en Alahan, sous le soleil de Lahn. Un cri de rage jaillit entre ses dents serrés alors qu'ils franchissaient une lourde porte en chêne ferrée et pénétraient dans une large salle décorée de tentures ocres. Le Guerrier Crâne leur faisait face au centre de la pièce, les armes abaissées. Redoutant un piège, elle s'avança prudemment jusqu'à lui, l'épée brandie devant elle. Les flammes se tortillaient en direction du Crâne, comme avide de dévorer les chairs corrompues du maudit.
"-Mort...Je te veux mort...Je veus te voir brûler et réduit en cendres sous mes coups. En garde!"
Elle sentit plus qu'elle ne vit le regard de l'elfe sur elle à ce moment là, mais n'en eu que faire. Le Crâne avait alors plongé son regard noir dans les yeux de l'inquisitrice. Les deux puits noir abyssaux semblaient vouloir absorber les flammes et la fureur qui se dégageaient d'elle, et souffler l'étincelle de vie qui l'animait. Le souffle polaire du Crâne se fit ressentir dans toute la pièce quand il prit la parole.
"-Je souhaiterai vous combattre et vous voir périr par ma lame. Voir les Ombres se refermer sur votre coeur malgré votre si belle volonté. Je souhaiterais que vous mourriez pour renaître dans les Ténèbres, et combattre à mes côtés. Mais je ne suis pas le maître ici-bas. Votre destin ne sera pas celui-ci. En vérité, il m'est interdit de verser votre sang depuis que vous avez pénétrés ces lieux. C'est d'ailleurs à peine si j'ai essayé de vous ralentir"
Cette révélation ne fit que tirer une grimace de dédain de la part de Leene, encore toute à sa fureur.
"-Je m'en doutais..." murmura l'elfe, l'air amer.
La conscience de l'être s'ébroua, imperceptible remous dans un monde d'ombres.
Ombre? Lumière...
Le monde changea dans un flash assourdissant. Les voiles d'ombres se déchirèrent et firent place à des toiles de lumières. Toiles de lumière. Nervures de lumière. Lumières différentes mais unies. Un vent souffle, doux, apaisant. Bizarrement, le changement n'a rien révolutionné. Le monde est différent, mais n'a pas été bouleversé. Quelle différence alors avec les ombres?
Lumière? Ombre...
Comme s'il se retournait sur lui même, le monde s'enveloppe de lambeaux de ténèbres qui occultent la blancheur luminescente. Toiles d'ombre. Nervures d' ombres. Ombres différentes mais unies. Le même vent fait onduler le monde de son souffle, l'habitant d'un semblant vie. Byzarrement, rien n'a changé.
Qui es-tu?
Comment?
Qui es-tu? Toi, l'être qui vois le monde, les toiles et les nervures, les faisceaux et les plans, et qui même sous les opposés, les trouvent inchangés?
Penses-tu qu'ils soient opposées? Je ne le pense pas. Je vois les voiles d'ombres, je vois les voiles de lumière, et pourtant, je trouve le monde inchangé. Je penses même que le monde existe sous ces voiles, qu'ils le cachent à mes yeux. Ils le cachent, mais il existe et existera sans eux.
Toi, l'être, tu penses que le monde n'est pas ombre ou lumière, et qu'il existe sans eux? Pourtant, tu ne vois que par eux. Les plans que tu vois sont d'ombre ou de lumière. Pareil sont les faisceaux. D'où te viens cette certitude?
Je ne le sais pas. C'est une vérité que je ressens, aussi sûre que le vent qui souffle, que le sable sous mes pieds, que la terre sous ma main. Mais tu as raison. Je ne peux voir qu'ombres et lumière. Pas ce qu'il y a derrière, non. C'est comme déchirer un voile pour en découvrir un autre, encore et toujours.
Oui. Mais tu peux nommer l'ombre et la clarté. Peut être qu'en invoquant les deux, tu peus les forcer à s'écarter et voir le monde...
Je... Je vais essayer.
Ombres se tordent. Lumière se faufile. Chacun se mord et s'entrechoque. Mais aucun ne prend l'avantage. Tout est mouvance, clarté, ombres, nervure et toiles. Mais le vent souffle, pareil à lui même. Et la terre se malaxe sous la main. Et le sable crisse sous les pieds.
Alors cela vint. Là où les ombres et la clarté s'emmêlaient pour se mordent. Le monde trembla alors que cela augmentait. Une fissure d'où jaillirent sons, odeurs, couleurs, vies, souvenirs.
L'être encaissa la déferlante dans un cri muet. Cela dura une seconde. Cela dura une éternité... Et l'être se réveilla.
"-Je m'appelle Ilthuair, Allewyth, Akryos, Tar-Baktir et bien d'autre noms encore. Je suis le Cynwäll . Je suis le Baladin. Je suis l'Allié. Je suis le Messager. Pour chaque peuple, un nom et un visage différent. Je suis l'elfe gris aux milles-masques. Et une fois de plus, sans toi, mon ami, j'étais perdu."
L'elfe apposa sont front contre le nasal du dragon. Ce dernier répondit au geste en inclinant légèrement la tête.
"- De tous les combats que j'ai mené dans ma vie, je crois que celui-ci était le plus incertain. Je suis heureux de te retrouver, elfe gris aux milles masques. Ilthuair, mon ami."
L'elfe s'accroupit, accablé de fatigue. Pour les sortir du territoire des Maudits, il avait épuisé l'intégralité de ses gemmes et fait appel plus que de raison à ses affinités avec le principe. Son corps entier lui manifestait sa douleur, alors que des veinules violacées saturées d'énergie typhonique rampaient sous sa peau. Il prit une profonde inspiration et commença une méditation noésienne qui s'annonçait fort longue. Il n'avait de toute façon guère le choix. L'Akkylanienne ne tolèrerait sûrement pas de le voir dans cet état. Il jeta un oeil dans la direction de Caer Manarkaël qui lui retourna un regard complice.
"-Ne t'inquiète pas. J'ai fait le nécessaire. Elle aussi, a besoin de récupérer de toute façon."
Leene reposait dans un contrefort rocheux, protégé du tumulte du vent par l'aile semi-déployée du dragon. Son visage semblait paisible, bercé par les rêves d'argents du dragon.
"-Elle est bien jeune, pour t'accompagner dans tes aventures, elfe gris. Je suis d'ailleurs surpris que tu voyages en telle compagnie..."
Le dragon renifla négligemment la lame de jugement de l'inquisitrice.
"-Je me demande si..."
Caer Manarkaël ne finit pas sa phrase. L'elfe ne l'écoutait plus, coupé du monde par sa transe méditative. Le dragon soupira. Il étira son aile gauche et la déploya autour du cynwäll. Le vent était frais sur les contreforts de la chaîne du Béhémoth.
"-Et le pire, c'est qu'après ça, il va falloir que je les transporte sans les faire tomber... Mes pauvres vieux os!"
Les évènements reprirent peu à peu leur place sous les yeux clos de l'Akkylanienne, comme autant d'images fugaces qui s'assemblaient tels les pièces d'un puzzle. Ils avaient poursuivis le guerrier Crâne à travers le dédale de couloirs et d'escaliers qui composait la Griffe de Terreur. Pour chaque embrasure de porte franchie, pour chaque marche d'escalier, c'était de nouveaux ennemis qui se dressaient, et un nouveau combat qui s'engageait. Les armes qui s' entrechoquaient, les coups répétés sur l'armure... Elle devenait de moins en moins précise dans son escrime, mais rejetait la fatigue de ses membres et la douleur des blessures qui s'accumulaient. Tout en elle était fureur. Tout comme les flammes qui dansaient sur sa lame de jugemment, sa volonté était portée au rouge. Elle retrouverait Ackyn. Elle retrouverait Ackyn et l'arracherait à ses ravisseurs. Elle le retrouverait, et le ramènerait en Alahan, sous le soleil de Lahn. Un cri de rage jaillit entre ses dents serrés alors qu'ils franchissaient une lourde porte en chêne ferrée et pénétraient dans une large salle décorée de tentures ocres. Le Guerrier Crâne leur faisait face au centre de la pièce, les armes abaissées. Redoutant un piège, elle s'avança prudemment jusqu'à lui, l'épée brandie devant elle. Les flammes se tortillaient en direction du Crâne, comme avide de dévorer les chairs corrompues du maudit.
"-Mort...Je te veux mort...Je veus te voir brûler et réduit en cendres sous mes coups. En garde!"
Elle sentit plus qu'elle ne vit le regard de l'elfe sur elle à ce moment là, mais n'en eu que faire. Le Crâne avait alors plongé son regard noir dans les yeux de l'inquisitrice. Les deux puits noir abyssaux semblaient vouloir absorber les flammes et la fureur qui se dégageaient d'elle, et souffler l'étincelle de vie qui l'animait. Le souffle polaire du Crâne se fit ressentir dans toute la pièce quand il prit la parole.
"-Je souhaiterai vous combattre et vous voir périr par ma lame. Voir les Ombres se refermer sur votre coeur malgré votre si belle volonté. Je souhaiterais que vous mourriez pour renaître dans les Ténèbres, et combattre à mes côtés. Mais je ne suis pas le maître ici-bas. Votre destin ne sera pas celui-ci. En vérité, il m'est interdit de verser votre sang depuis que vous avez pénétrés ces lieux. C'est d'ailleurs à peine si j'ai essayé de vous ralentir"
Cette révélation ne fit que tirer une grimace de dédain de la part de Leene, encore toute à sa fureur.
"-Je m'en doutais..." murmura l'elfe, l'air amer.
popolman- Ermite crabe
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Re: La Fin de l'Innocence
Des applaudissements se firent entendre. L'air vibra autour des tentures suspendues aux murs. Doucement, elles se séparèrent, et dévoilèrent des loges richement ornementées...Ou une bonne centaine de personnes les observaient. Des hommes masqués et des femmes en robes de soirée, qui abordaient de délicates parures et les bijoux les plus travaillés que Leene n'ait jamais vus, même à la cour de Kalienne. Ils les regardaient, les jaugeaient, se murmuraient des commentaires amusés à l'oreille. Le regard de l'Akkylanienne se posa sur une jeune femme vêtu d'une robe en soie blanche. Sa gorge était mis en valeur par une simple pierre à l'eau bleu, et une tresse de longs cheveux noirs contrastait avec la blancheur de lait de l'épaule sur laquelle elle reposait. L'Achéronienne rendit son regard à Leene. Un regard d'un bleu à peine altéré par le loup de feutre noir qu'elle portait. Elle lui adressa un sourire encourageant, comme à un artiste dont on attend impatiemment la prestation.
Leene était complètement déstabilisée. C'était comme si elle était là, parmi eux, à regarder une guerrière furieuse couverte de sang, leur donnant un spectacle de chair et de larmes. Son regard quitta l'Achéronienne pour balayer l'assemblée. Elle pouvait entendre les remarques des spectateurs. Des hommes s'étonnaient de la voir manier si adroitement une lame de jugement. Un groupe de femmes échangeaient des commentaires intéressés sur l'elfe, alors que deux autres s'interrogeaint sur les desagréments à porter une armure. Leene oublia un moment le brouhaha des conversations et chercha d'où venaient les applaudissements. Un vieil homme au teint gris et à la peau fatiguée, tout en favoris et barbichette, trônait dans la loge principale, directement face à eux. L' homme se leva lentement et continua à applaudir, imposant le silence à l'assemblée. Sa voix se répercuta dans toute la pièce.
"-Formidable! Bravo! Vraiment impressionnant. Ils sont vraiment aussi terrible que l'on nous l'a conté, n'est-il pas?"
Une forte femme en robe pourpe se leva sur la droite, prenant la parole
"- Oh, Baron! Vos divertissements sont toujours des plus exquis! Vous nous émerveillez!"
Le Baron se rassit, s'enfonçant dans son trone.
"-Je ne mérite pas de tels compliments, ma chère. Tout le mérite en revient à ma nièce, Nassya, qui a tout réglé dans les moindres détails pour l'anniversaire de son vieil oncle." l' homme désigna une jeune femme à ses côté, qui se leva et salua les invités. Sa voix à la fois douce et suave donna la nausée à Leene.
"-Chers amis, je vous remercie à tous d'êtres venus pour célébrer le 550ème anniversaire de notre bienfaiteur à tous, le Baron Miriachis. Je suis ravie que le spectacle vous ait plus, mais il n'est pas encore fini...Il y manque encore le dernier acte. Que va-t-il se passer? Prenons les paris."
Un murmure s'éleva de la foule des spectateurs. Ce jeu était une nouveauté aussi singulière qu'amusante. La femme repris la parole.
"-Eh bien? Avez-vous trouvé? Oh, non, seigneur Karis, je ne donnerais pas d'indices. Non, dame Myriam, les Alchimistes ne nous ont pas prêté une nouvelle créature amusante. C'est bien mieux. Comment? Pas de réponse? Pas d'idée? Bien. Passons donc à la fin de la représentation."
L'Achéronienne étendit sa main au dessus de l'arène improvisée et déplia ses doigts. Leene sentit alors les pulsations de magie ténébreuse qui émanaient d'elle.
"-Malefecit, retire toi."
Ordre de convenance pour épater les invités . Leene pouvait voire les liens obscurs que la nécromante avait tissé pour atteindre le Crâne et le soumettre à sa volonté. Le puissant guerrier en était réduit à l'état de poupée de chiffon, et se retira pesamment, refermant la porte derrière lui.
Du fond de la sale, une autre tenture s'ouvrit, dévoilant une porte dissimulé. Celle-ci s'ouvrit lentement, dévoilant une silhouette humaine enveloppée dans un linge noir. Il s'avança et se dévoila.
"-A...Ackyn..." souffla Leene.
Un murmure surpris tomba des loges. La bouche de l'Akkylanienne s'ouvra, puis se referma, formant des mots qui se desséchèrent aussitôt dans sa gorge. Des larmes lui vinrent aux yeux. Il s'agissait bien d'Ackyn, mais pas de celui qu'elle connaissait. Le torse nu du Barhan, ses bras et son visage était couvert d'arabesques violacées qui irradiaient le principe obscur. Sa peau avait pris un teint morbide, et ses cheveux s'étaient décolorés et pendaient devant ses yeux en de longues mèches argentées.
"-Pourquoi..."
Une voix résonna dans la tête de l'inquisitrice.
"-Tu l'as repoussé quand il s'approchait. Tu as fermé les oreilles quand il voulait te parler. Tu l'as maudit quand il t'a protégé. Je lui ai offert tout ce dont il désirait, et plus encore: je lui ai montré qui il était vraiment. Il est à moi maintenant. Et pour s'accomplir, il va te tuer."
Leene leva la tête vers la loge centrale. Elle répondit à la provocation de la nécromancienne en brandissant Thémis, encore sous le charme de la gemme de feu.
"-Ca sent le souffre!" Commenta le baron tout haut, provoquant un hourra d'excitation dans les loges.
"-C'est un merveilleux cadeau, ma petite Nassya. Je suis comblé."
"-Joyeux anniversaire mon oncle..." murmura-t-elle en l'embrassant à pleine bouche Le Baron répondit à cette attention en glissant une main cajoleuse dans les profondeurs délicates du décolleté de sa nièce.
Leene frémit lorsque le regard d'Ackyn se posa sur elle. Ses yeux étaient complètement noirs, et ces ténèbres semblaient s'échapper des orbites pour dévorer la lumière alentour.
"-Meurs pour moi."
Leene fut projetée au sol par une force invisible. Une douleur atroce lui vrillait la poitrine, comme lorsque l'elfe l'avait mis hors de combat avant d'ouvrir le portail. Thémis rebondit sur le sol dans un tintement métallique. Les flammes de la lame de jugement s'éteignirent, comme soufflés par un vent obscur. Elle entendit Ackyn s'approcher, et tenta désespérément de ramper vers son arme. Il la plaqua au sol et la retourna négligemment d'un coup de pied dans les côtes. Elle grimaça sous le coup, incapable de réagir. Le Bahran l'attrapa par le col et la souleva à hauteur de son visage.
"-Tu ne veus plus te battre? Tu l'as pourtant bien fait pour arriver jusqu'ici. Tu pues le sang."
Des larmes commencèrent à ruisseler sur les joues de l'Akkylanienne alors qu'elle luttait pour respirer un air qui ne faisait qu'amplifier sa douleur.
"-Je suis venue te sauver..." murmura-t-elle du peu de souffle qui lui restait.
"-Me sauver? Comment ça? En me tuant? Parce que c'est bien ce que tu avais en tête, n'est-ce pas? Oui...Je l'ai vu. Je sais. Si tes ordres n'avaient pas été plus stricts, quand donc m'aurais-tu enfoncé ta lame dans la gorge? A Danéran? Avant ça? Peut-être que les bandits dont je t'ai sauvé t'aurais donnée un coup de main pour te débarrasser de moi, n'est-ce pas?"
"-Ackyn, je..."
"-Tu souffres, je sais. Je peus sentir ta douleur. Tes blessures sous ton armure. Ton sang qui imbibe tes vêtements. Tes côtes que je viens de briser. Les Ténèbres me disent tout ce que je veux savoir. Et ils ne me demandent qu'une chose: ta mort."
Un sourire amer se dessina sur ses lèvres.
"-Meurt pour moi, Leene. Meurt pour ne plus souffrir. Je te jure qu'ils ne profaneront pas ton corps avec leur magie répugnante. Je porterais ton âme en dehors d'Achéron pour qu'elle s'échappe à la lumière de Lahn. Je peus faire cela. Je le ferais pour l'amour qui me reste pour toi, et que tu m'as jeté au visage. Qu'en dites-vous maître Elfe? C'est une bonne proposition, il me semble..."
"-Une proposition très romantique, en tout cas. Elle figurera dans votre balade, assurément. Ce sera votre épitaphe"
Ackyn la lâcha à ce moment, esquivant un arc de lumière déchargé par l'étrange lance de l'elfe. Leene rampa sur le dos vers son arme, ne quittant pas le combat du regard. Elle n'avait jamais rien vu de tel. L'elfe décochait des coups de sa lance de Lumière à une vitesse prodigieuse alors que des voiles d'ombres apparaissaient pour protéger Ackyn, et se déchiraient en lambeaux au contact de l'arme elfique. Après un enchaînement particulièrement rapide, l'elfe parvint à toucher son adversaire. Un sang noir gicla de la blessure, arrachant un cri de douleur à Ackyn. La réplique ne se fit pas attendre, et l'Elfe fut projeté à travers la salle par une onde d'ébène dont le souffle plaqua Leene au sol. L'elfe se redressa d'un bon souple, couru vers Ackyn...Et sauta par dessus lui pour atteindre Leene, porté par les vents chtoniens qui tempêtaient entre les deux géhennides.
"-Nous partons" souffla l'elfe avant de tourner sa garde vers Ackyn. Leene n'essaya pas de comprendre, et tenta tant bien que mal de se relever, appuyée sur sa lame de jugement. L'elfe entama une incantation qui fit frémir l'assistance. La nécromanciene ordonna à Ackyn de contrer le sort, mais il était trop tard. Un portail de Ténèbre apparaissait à même le sol. Avant d'être happée par l'obscurité, Leene croisa une dernière fois le regard de son double Achéronien. Elle souriait, et la saluait de la main. Puis elle sombra dans l'inconscience.
Leene était complètement déstabilisée. C'était comme si elle était là, parmi eux, à regarder une guerrière furieuse couverte de sang, leur donnant un spectacle de chair et de larmes. Son regard quitta l'Achéronienne pour balayer l'assemblée. Elle pouvait entendre les remarques des spectateurs. Des hommes s'étonnaient de la voir manier si adroitement une lame de jugement. Un groupe de femmes échangeaient des commentaires intéressés sur l'elfe, alors que deux autres s'interrogeaint sur les desagréments à porter une armure. Leene oublia un moment le brouhaha des conversations et chercha d'où venaient les applaudissements. Un vieil homme au teint gris et à la peau fatiguée, tout en favoris et barbichette, trônait dans la loge principale, directement face à eux. L' homme se leva lentement et continua à applaudir, imposant le silence à l'assemblée. Sa voix se répercuta dans toute la pièce.
"-Formidable! Bravo! Vraiment impressionnant. Ils sont vraiment aussi terrible que l'on nous l'a conté, n'est-il pas?"
Une forte femme en robe pourpe se leva sur la droite, prenant la parole
"- Oh, Baron! Vos divertissements sont toujours des plus exquis! Vous nous émerveillez!"
Le Baron se rassit, s'enfonçant dans son trone.
"-Je ne mérite pas de tels compliments, ma chère. Tout le mérite en revient à ma nièce, Nassya, qui a tout réglé dans les moindres détails pour l'anniversaire de son vieil oncle." l' homme désigna une jeune femme à ses côté, qui se leva et salua les invités. Sa voix à la fois douce et suave donna la nausée à Leene.
"-Chers amis, je vous remercie à tous d'êtres venus pour célébrer le 550ème anniversaire de notre bienfaiteur à tous, le Baron Miriachis. Je suis ravie que le spectacle vous ait plus, mais il n'est pas encore fini...Il y manque encore le dernier acte. Que va-t-il se passer? Prenons les paris."
Un murmure s'éleva de la foule des spectateurs. Ce jeu était une nouveauté aussi singulière qu'amusante. La femme repris la parole.
"-Eh bien? Avez-vous trouvé? Oh, non, seigneur Karis, je ne donnerais pas d'indices. Non, dame Myriam, les Alchimistes ne nous ont pas prêté une nouvelle créature amusante. C'est bien mieux. Comment? Pas de réponse? Pas d'idée? Bien. Passons donc à la fin de la représentation."
L'Achéronienne étendit sa main au dessus de l'arène improvisée et déplia ses doigts. Leene sentit alors les pulsations de magie ténébreuse qui émanaient d'elle.
"-Malefecit, retire toi."
Ordre de convenance pour épater les invités . Leene pouvait voire les liens obscurs que la nécromante avait tissé pour atteindre le Crâne et le soumettre à sa volonté. Le puissant guerrier en était réduit à l'état de poupée de chiffon, et se retira pesamment, refermant la porte derrière lui.
Du fond de la sale, une autre tenture s'ouvrit, dévoilant une porte dissimulé. Celle-ci s'ouvrit lentement, dévoilant une silhouette humaine enveloppée dans un linge noir. Il s'avança et se dévoila.
"-A...Ackyn..." souffla Leene.
Un murmure surpris tomba des loges. La bouche de l'Akkylanienne s'ouvra, puis se referma, formant des mots qui se desséchèrent aussitôt dans sa gorge. Des larmes lui vinrent aux yeux. Il s'agissait bien d'Ackyn, mais pas de celui qu'elle connaissait. Le torse nu du Barhan, ses bras et son visage était couvert d'arabesques violacées qui irradiaient le principe obscur. Sa peau avait pris un teint morbide, et ses cheveux s'étaient décolorés et pendaient devant ses yeux en de longues mèches argentées.
"-Pourquoi..."
Une voix résonna dans la tête de l'inquisitrice.
"-Tu l'as repoussé quand il s'approchait. Tu as fermé les oreilles quand il voulait te parler. Tu l'as maudit quand il t'a protégé. Je lui ai offert tout ce dont il désirait, et plus encore: je lui ai montré qui il était vraiment. Il est à moi maintenant. Et pour s'accomplir, il va te tuer."
Leene leva la tête vers la loge centrale. Elle répondit à la provocation de la nécromancienne en brandissant Thémis, encore sous le charme de la gemme de feu.
"-Ca sent le souffre!" Commenta le baron tout haut, provoquant un hourra d'excitation dans les loges.
"-C'est un merveilleux cadeau, ma petite Nassya. Je suis comblé."
"-Joyeux anniversaire mon oncle..." murmura-t-elle en l'embrassant à pleine bouche Le Baron répondit à cette attention en glissant une main cajoleuse dans les profondeurs délicates du décolleté de sa nièce.
Leene frémit lorsque le regard d'Ackyn se posa sur elle. Ses yeux étaient complètement noirs, et ces ténèbres semblaient s'échapper des orbites pour dévorer la lumière alentour.
"-Meurs pour moi."
Leene fut projetée au sol par une force invisible. Une douleur atroce lui vrillait la poitrine, comme lorsque l'elfe l'avait mis hors de combat avant d'ouvrir le portail. Thémis rebondit sur le sol dans un tintement métallique. Les flammes de la lame de jugement s'éteignirent, comme soufflés par un vent obscur. Elle entendit Ackyn s'approcher, et tenta désespérément de ramper vers son arme. Il la plaqua au sol et la retourna négligemment d'un coup de pied dans les côtes. Elle grimaça sous le coup, incapable de réagir. Le Bahran l'attrapa par le col et la souleva à hauteur de son visage.
"-Tu ne veus plus te battre? Tu l'as pourtant bien fait pour arriver jusqu'ici. Tu pues le sang."
Des larmes commencèrent à ruisseler sur les joues de l'Akkylanienne alors qu'elle luttait pour respirer un air qui ne faisait qu'amplifier sa douleur.
"-Je suis venue te sauver..." murmura-t-elle du peu de souffle qui lui restait.
"-Me sauver? Comment ça? En me tuant? Parce que c'est bien ce que tu avais en tête, n'est-ce pas? Oui...Je l'ai vu. Je sais. Si tes ordres n'avaient pas été plus stricts, quand donc m'aurais-tu enfoncé ta lame dans la gorge? A Danéran? Avant ça? Peut-être que les bandits dont je t'ai sauvé t'aurais donnée un coup de main pour te débarrasser de moi, n'est-ce pas?"
"-Ackyn, je..."
"-Tu souffres, je sais. Je peus sentir ta douleur. Tes blessures sous ton armure. Ton sang qui imbibe tes vêtements. Tes côtes que je viens de briser. Les Ténèbres me disent tout ce que je veux savoir. Et ils ne me demandent qu'une chose: ta mort."
Un sourire amer se dessina sur ses lèvres.
"-Meurt pour moi, Leene. Meurt pour ne plus souffrir. Je te jure qu'ils ne profaneront pas ton corps avec leur magie répugnante. Je porterais ton âme en dehors d'Achéron pour qu'elle s'échappe à la lumière de Lahn. Je peus faire cela. Je le ferais pour l'amour qui me reste pour toi, et que tu m'as jeté au visage. Qu'en dites-vous maître Elfe? C'est une bonne proposition, il me semble..."
"-Une proposition très romantique, en tout cas. Elle figurera dans votre balade, assurément. Ce sera votre épitaphe"
Ackyn la lâcha à ce moment, esquivant un arc de lumière déchargé par l'étrange lance de l'elfe. Leene rampa sur le dos vers son arme, ne quittant pas le combat du regard. Elle n'avait jamais rien vu de tel. L'elfe décochait des coups de sa lance de Lumière à une vitesse prodigieuse alors que des voiles d'ombres apparaissaient pour protéger Ackyn, et se déchiraient en lambeaux au contact de l'arme elfique. Après un enchaînement particulièrement rapide, l'elfe parvint à toucher son adversaire. Un sang noir gicla de la blessure, arrachant un cri de douleur à Ackyn. La réplique ne se fit pas attendre, et l'Elfe fut projeté à travers la salle par une onde d'ébène dont le souffle plaqua Leene au sol. L'elfe se redressa d'un bon souple, couru vers Ackyn...Et sauta par dessus lui pour atteindre Leene, porté par les vents chtoniens qui tempêtaient entre les deux géhennides.
"-Nous partons" souffla l'elfe avant de tourner sa garde vers Ackyn. Leene n'essaya pas de comprendre, et tenta tant bien que mal de se relever, appuyée sur sa lame de jugement. L'elfe entama une incantation qui fit frémir l'assistance. La nécromanciene ordonna à Ackyn de contrer le sort, mais il était trop tard. Un portail de Ténèbre apparaissait à même le sol. Avant d'être happée par l'obscurité, Leene croisa une dernière fois le regard de son double Achéronien. Elle souriait, et la saluait de la main. Puis elle sombra dans l'inconscience.
popolman- Ermite crabe
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