La narmée n'à K-ro
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Traumenschar

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Message par Mr.Magnum Dim 10 Juil - 22:31

« Penses-tu que c’est réalisable ? demanda DragonNoir.
-Eh bien, eh bien, pour le savoir, il me faudrait agir en tant que Ionisateur Fou, je pense. Mais j’ai déjà ma petite idée sur la chose. En accumulant les fréquences radios comme des ondes et en les entrelaçant comme des cordelettes, on pourrait former une corde électromagnétique capable de traverser la matière, et peut-être même les dimensions…
-Euh LIF ?
-Oui ? répondit l’intéressé comme si on le tirait d’un rêve.
-Fait à ton idée, mais si tu veux partir pour la réaliser, ne le fait pas seul. Préviens-moi avant, d’accord ?
-Hmm… » Le Ionisateur Fou calculait déjà mentalement les différents moyens de compresser les systèmes d’émissions d’ondes, et on sentait qu’il avait réduit sa capacité de communication avec l’extérieur au minimum. DragonNoir resta un instant auprès de lui, puis s’en retourna à son ordinateur, pour terminer de mettre au point les prochains voyages.
C’est parfait, songea-t-il en s’installant devant son moniteur. Si LIF arrive à nous mettre au point un moyen de communication entre les morts et les vivants, nous aurons fait un grand pas. Un immense pas, même…

*
* *


Shannia se retrouvait un peu exclue de toutes les conversations qui animaient le tube maintenant bondé de monde. D’un coté discutaient IL, Halvorc et deux autres personnes qu’elle ne connaissait pas, et de l’autre se trouvaient les Dieux, Ases contre Vanes, qui dialoguaient d’une manière assez violente. Et elle, pauvre Shannia, ne savait plus où se mettre. Elle avait l’impression de ne plus avoir sa place ici.
Elle songeait à ces dernières heures, ces derniers jours, passés avec IL et Halvorc. Elle avait passé des années sur Terre à vivre une vie monotone, puis des siècles au Vanaheim à s’entraîner et s’ennuyer, et elle avait l’impression d’avoir plus vécu en ces quelques temps que le reste de sa vie. Ou de sa mort.
« Vous quoi ? beugla Heimdall en faisant sursauter Shannia. Vous voulez aller voir Vedrfolnir, celui qui voit tout ?
-Tout à fait, répondit Njörd. Et quel mal y a-t-il à cela ?
-Aucun, admit Thor. Mais sachez que vous nous devez la vie sauve.
-Que cherchez-vous exactement ? demanda Heimdall en ayant déjà sa petite idée. Pourquoi décider ainsi d’aller voir Vedrfolnir, surtout en compagnie de cette bâtarde ?
-Heimdall ! réagit Thor.
-La bâtarde a été mise en prison, a été humiliée par des vulgaires humains, comme ceux vous accompagnant ! Et la bâtarde veut réparation, soumission et souffrance pour les deux voleuses qui ont eu l’affront de pénétrer mes terres.
-Des voleuses ? s’enquit Thor. Je crois que nous avons à parler…
-Shannia, tu peux venir, s’il te plaît ? »
Shannia se retourna vers Halvorc, qui venait de l’appeler. Les trois autres humains la regardaient approcher, intimidée. Halvorc la présenta aux autres.
« Enchantée. Je suis ravie de ne plus être la seule femme ici, maintenant. Je suis Séphira. Séphira Strife, mais tenons-nous en au Séphira.
-Et moi, c’est Soulblighter, mais tu peux m’appeler… …Soulblighter. »
Shannia esquissa un sourire poli.
« Donc, vous enquêtez également sur cette affaire de vol chez les nains ? demanda Séphira. Nous n’avons pas appris grand-chose, mis à part que vos patrons doivent en savoir plus que nous tous réunis.
-Les Vanes ? demanda Halvorc. Ils ont discutés avec un nain, et ils ont refusés de nous dévoiler l’essence de la conversation.
-Et vous pensez vraiment que c’est notre Séphy-Roshou qui est à l’origine de tout ceci ? » demanda Séphira Strife. Personne ne répondit. Ils étaient pourtant tous persuadés qu’elle était passée par cet au-delà, mais ils ignoraient qui était cette seconde femme qui l’accompagnait. Les questions étaient encore nombreuses.
« Séphira ? Soulblighter ? Venez vous et vos amis, nous avons à parler. » dit Thor.

Ils marchaient depuis un bon moment, maintenant, dans le tube invisible qui dominait le Jotunheim aux multiples paysages. Ils avaient vu en repartant le géant qui avait poursuivit les Vanes, encore étourdit, qui se relevait et repartait en titubant. Halvorc lui avait envoyé un ‘Peuh !’ méprisant, et tous les Trauméniens avaient ri.
Ils passaient maintenant au dessus de la montagne qui était au centre du royaume des Géants. La route des Ases avait prit progressivement de l’altitude jusqu’à être plus haute que la cime du mont, ce qui avait considérablement facilité et raccourci le voyage, que ce soit au niveau du temps ou de la distance.
Les informations avaient été mises en commun durant la première partie de ce voyage. Les Ases avaient confiés leurs renseignements aux Vanes, leur expliquant comment ils avaient été mis au courant, le passage au Svartalfheim, Hrumir, le géant Surt au Muspellheim, puis la tentative de retardement à Alfheim.
« Pourquoi les elfes blonds vous auraient-ils retenus ? demanda Freyja. C’est un peuple pacifique qui, d’ordinaire, ne cherche pas les ennuis ?
-C’est vrai, mais il est manifeste qu’ils avaient été menacés pour accomplir cette besogne, soupçonna Thor. Loki est resté là-bas.
-Mon père ? cracha Hel. J’espère qu’ils ne se sont pas attaqués à lui, car il sera certainement moins clément que vous. Il les tuera tous un à un. »
Ensuite, les Vanes concédèrent à leur tour les renseignements accumulés. Halvorc s’approcha de Njörd, lui jetant un regard mauvais.
« Qu’y a-t-il, petit humain ? Tu voulais savoir ce qui avait été dit durant cette conversation avec Hrumir ? Te voilà servit. Mais si je le fais, c’est simplement parce que les Ases nous permettent d’emprunter cette route. »
Njörd et Freyja leur expliquèrent qu’ils avaient commandés cet arc pour contrer les éventuelles attaques des Géants du Jotunheim, en prévision d’un combat futur. L’aveu n’était pas des plus convaincants, mais les Ases l’acceptèrent tout de même. Hrumir ne devait pas prévenir Odin, mais un de ses elfes noirs avait prit les devant et il avait envoyé un messager à Asaheim pour l’informer.
« C’est pourquoi nous avons rapidement été éconduit par Hrumir, en conclut Heimdall. Il nous a dit ce qu’il voulait qu’on sache, puis il s’est précipitamment esquivé…
-…pour nous parler, à nous, annonça Freyja.
-Ensuite ? demanda Thor. Qu’avez-vous trouvé ? »
Njörd poursuivit, leur détaillant l’épisode avec Nidhögg et ses énigmes ardues, puis l’arrivée à Helheim et la rencontre avec Hel. Cette dernière prit le relais et raconta la survenue des deux voleuses, leur main mise sur ses employés et insista sur leur brutalité.
« Surtout celle aux cheveux argentés, ajouta-t-elle après un moment de réflexion. Elle m’a giflée, même, avant de m’enfermer. Et elle riait, la chienne, elle riait !
-Donc, résumons ce que nous savons. » dit Thor.
Juste à ce moment là, ils passèrent au dessus du sommet de la montagne. Le paysage changeait du tout au tout, passant d’un désert sec et brûlant aux plaines enneigées du Nord. La température chuta sensiblement, comme si le groupe était entré dans un sas frigorifique imperceptible, mais pourtant bien présent.
« Nous savons que deux voleuses sont arrivées chez Hel, dans son manoir, et elles ont tout dévasté. Une jeune fougueuse aux cheveux argentés, et une plus âgée. Elles ont ensuite mis à mal Garm, le chien de Hel, avant d’aller au Nifelheim chercher deux cerfs pour voyager plus rapidement. C’est bien ce qu’a dit Surt, n’est-ce pas ?
-Tout à fait, affirma Séphira Strife. Ce sont ses mots. »
IL garda pour lui la petite précision concernant Nidhögg, que c’était le serpent lui-même qui avait fourni les montures au deux voleuses.
« Ensuite, elles sont allées au Svartalfheim afin de dérober l’arme des Vanes, sans but précis. Peut-être est-ce simplement un hasard ?
-Aucune idée, admit Njörd.
-Pour finir, elles sont passées par le Muspellheim, où le géant Surt les a vu, de loin, puis nous n’avons plus de nouvelles. Je pense que le résumé est complet ? »
Tout le monde acquiesça. Puis le voyage continua silencieusement, laissant chacun à ses pensées. IL se rendit compte à cet instant que ni Halvorc ni Shannia n’avait parlé de son comportement à Soulblighter et Séphira. Oubli ou faveur, IL se réjouit intérieurement. Dès qu’une occasion se présentera, il la saisira, et cette fois-ci pas de quartiers.
« Quelqu’un arrive. » déclara Heimdall sans préambule.
Au bout de quelques minutes, le reste du groupe entendit effectivement le bruit d’un galop de cheval. Ils s’arrêtèrent, et bientôt un coursier apparu à toute vitesse. Il ralentit à leur approche, et descendit de son destrier avant même l’arrêt complet de ce dernier. Il courut le reste du chemin jusqu’à Thor et esquissa une révérence.
« Ô Dieu Thor, nous avons un problème extrêmement urgent. Odin lui-même désire votre retour au Asaheim au plus vite.
-Que se passe-t-il ? demanda Thor. »
Le coursier, un simple humain du Valhalla, reprit sa respiration.
« Les morts… commença-t-il. Les morts affluent en grand nombre, il en arrive énormément. Nous avons envoyé un messager à Helheim, mais Hel sembla avoir disparue.
-Évidemment, puisque je suis là. Qu’y a-t-il encore, dans mon royaume ?
-Je vous prie de m’excuser, je ne savais pas que…
-Abrégez, abrégez ! s’impatienta Hel en moulinant des poignets.
-La population des morts augmente de manière disparate. Les gens semblent mourir de plus en plus rapidement, et si rien n’est fait, la place viendra à manquer !!
-On dirait presque, murmura Heimdall, que le destin est devenu fou. Les gens meurent comme on tranche les fils de la vie. »
La métaphore fit mouche. L’ensemble des Dieux, Vanes et Ases, eurent ensemble la même vision, la même idée.
« Le Wyrd ! » s’exclamèrent-ils en même temps.

*
* *


Il referma soigneusement la porte de sa demeure, une immense habitation qui avait autrefois été une ferme. Ce style de bâtiment était très courant dans la région, mais l’opportunité d’en posséder une avec les hectares de champs qui l’entouraient était déjà plus rare. Mais il était un de ces élus.
La voiture l’attendait déjà, moteur en route et prête à partir. Il s’agissait de faire vite, et bien. La route risquait d’être longue, et il voulait à tout prix arriver juste au bon moment.
« À point nommé, je vais arriver. Tel un surhomme tranchant l’adversité pour sauver la plèbe fort ennuyée. » Il sourit, puis se yeux changèrent, rien qu’un instant. Quelques secondes où il articula d’une voix noire : « Ou tel un balayeur éradiquant ces vulgaires mouches à merde de la surface du globe. »
Le temps sembla s’arrêter, il vit les arbres et la voiture devant lui se dédoubler, puis se détripler. Puis le vertige cessa, et il se remit en route. Il se cala confortablement à l’arrière et dit à son chauffeur :
« Allons-y. Direction Paris. »
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Message par Mr.Magnum Sam 16 Juil - 22:23

10. La toile du Wyrd.
DragonNoir regarda le Ionisateur Fou trembler, puis ouvrir les yeux. Il se redressa sur son séant, haletant, et regarda autour de lui. DragonNoir lui tint le bras, et le Ionisateur Fou se calma quelque peu. Il se détendit et se passa une main dans les cheveux.
« Pfffiou… C’est toujours aussi ignoble, le retour. La pilule mise au point par Hilde a peut-être un goût dégueulasse, mais au moins elle ne donne pas d’étourdissements lors du retour parmi les vivants.
-Mais tu sais très bien qu’il faut les économiser, dit DragonNoir. Tant que nous n’aurons pas retrouvé Hilde, elle ne pourra pas nous en fabriquer d’autres. Et sans elles, autant tous nous suicider immédiatement.
-Je sais, oui, admit le Ionisateur Fou. Et je sais également que me tuer pour que je réalise ne servait à rien, car j’aurais atterri dans un au-delà x ou y, alors que là j’ai pu mettre au point sans trop de mal ton idée de base. »
DragonNoir s’assit sur le bord du lit, et le Ionisateur Fou se tourna vers lui, dos au mur. Il retira ses lunettes et les essuya sur un pan de sa chemise à carreaux.
« Il y a juste un problème que je n’ai pas réussi à résoudre, alors il va nous falloir contourner l’obstacle.
-Je t’écoute. » DragonNoir était de plus en plus content d’avoir confié cette tâche au Ionisateur Fou. Il avait apparemment terminé, et en seulement quelques heures. Peut-être détenait-il une des clefs qui permettra de sauver les Trauméniens disparus.
« Pour ce qui est de la réalisation en elle-même, tout est terminé : J’ai confectionné une petite douzaine d’émetteurs-récepteurs pas plus gros qu’un kit main libre de téléphone portable, et qui se porte à l’oreille. Autonomie de deux semaines, avec pile à uranium condensé et possibilité d’enregistrement des conversations.
-C’est parfait, LIF. Parfait. » DragonNoir jubilait, et le Ionisateur Fou bomba inconsciemment le torse.
« Le centre névralgique qui permet de relier les oreillettes, c’est ton ordinateur, tout simplement. Il permet de faire basculer les fréquences, de connecter tel appareil avec tel autre, de sorte que toute conversation soit possible. Celui qui est devant l’écran servira d’opérateur de liaison, en quelque sorte. J’y ai même installé un lecteur mp3, si jamais on veut balancer de la musique à ceux qui sont en train de faire des recherches… »
Le Ionisateur Fou s’interrompit de lui-même en voyant le visage dubitatif de DragonNoir, qui ne considérait manifestement pas la fonction baladeur des oreillettes comme une priorité. Il toussota, puis poursuivit.
« C’est là qu’intervient le problème que j’ai annoncé. Je n’ai pas réussi à traverser le seuil de la mort à ici, avec mes appareils. J’ai modifié ton ordinateur dans l’au-delà, mais pas dans ce monde-ci, et il n’est donc malheureusement pas possible de dialoguer avec les morts sans être soi-même décédé, ou au moins partit comme moi je l’étais. »
Le Ionisateur Fou poussa un soupir triste de l’homme abattu.
« Ce qui signifie que mon installation nécessite un mort permanent pour fonctionner. Comme je suis le seul à connaître son fonctionnement, ça implique que je doive rester sur place un maximum de temps.
-L’utilisation est compliquée ?
-L’interface est un mix entre le logiciel de MSN, et un répartiteur audio de base. Les conversations sont numérisées et enregistrées automatiquement, en format audio et en format texte. Les seules choses un peu ardues à assimiler concernent les manipulations des fréquences pour les faire coïncider, et ainsi mettre en relation les oreillettes.
-Tu penses pouvoir former quelqu’un, sinon ? »
Le Ionisateur Fou réfléchit un instant à la question. Avoir une seconde personne capable de maintenir le réseau en place serait d’une grande aide, au cas où il lui arriverait quelque chose. Et le Ionisateur Fou ne comptait pas rester ici sans rien faire : Il voulait repartir pour une nouvelle mission, dès que possible.
« Si ce quelqu’un est gentil avec ma calculette chérie qui est reliée au système de données de l’ordinateur, alors pourquoi pas ? »

*
* *

« Que se passe-t-il ? » tonna Thor en entrant dans la petite chaumière qui servait d’habitation aux trois Nornes. Heimdall avait expliqué aux Trauméniens, durant le rapide voyage à cheval jusqu’aux racines de l’Yggdrasil, que trois jeunes femmes représentaient les symboles du passé, du présent et de l’avenir.
Urd est la plus âgée et représente le passé. Elle a l’apparence d’une vieille femme, voûtée et ridée, et est celle qui est chargée de garder la maison lorsque les deux autres Nornes doivent sortir.
Verdandi est l’incarnation du présent. C’est une grande et belle femme, aux cheveux longs et au visage d’une beauté presque divine. Elle s’occupe de la préparation de l’onguent pour guérir l’Yggdrasil des morsures de Nidhögg.
Skuld est une petite fille et symbolise le futur. Elle ressemble à n’importe quelle autre petite fille d’une dizaine d’années, à la voix aiguë et au comportement agité. C’est elle qui va chercher les ingrédients nécessaires aux mixtures de Verdandi.
Les trois Nornes ont deux buts principaux. Le premier est de maintenir l’Yggdrasil en vie, en combattant Nidhögg tous les jours et en guérissant les plaies de l’arbre de vie avec de l’eau de la source Urd, qui coule non loin de leur demeure, et en la mélangeant avec de la terre. Elles ne peuvent rien faire d’autre.
Leur seconde charge concerne le destin des hommes, des vivants. Elles tressent toutes trois les fils du passé, du présent et de l’avenir, les combinant pour former le destin de l’univers tout entier. Ces fils sont piochés dans le Wyrd, une dimension accolée à celle de l’Yggdrasil, où les Nornes attrapent les fils du destin pour les relier. Le seul et unique passage pour le Wyrd se trouve chez elles.
« Il n’y a personne, grommela Njörd en ressortant de leur chambre. On croirait qu’elles sont parties depuis des siècles, au moins.
-Je vais voir dehors ! proposa Freyja avant de sortir.
-Peut-être sont-elles allées soigner l’Yggdrasil ? demanda Halvorc en récitant sa leçon.
-Pas toutes les trois, répondit Heimdall. Verdandi y va, obligeamment, et parfois Skuld part avec elle. Mais Urd est trop vieille pour les accompagner, alors elle reste ici.
-Mais elle n’est pas là, constata Soulblighter.
-Il a dû se passer quelque chose… dit Thor. Allons dans le Wyrd. »
Un amoncellement de silence lui répondit. Thor, la main posée sur la poignée de la porte descendant à la cave, là où se trouvait le passage pour la toile du Wyrd, les regarda tous un par un. Chacun baissait les yeux, même Njörd.
« Auriez-vous peur ?
-Thor… débuta Heimdall les yeux toujours rivés sur ses pieds. La toile du Wyrd est une dimension dangereuse, et même nous risquons de nous perdre, sans les Nornes pour nous guider. On raconte qu’elles-mêmes n’y vont jamais, et se contente de récupérer les fils du destin par un orifice au rez-de-chaussée.
-Quelque chose se passe avec les fils de la toile du Wyrd, les morts affluent de toutes parts, civiles et combattantes. Nous ne pouvons pas laisser tout ceci continuer ! »
À nouveau, personne ne répondit. La porte derrière eux s’ouvrit dans un fracas de bois et Freyja bouscula tout le monde pour se placer au premier rang.
« Elles ne sont pas dehors, mais j’ai trouvé deux des quatre cerfs. Durathor et Duneyr. Et ils sont morts. »
Thor jeta un œil effrayé par la fenêtre. On lisait sur son visage la peur, pour la première fois. La peur de savoir qui pouvait arriver à dompter un cerf de l’Yggdrasil, s’en servir et le tuer une fois arrivé à destination. Qui, ou quoi.
« Que ceux qui veulent venir avec moi le fassent, et que les peureux restent. »
Puis Thor ouvrit la porte et s’y engouffra, surmontant sa peur et s’armant du plus profond des courages. Il n’espérait plus qu’une seule chose : Qu’Odin vienne à sa rescousse et impose sa force de Dieu des Dieux.

Le bas des escaliers donnait sur le vide. Un vide noir comme le jais et profond comme l’espace. Mais un vide solide, un vide sur lequel on pouvait se tenir debout, et marcher. Thor posa donc un pied sur ce vide spécial et avança. La descente des escaliers avait été longue et le nombre de marches incalculable. Les fils blancs avaient commencé à apparaître une dizaine de minutes après être passé par la porte.
Soulblighter faillit en casser un, comme on brise une toile d’araignée gênante, mais Heimdall avait arrêté sa main avant qu’il ne tue.
« Lorsque tu brises un de ces fils, un homme ou une femme, sur Terre, meurt. Voilà pourquoi nous sommes ici : Pour empêcher cette œuvre de destruction, et non pour y participer ! N’est-ce pas ? »
Soulblighter avait ensuite fait bien plus attention où il mettait ses mains, sa tête, ses pieds et tout ce qui dépassait. Les autres membres du groupe firent de même, et la longue descente ne fut entachée d’aucune maladresse. Les fils, qui contrastaient de leur blanc presque lumineux avec les ténèbres du vide, avaient été de plus en plus nombreux au fur et à mesure de l’avancée, pour former par endroits des amoncellements inextricables de vies qui se chevauchaient telle une bacchanale sexuelle dans les milieux autorisés.
Thor avança au milieu des fils, les évitant tous non sans difficultés. Heimdall fut le premier à entendre le rire de dément, mais bientôt tous le perçurent. C’était un rire empreint d’une folie dévastatrice, un rire nuisible, le rire d’une personne dont la santé mentale échappe à tout contrôle. Quelque chose d'abominable.
Une flèche fila près de l’oreille de Thor. Elle scintillait dans la noirceur environnante, tout comme les fils du destin. Elle en trancha un à hauteur de Séphira, qui étouffa un cri de dégoût lorsqu’elle vit du sang s’écouler de la cassure. Derrière elle, Shannia l’aida à continuer à avancer. En bon dernier, IL commençait tout juste à se poser des questions.
Merde. J’aurais dû aller la chercher moi-même, cette arme, au lieu de jouer les gentils et de rester avec ces blaireaux. Maintenant, c’est trop tard. Trop tard pour les éliminer sans m’attirer les foudres divines. Ha ha, les foudres divines, en parlant de Thor… Pourquoi je n’ai pas fait comme ce crétin de Loki ? Lui au moins est resté tranquillement dans son coin à attendre que le temps passe…
« Qu’est-ce que c’était ? demanda Soulblighter.
-C’était une flèche de l’arc qui a été volé. Une flèche de haine pure. »
Heimdall ramassa le morceau de fil qui dégoulinait de sang écarlate. Un sang qui ne tarderait pas à brunir et s’arrêtera de couler, tout comme le cœur de cette personne, sur Terre, s’est arrêté de battre. Séphira Strife n’arrivait pas à détacher son regard du fil tranché.
Après quelques minutes de slalom entre les fils, et deux autres flèches de haine aperçues, Heimdall vit enfin leur ennemi pour la première fois. Et en guise d’ennemi, il s’agissait plus précisément d’une ennemie : La seconde femme, celle qui accompagnait Séphy-Roshou, celle qui portait des vêtements d’un autre quand et d’un autre où, Erzébeth Bathory se trouvait là à tirer sur les fils du destin tendus autour d’elle.
Elle se tourna vers eux, et son rire enfla encore plus, comme si elle s’attendait à leur venue ici bas. Ses yeux roulaient en tous sens, et elle était écarlate.
« Ha ha ! Vous voilà enfin ici, me rejoindre pour cette orgie de sang ! Vous désirez participer ? Aucun problème ! Je n’ai besoin que d’une seule chose, pour être la plus heureuse et la plus belle des femmes ! »
Elle fit apparaître une flèche dans sa main. Rouge.
« J’ai besoin de sang… »
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Message par Mr.Magnum Sam 16 Juil - 22:25

Serge Thourn s’installa dans la pièce principale de l’appartement de Nina. La pièce était claire, bien agencée et meublée, mais on devinait un manque de place assez important. Sans que ce salon ait été surchargé, il était tout de même bien rempli. Serge posa ses mains croisées sur la table, au centre, et attendit que la maîtresse de maison revienne.
Elle l’avait accueilli avec un sourire, ce qui n’était pas dans les habitudes du commissaire lorsqu’il dévoilait ses intentions. La plupart des personnes devenaient méfiante, ou tout le contraire : Elles se transformaient en petits larbins susceptibles de faire le moindre des caprices du fonctionnaire de police qu’ils recevaient chez eux.
Un peu comme Alexandra Dérata, qui lui avait carrément fait du rentre-dedans.
Le médecin expert avait conclu à un arrêt cardiaque, bien que la victime n’ait eu aucun antécédent. La cause de la mort satisfaisait peu Serge Thourn, tout comme le médecin, mais les faits étaient pourtant ainsi. Thourn eut beau dire, expliquer, comme s’était déroulé la scène, le cœur n’en avait pas moins lâché sans raison. L’image qui venait dans l’esprit du commissaire était celle d’un fil tranché net.
Thourn avait laissé la police locale s’occuper de cette affaire, préférant se concentrer sur la raison pour laquelle il était à Nantes. Même si son esprit de policier n’avait pu s’empêcher de faire le rapprochement entre cette mort et les menaces voilées de son interlocuteur du cimetière, même s’il n’avait pu que noter les similitudes entre le décès de Dérata et ceux des centaines d’autres morts de part le monde, il voulait absolument éviter de se disperser.
« …où voulez-vous plutôt du café ?
-Pardon ? »
Serge n’avait même pas entendu que Nina était revenue de la cuisine et qu’elle lui parlait, trop perdu dans ses pensées. Il s’excusa et lui dit que le thé lui convenait parfaitement.
« Très bien, dit-elle. Combien de sucre ? Ce sont des petites tasses.
-Deux tout de même, répondit le commissaire. J’ai toujours adoré le sucre. »
Nina lui renvoya un nouveau sourire et lui tendit le sucrier. Thourn se servit et touilla distraitement son thé en continuant visuellement le tour de la pièce. Nina s’assit en face de lui, puis remua à son tour sa cuillère. Serge l’observa discrètement.
La jeune femme était brune et arborait fièrement une immense natte qui lui tombait gracieusement dans le dos. Elle portait une paire de lunettes qui mettaient en avant ses magnifiques yeux verts, et souriait en permanence. Malgré la chaleur toute relative du printemps, un pull en laine lui recouvrait les épaules.
« Bien, dit-elle après avoir bu une gorgée de thé brûlant. Que puis-je faire pour vous ? »
La question était tombée sans préambule, et Serge en fut déstabilisé. Le sourire de Nina le déstabilisait, également. Ainsi que l’atmosphère qu’elle avait distillée dans la pièce : Chaleur, douceur et bien-être. Thourn eut soudain le sentiment de se faire mener par le bout du nez, et préféra se lever pour casser l’ambiance. Il fit le tour de la table en marchant, lentement, feignant un intéressement déplacé sur les murs.
Nina souriait toujours.
« Si je suis là, commença-t-il, c’est tout d’abord à cause d’une jeune femme. Une jeune femme décédée récemment, et dont la mort a attiré de nombreuses personnes ici même, à Nantes. Et parmi elles, une bien précise que je cherche à retrouver, ainsi que vous. »
Serge Thourn espéra deviner un léger tremblement dans sa voix lorsqu’elle répondit.
« Une jeune femme décédée récemment ? Non, je ne vois pas. Vous savez, j’habite ici depuis quelques temps, maintenant, et je ne suis pas venu exprès pour voir un décès, mais pour des raisons scolaires.
-N’êtes-vous pas allé à un enterrement ?
-Je me vois mal aller à un enterrement d’une personne que je ne connais pas. »
Serge guettait toujours l’effondrement du sourire, mais en vain. Nina ne baissait ni sa garde, ni ses pommettes, et Thourn s’en trouvait fort embarrassé. Il continua le tour de la table, passant derrière Nina qui buvait son thé à petites gorgées, et allait ouvrir la bouche pour reprendre lorsqu’elle le devança :
« Votre thé va être froid, monsieur Thourn. »
Première erreur, ma petite !
Serge afficha à son tour un sourire narquois et s’assit en face d’elle. Il but longuement et ne reposa sa tasse qu’avec un fond de thé tiède. Puis il croisa les mains au dessus et posa son menton sur l’entrelacs de doigts.
« Je n’ai pas souvenir de vous avoir donné mon nom, mademoiselle. Juste mon insigne et ma profession. »
Là, Serge n’inventa pas le rouge qui montait rapidement aux joues de Nina. Il n’inventa pas non plus l’appel à l’aide qu’elle effectuait en fuyant son regard, ni le tremblement dans ses mains lorsqu’elle reposa également sa tasse, vide. Il venait de reprendre les rennes de l’interrogatoire, et ça lui plaisait.
Nina, de son coté, commençait à sentir les effluves de panique lui titiller le ventre, et elle n’avait qu’une seule envie : Se tirer de son appartement afin de mettre fin à cette épuisante conversation. Mais il lui fallait se reprendre. Elle avait fait une erreur, mais elle devait la réparer. Ses yeux furetèrent et trouvèrent enfin une solution.
« C’est ce qui est noté sur votre badge, celui qui dépasse de votre poche, là. »
Serge se redressa brusquement, comme si un tisonnier chauffé à blanc venait de lui être appliqué sur une fesse. Il jeta un œil à sa poche de chemise, et soupira intérieurement. Un partout, la balle au centre.
« Exact, vous êtes très observatrice.
-Ce sont les lunettes, répondit-elle avec un clin d’œil. Vous devriez en porter aussi, vous trouveriez peut-être votre proie ? »
Elle avait conscience de jouer avec le feu en le narguant ainsi, mais elle n’avait pas pu réprimer cette saillie tranchante. Son sourire était également revenu, plus radieux que jamais. Quant à sa panique, elle s’était retirée.
« Revenons-en à la défunte. Vous m’affirmez donc que vous n’avez aucun membre de votre famille qui est décédé ces derniers mois ? Ou même un ami proche ?
-Aucun, mentit Nina. Je n’ai même pas souvenir de la date du dernier enterrement où j’ai assisté, pour tout vous dire.
-En novembre dernier, peut-être ?
-Ça ne me dit rien. »
Serge repensa soudainement au petit mot qu’il avait dérobé sur la tombe. La dernière tombe intéressante du cimetière, et également celle qui avait été la plus protégée. Il s’attendait presque à voir la jeune fille devant lui tomber, morte, comme la gardienne de la piscine quelques heures plus tôt. Il n’osait pas la quitter des yeux.
« Vous désirez un autre thé ?
-Non merci.
-Je vais m’en faire un, vous m’excusez ? »
Nina se leva et partit avec sa tasse. Elle fit chauffer l’eau dans sa bouilloire et lava rapidement ses couverts. Derrière elle, Thourn sortit la petite carte et la relut.
« Est-ce que vous savez qui est Séphy-Roshou ? »
Elle laissa choir sa sous-tasse qui se brisa sur le carrelage. Serge se leva pour lui venir en aide, mais elle le remercia d’avance. Elle ne voulait pas qu’il voie les tremblements de ses mains, ni qu’il ne s’approche trop d’elle. Thourn ne se rassit néanmoins pas. Il venait à nouveau de marquer un point, et il ne fallait pas qu’il perde la main.
« Je pense que ça doit être un pseudonyme, ou quelque chose comme ça. Le genre de faux nom qu’une adolescente emploie pour aller sur Internet, afin de préserver un semblant d’anonymat, ou de se donner un nouveau rôle dans le jeu de la vie. »
Il s’était finalement placé juste à coté d’elle, et Nina n’arrivait plus à bouger. Elle regardait, impuissante, les morceaux de l’assiette sur le sol. Thourn s’accroupit à coté d’elle, pour mettre son visage à hauteur du sien.
« Ou bien pour aller sur un forum ? »
Pure coïncidence ou destin, c’est à ce moment exact que la porte s’ouvrit. Thourn, au comble de l’excitation, fit face à la porte et porta une main à son holster. En face de lui, le jeune homme s’arrêta, la main encore sur la porte. Le regard qu’il lançait au commissaire n’avait rien de la surprise, ou de la peur : Il était chargé de haine.
« Qu’est-ce que vous faites là ? cracha Aran.
-Je suis commissaire de police, dit Thourn en refermant son holster. J’enquête sur…
-Je vous prierai de sortir d’ici.
-Mais c’est l’appartement de cette jeune fille, et non le vôtre.
-Monsieur Thourn, pouvez-vous vous en aller, je ne me sens pas très bien. »
Thourn fixa Nina, qui simula un sourire fatigué, mais néanmoins un sourire, à son adresse, et murmura un ‘excusez-moi’ assez sincère pour que le commissaire baisse les bras. Il contourna la table et sortit, sous les yeux assassins d’Aran. Une fois la porte refermée, il se rua sur Nina et l’aida à se relever.
« Ça va, lui dit-elle. Je me suis juste un peu affolée.
-Ça serait arrivé à n’importe qui, la rassura-t-il. Laisse, je vais ramasser. Est-ce que tu as été obligée de lui dire quelque chose d’important ? »
Nina secoua la tête.
« Mais il en sait déjà beaucoup. Il m’a parlé de Séphy-Roshou, il sait que c’était un pseudo, qu’elle était sur un forum… Et il m’a dit qu’il recherchait une personne.
-Qui ? demanda Aran en jetant les débris de la sous-tasse.
-Je ne sais pas. Il a juste dit : L’enterrement de cette jeune fille, il parlait de Séphy-Roshou, même s’il ne le sait pas je pense, l’enterrement de cette jeune fille a attiré beaucoup de monde : Une personne que je recherche, et vous. »
Aran se demanda quel pouvait bien être ce Trauménien que recherchait Thourn. Il était d’ailleurs à mille lieux de penser qu’il pouvait s’agir de Mr.Magnum. Il s’approcha de Nina et l’enlaça. Elle reposa la tête sur lui.
« Ne t’en fais pas, tu as été très bien. Il se doute certainement de quelque chose, mais il n’a rien de bien précis. Le jour où il découvrira l’ampleur de Traumen et de notre projet est encore loin d’être arrivé, et d’ici là nous aurons certainement déjà ressuscité Séphy-Roshou, et tout sera terminé.
-Espérons-le… » chuchota Nina.
Et, derrière la porte, l’oreille collée au battant, Thourn inscrivit sur son carnet les mots Traumen, projet et ressusciter Séphy-Roshou, avant de souligner trois fois ce pseudo.

*
* *


Rien ne se passe comme prévu… Je ne comprends pas où tout s’est retourné contre moi, mais je ne peux plus rien faire… Je ne sais pas ce que… Hein ? Quoi ? Rentrer, tous ? Vous voulez dire… …maintenant ? Mais il reste encore la carte Loki, et…

…oui, je comprends. Excusez-moi de Vous avoir déçu, je… Je vais les faire revenir. Comment ? Vous êtes en route ? Vous arrivez chez DragonNoir ? Ah, eh bien je… Oui. Oui… Nous serons rentrés, d’accord. Erzébeth se fera maîtriser, je pense, par Thor, Heimdall ou Njörd, si besoin est. Oui. Oui oui. Je ne pense pas que… Gnnh… Non, pas ça… Rrrhhh… Arrêtez je… Gnnnh… Khhh…
Je ne…
Gnnnnhhh…

…oui, je saurais apprécier ma punition, je la mérite…

IL sentit la communication se couper, et le lien télépathique s’envola. La douleur également, et il pu rouvrir les yeux. Personne ne l’avait vu. IL essuya d’un revers de manche les larmes qui avaient coulées sur ses joues, puis renifla. La douleur de l’humiliation était plus forte encore que la souffrance physique.
Mais, à Le croire, je vais encore devoir en baver…
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Message par Mr.Magnum Sam 16 Juil - 22:27

« Chauffeur ! Pourrions-nous nous arrêter un instant ? »
La voiture enclencha le clignotant et se rangea sur la voie de droite, puis sortit sur une aire de repos. Les autoroutes avaient ceci de pratique : On y trouvait de nombreux endroits où se reposer, se délasser, ou téléphoner.
Il sortit du véhicule et s’étira. La chaleur n’était heureusement pas encore excessive, mais il sentait déjà ses vêtements coller à lui. Sa peau pâle était moite, et il s’essuya le front avant de sortir son portable, tout en s’éloignant de la voiture. Le chauffeur, adossé à la portière, le suivait des yeux.
Il s’installa devant une table de pique-nique, chassa une mouche qui voletait innocemment autour de lui, regarda les alentours puis ferma les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, ses pupilles avaient disparues sous d’immenses iris de jais. Un sourire mauvais vint enlaidir son visage. Une autre mouche, ou la même, revint tourner autour de lui.
Il composa un numéro de tête sur son téléphone et le mit à son oreille. Au bout de trois sonneries, on décrocha.
« C’est moi, tonna la Voix. J’ai donné l’ordre à IL de rentrer. Préparez-vous à passer à la phase deux, je vous rejoins d’ici quelques heures également. » Il écouta patiemment ce que lui répondit son interlocuteur, tout en suivant la mouche des yeux. Puis il répondit : « Vous serez cinq pour emmener les corps. »
Il écrasa la mouche avec une rapidité inhumaine, l’attrapant en plein vol dans sa main et la broyant cruellement.
« Je vais contacter Pasteqman. »

*
* *


« Les Nornes sont là ! » s’écria Freyja en désignant trois corps étendus sur le sol. Une vieille femme, une autre d’âge mur et une petite fille, empilées pêle-mêle, étaient inconscientes. Elles ne semblaient pas blessées, mais on pouvait facilement deviner que leur sommeil n’était pas naturel.
« Laissez-les, ces petites pimbêches qui voulaient m’empêcher de nous amuser ! Elles n’ont que ce qu’elles méritaient !
-Ferme-la, toi !! »
Erzébeth, l’arc bandé, s’arrêta de rire et dévisagea Hel avec une grimace de haine. Celle-ci s’avança vers la vieille femme, une des premières tueuses en série de l’histoire de l’humanité, et se planta fermement devant elle les poings sur les hanches.
« Je te reconnais, la vieille rombière : Tu étais avec la jeune garce qui a réduit en miettes mon manoir, mes laquais et même mon chien !
-Oh, c’est toi ! cracha Erzébeth en levant de nouveau sa flèche rouge. Je me demande pourquoi Séphy-Roshou ne t’a pas tuée, lorsque nous sommes arrivées ici. »
Le pseudo prononcé fit sursauter les quatre Trauméniens présents. Ils venaient enfin d’avoir une preuve directe de ce qu’ils recherchaient. Séphy-Roshou était donc bien arrivée ici, avec cette femme, mais elle était repartie. Halvorc s’avança à son tour.
« Ne t’approche pas trop ! s’inquiéta Shannia.
-Reste en dehors de ça, humain ! lâcha Hel sans cesser de fixer Erzébeth.
-Mais je vais réparer son erreur, et je vais te faire goûter à la haine. Ma haine ! »
Tous entendirent la corde de l’arc se tendre, et gémir sous la tension exercée. Tous s’accordaient à penser que l’arme forgée par les Nains du Svartalfheim était loin d’être une arme classique, tant les hurlements d’effroi sous-jacents leur vrillaient le crâne. On avait presque l’impression que l’arc souffrait.
« Où est passée Séphy-Roshou ? demanda Halvorc tout en approchant, pas à pas, de la folle armée.
-Qui es-tu, toi ? Éloigne-toi ou bien tu seras la prochaine cible de ma haine !
-Elle est repartie, n’est-ce pas ? continua Halvorc. Elle est repartie, elle a tué les deux cerfs et elle vous a laissé là. Seule. »
Erzébeth relâcha un peu la corde. Pas énormément, mais un peu tout de même. Halvorc fit un pas de plus, sous l’œil atterré de la troupe derrière lui. Hel s’écarta. L’arc commença à trembler, et la flèche rouge laissait des sillons luminescents dans les ténèbres autours.
« Elle a tué les deux cerfs ? demanda Erzébeth d’une voix mal assurée.
-Elle les as tué après vous avoir demander de vous amuser ici, pour vous empêcher de fuir. » Le regard d’Halvorc était dur, et il la tenait sous son emprise. Il savait pertinemment que, s’il détournait les yeux, elle relèverait son arc et tirerait. Ce qu’il adviendrait de lui, Halvorc, il n’osait trop y penser.
« Vous mentez ! Elle m’a dit qu’elle reviendrait me chercher, qu’elle était juste allée s’assurer que personne n’arrivait !
-Pourtant, nous sommes là. Elle non. »
L’arc vacilla encore, plus nettement. Personne n’osait dire un mot, tant Halvorc se débrouillait adroitement pour déstabiliser leur adversaire. Freyja avait ranimé les trois Nornes, et elle les avait emmenées derrière les Dieux, pour les protéger. Urd leur avait alors raconté comment s’était déroulée leur arrivée.
« Dès qu’elles ont eu posé pied chez nous, j’ai su qu’elles n’étaient pas des messagers, ou des humaines habituelles. Cette vieille femme m’a menacé avec l’arc, et elle m’a ensuite assommée. Verdandi et Skuld étaient parties chercher de l’eau à la source.
-Lorsque nous sommes revenues, continua Verdandi d’une voix douce, elles nous ont menées ici, dans les toiles du Wyrd. Et nous y avons découvert le corps de Urd, inconsciente. Cette folle faisait déjà des ravages, et tirait des flèches sur les fils du destin. La jeune fille aux cheveux argentés lui a alors annoncé qu’elle allait jeter un œil dehors, et juste après ça elle m’a également étourdie, ainsi que Skuld. »
La petite fille acquiesça, les larmes aux yeux. Devant, le combat entre Erzébeth et Halvorc faisait toujours rage, mais une rage particulière : Une rage silencieuse et maîtrisée. Halvorc soutenait toujours le regard fou de la tueuse en série, et cette dernière ne baissait pas son arc maléfique.
« Elle va revenir, lâcha-t-elle finalement. Elle va revenir, et elle va tous vous exterminer, jusqu’au dernier ! Elle peut le faire, je l’ai vu à l’œuvre ! Elle est invincible…
-…et elle est également orgueilleuse, narcissique et solitaire, termina Halvorc. Très solitaire, et il est même étonnant qu’elle vous ait supporté tant de temps.
-Vous ne la connaissez pas ! hurla Erzébeth en relevant son arc et en pointant la flèche sur Halvorc. Vous ne la connaissez pas comme moi je la connais !!
-C’est vrai. Je la connais bien mieux que vous. »
L’œil droit de la vieille femme eut des soubresauts de folie, tandis que ses sourcils se rejoignaient dans un froncement inquiétant. La flèche s’illumina de plus belle, prenant une teinte sanguine impressionnante. Halvorc, le nez à quelques centimètres seulement de la flèche, dû même plisser les yeux.
« TU MENS, ESPÈCE DE SALE MENTEUR !! MENTEUR !!! »
Elle baissa finalement les bras, et la flèche perdit de son éclat. Halvorc, bien malgré lui, sentit un soupir sortir de sa bouche. Erzébeth Bathory tomba à genoux, le corps secoué de sanglots, mais tenant toujours son arc dans une main. Shannia se précipita sur Halvorc et lui sauta au cou, dans un élan d’affection qu’elle ne se connaissait pas.
« Tu as réussi !
-Bravo, dit sobrement IL.
-Tu aurais pu te faire tuer, espèce de grosse ! dit Séphira Strife en riant nerveusement.
-Même si tu es déjà mort, ça peut être dangereux, non ? » dit même un Soulblighter qui utilisa ainsi son quota de mots pour la journée. Halvorc, soutenu par les autres, se fit féliciter à tout va. Il n’en revenait pas lui-même d’avoir pu ainsi tenir tête à une folle qui le menaçait. Il remercia mentalement son personnage de Traumen. Jamais dans la réalité il n’aurait pu être aussi brave… …et aussi fou.
Derrière Erzébeth Bathory, une ombre remua. Une ombre que personne n’avait entendu descendre les escaliers, une ombre que personne n’avait remarqué pendant qu’elle faisait le tour du groupe, une ombre que personne n’avait vu éviter les fils avec adresse, une ombre dans les ténèbres, invisible parmi l’invisible, et qui se penchait maintenant à l’oreille de la tueuse en série, murmurant des mots doux.
« Erzébeth Bathory… Belle et terrifiante, et maintenant réduite à l’état de larve pitoyable. Vaincue et dominée par un simple humain aux belles paroles, quelle déchéance pour une dame de votre rang et de votre prestance… »
Bathory se tourna vers l’homme derrière elle, et aperçut une face horriblement belle. Horriblement belle, parce que tellement parfaite qu’elle en devenait effrayante. Loki esquissa un sourire atrocement séduisant, et lui posa une main sur l’épaule. Le contact était chaud et désagréable, mais Erzébeth ne pouvait s’en soustraire.
« Ne me dis pas que tu l’as cru ? Dis-moi plutôt que tu fais semblant de pleurer pour mieux les berner, et ainsi relâcher leur attention. Comme maintenant. Ainsi, il te suffit de lever ton arc magique… »
Erzébeth affermit sa prise et se redressa, dans l’indifférence générale.
« …de le bander avec une flèche de haine… »
La flèche rouge réapparut.
« …encore plus irritée que la dernière… »
Elle se mit à luire comme jamais.
C’est là que Soulblighter s’aperçut que l’arc était pointé sur Halvorc.
« …et tu lâches tout, maintenant. Le tour est joué.
-Je vais te réduire au néant dont tu n’aurais jamais dû sortir, sale petite vermine !!! » exulta Erzébeth Bathory en retirant ses doigts, envoyant la flèche écarlate en plein sur la tête d’Halvorc, là où sa haine était principalement dirigée. Aucun besoin de réellement viser, ou d’être particulièrement bon en tir à l’arc, la flèche atteignait son but.
Soulblighter se jeta sur Halvorc, et la flèche ne lui arracha que quelque mèche de ses cheveux. Elle poursuivit néanmoins sa course, droit vers un nouveau but. Loki sourit de plus belle, se permettant même un ricanement de jubilation. Les autres, tous les autres, furent saisit d’un effroi sans limite.
Le Ragnarök, l’Apocalypse du monde nordique, la chute des Dieux et leur disparition, allait débuter bien plus tôt que prévu.
La flèche fonçait vers Thor, paralysé.
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Message par Mr.Magnum Lun 25 Juil - 15:16

11. Ragnarök ?
Il fit se garer la voiture non loin de la résidence de DragonNoir. Il sortit et vérifia l’adresse. Il était bien arrivé, sans encombre. Personne n’était dans la rue, personne qui pouvait le reconnaître, aucun Trauménien. À première vue. Seul un homme habillé entièrement en jean, marchait sur le trottoir. Cet homme le dévisageait.
Il détourna le regard et leva les yeux sur l’immeuble. Son humeur s’était quelque peu assombrie depuis son arrêt improvisé sur l’autoroute. Il ne se rappelait plus vraiment de ce qu’il y avait fait. Son chauffeur lui avait dit qu’il avait passé un coup de téléphone, mais il ne se rappelait plus à qui, ni pourquoi.
Ce n’était pas la première fois que ce genre d’amnésie passagère lui arrivait, et cela avait le don de l’énerver passablement. Les meilleurs médecins s’étaient penchés sur son cas, mais sans succès. Il en était venu à l’accepter, mais chacune de ses absences était pour lui synonyme de torture : Qu’avait-il fait ? Qu’avait-il dit ? Qu’avait-il pensé ?
L’homme vêtu de jean ralentit à son approche.
Certaines pouvaient durer seulement quelques secondes, d’autres des heures. Et à chaque fois, il ne se sentait pas partir. Il se retrouvait dans divers endroits, diverses situations, parfois compromettantes, et souffrait de vertiges et de nausées. Puis tout ceci passait, et la vie reprenait son cours normal.
Il regarda sa montre, et son cœur accéléra. Pour la première fois, alors qu’il se dirigeait vers l’appartement de DragonNoir afin de les aider, il se sentit partir. Réellement partir. Il sentit des doigts froids lui serrer le cœur et l’âme, et presser comme un simple fruit. Et il s’entendit parler à cet inconnu en jean, juste avant que tout bascule.
« Tu es prêt ? dit la Voix. Allons-y. »

*
* *


Qu’est-ce qui s’est passé… ?
« Attention ! Attention vous allez lui faire mal !
-Je crois qu’elle a déjà mal, crétin ! »
Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi tout est trouble autour de moi ? Pourquoi je n’ai même pas la force d’ouvrir les yeux ? Je ne me souviens pas…
« On doit rentrer. On doit rentrer maintenant, pendant qu’elle est encore en vie… Enfin… Vous me comprenez ! »
IL ? Rentrer ? Sur Terre ? Que s’est-il passé ?
« Et si elle rentre avec cette blessure sur Terre ? Qu’est-ce qu’on fera ? »
Halvorc… Ah, mais pourquoi mes paupières sont elles si lourdes ? Je me souviens d’Erzébeth, de son arc, et de Soulblighter qui sauve Halvorc, mais ensuite… Thor…
« Et bien si elle rentre sur Terre avec cette blessure et qu’elle meurt à nouveau, on lui aura donné au préalable une autre pilule, et ainsi aucun problème. Là, je ne sais pas ce qu’il se passe lorsqu’on meurt en étant déjà mort. »
Je meurs ?
« Et je n’ai pas de pilule en surplus. Qu’elle la prenne maintenant, on verra avec les autres, une fois revenus.
-Si elle tient le coup. »
La flèche… Sur Thor… Oh non, je me souviens… Qu’est-ce qui m’a prit…
« Mais qu’est-ce qui lui a prit de faire cette connerie… On en a rien à foutre de leur Ragnarök, à eux autres ! Sauf votre respect…
-Je comprends. »
Thor. Il est en vie. Je… J’ai compris…
« Mais cette jeune personne m’a sauvé la vie, et ainsi celle de nombreux autres Dieux, bien que l’heure de notre combat ne soit que reportée.
-Même Heimdall n’a rien pu faire !
-Crois-moi, petite Shannia, si j’avais pu sauver Thor, si j’avais senti la chose arriver, je serais à terre en lieu et place de cette petite. »
Je l’ai sauvé. Je me suis interposée. Et maintenant…
« Odin n’a pas eu le temps de m’expliquer clairement votre situation, mais vous devez repartir, au plus vite.
-Oui ! Allons-y, repartons !
-Ne soit pas si pressé, IL. Tu étais juste à coté d’elle, et tu aurais pu l’empêcher de faire cette connerie.
-Eh ! Ho ! Arrêtez les gars, ce n’est ni le moment, ni le lieu pour se fritter la tronche. »
Et maintenant, je me sens mourir.
« Prenons notre pilule et barrons-nous d’ici. »
Je me sens mourir, et je suis terrorisée.
« Partir ? Vous devez partir ? Maintenant ?
-Oui, Shannia. Et nous sommes pressés par le temps… Désolé…
-Ce n’est rien, Halvorc… Ce n’est rien… »
Bruits de bouches, de mastication. Tout s’embrouille. J’ai l’impression de me revoir entrain de flotter dans les airs, comme lorsque nous sommes arrivés sur l’Yggdrasil. Ou était-ce sur Midgard ? Je ne me souviens plus… Aaahh… Cette flèche… Mon ventre…
« Mais où a-t-elle fourré la sienne ?
-DTC ?
-IL, ce n’est vraiment pas le moment ! »
Qui me touche ? Qui me fouille ? Halvorc ? Soulblighter ? IL ? Un Dieu ? Un Ange ? Ou peut-être un des démons qui a aspiré Hilde dans un des nombreux Enfers existants… Je ne veux pas… pas ici… DragonNoir !
« La voilà ! Je lui donne…
-Dépêche-toi, je me sens partir. »
On tripote mes lèvres, on ouvre ma bouche. Ce n’est pas très agréable. Mais au moins, je me sens encore vivre, si tant est qu’on peut se considérer vivante une fois morte assassinée par une hache… Douleur dans le ventre… On veut que j’avale ça, mais je n’ai plus de salive… Je sens mes poumons s’oxygéner, mais pas assez pour leur dire…
Leur parler…
J’ai vu Loki, et il est peut-être encore là…

« Je n’y arrive pas… Ah ! Ça y est ! Je pense qu’elle l’a avalé. »
Il est coincé dans ma gorge.
« Oh merde, c’est pas super agréable, comme sensation.
-Normal, IL. On rentre. On ressuscite. Faudra demander à Jésus et Lazare si pour eux, c’était agréable. Oh, ma tête tourne…
-J’ai soif. »
Je ne l’ai pas avalé. Comment leur dire ? Ma langue est lourde. Mes paupières, mes bras, mes jambes, mon esprit. Il est lourd. Je sens la pilule se dissoudre néanmoins, dans le peu de salive qu’il me reste. J’ai une chance.
Il le faut.

« Je m’assois, les gars, désolé. Je me sens patraque.
-Regarde tes pieds, Halvorc ! Ils s’estompent !
-Tout comme tes mains, IL.
-J’ai soif. »
Elle est tombée, je crois. Je l’ai avalé. Ça doit marcher, je me sens partir. Ça doit marcher. Il faut que ça marche ! DragonNoir, il le faut !
« Bon, j’arrive plus à bouger, je me sens partir.
-Et dire qu’on n’a même pas eu le temps de dire au revoir à tous nos amis !
-J’ai s…
-La ferme, Soulblighter ! »
Pourvu qu’on se retrouve tous chez DragonNoir.
Pourvu qu’on revive.
Pourvu qu…


Halvorc fut le premier à disparaître entièrement. Puis ce fut le tour de Soulblighter, qui grommelait à voix basse qu’il avait tout de même soif, et enfin IL. Shannia s’approcha de Séphira, fiévreuse et toujours aussi…
…matérielle. Elle se tourna vers Thor.
« Vous croyez que…
-Ça a marché, regarde. »
Séphira Strife disparut lentement, en bonne dernière, mais aussi complètement que les trois autres Trauméniens. Shannia se leva et regarda vers les fils. Il était d’ailleurs difficile de faire autrement. Elle lança un soupir triste au vide environnant.
Derrière elle, Erzébeth Bathory se débattait dans les bras de Njörd et Freyja, qui avait récupéré son âme. Hel et eux s’étaient disputés pour l’obtenir, mais les Vanes avaient fini par l’emporter, non sans céder quelques privilèges à la fille de Loki.
Loki, justement, remontait en sifflotant l’escalier. Il allait rejoindre une de ses nombreuses concubines de part l’Yggdrasil et se détendre, soit en copulant avec, soit en la battant à mort, comme il aimait. En ce moment, il comptait simplement regagner son appartement, sans autre chose en tête que de disparaître un moment.
Ce qu’il ignorait, c’est que les représailles allaient arriver bien plus tôt que prévues. Une fois qu’il fut à Asaheim, dans son immense demeure richement décorée, et qu’il s’était installé sur son trône, il s’accorda un bref instant de répit. Il claqua des doigts pour qu’une servante vienne lui octroyer quelques massages, et attendit.
Son esprit vagabondait, sans songer une seule seconde que la personne qui approchait pouvait être quelqu’un d’autre que sa servante légèrement vêtue, sans penser que cette personne avait un sourire mauvais de l’homme qui doit accomplir une mission sanglante qui lui plaît, sans penser que son existence allait bientôt basculer dans le cauchemar.
Derrière lui se dressa brusquement Albert Fish, le tueur en série. Le hurlement de Loki ne dépassa pas les portes de la salle où il ne reviendrait probablement jamais.
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Message par Mr.Magnum Lun 25 Juil - 15:17

Jamic accepta facilement de servir d’opérateur téléphonique inter-Trauméniens, lui qui se sentait un peu mis à l’écart et voulait se rendre utile. Il fut formé en une heure par un Ionisateur Fou survolté, qui ne cessait de l’abreuver de recommandations aussi nombreuses qu’utiles, parfois dans l’ordre, souvent comme elles lui venaient. Mais Jamic s’en sortit parfaitement bien dès ses premiers essais en solo.
« Surtout, lui dit le Ionisateur Fou, tu surveilles en permanence cette jauge, sur le coté de l’unité centrale. Si jamais elle dépasse les 78%, tu passes les transmissions sur le mode automatique, tu relayes les ondes en mode nano-octets, pour éviter les perturbations, et…
-…et j’inverse l’alternateur de réception, je sais, termina Jamic. Ensuite, j’attends que la jauge redescende en dessous de 50, et là je peux débrancher ta calculette pour la mettre en veille quelques temps.
-Une heure ! intervint le Ionisateur Fou. Une heure minimum. Ensuite, tu peux la rebrancher, elle aura rechargé ses accumulateurs internes, et elle aura soufflé aussi un peu. C’est qu’elle est énormément mise à contribution, ma petite puce… »
Le Ionisateur Fou effleura amoureusement les touches de sa TI-89 custom, et Jamic cru presque entendre un ronronnement de satisfaction en réponse. Il mit ça sur le compte de son premier voyage en tant que mort. Et espéra réellement que ce fut le cas.
« Une fois que tu l’as rebranché, tu peux tout remettre comme avant.
-Très bien, je crois que j’ai compris.
-Pas de questions ?
-Aucune. »
Le Ionisateur Fou lui avait finalement dit que si jamais un problème apparaissait, Jamic pouvait simplement revenir l’appeler, et il viendrait le résoudre dans l’instant. Ensuite, ils étaient rentrés dans le calme tout relatif de l’appartement de DragonNoir. Un calme d’autant plus relatif qu’ils allaient être les témoins d’énormément de bouleversements, dans les heures qui allaient suivre.
Le congélateur numéro un sonna l’alerte chaleur.

*
* *


Halvorc ouvrit les yeux sur un monde de froid, une ère polaire et givrée.
Sa première pensée fut simpliste, mais dans le ton : Zut, se dit-il, à force de penser nordique, manger nordique et bastonner nordique, me voilà débarqué en Norvège… Le froid environnant le fit frissonner, réveillant ainsi son épine dorsale et la plupart des nerfs de son corps qui se dégelait plus rapidement que la normale.
C’est ainsi qu’il prit conscience qu’il avait froid, que ses membres étaient douloureux et engourdis, et qu’il était manifestement entouré d’innombrables bacs en plastiques. Les pensées suivantes concernaient la résolution des différents problèmes précédemment cités, ainsi qu’une petite question toute simple qui lui trottait en tête : Mais où suis-je ?
Ses bras furent les premiers à être dégelés entièrement, et les muscles reprirent leurs fonctions de mouvement dès qu’Halvorc réussit à se souvenir de la façon efficace de les bouger. Puis se furent ses mollets, qui se contractèrent sous d’horribles crampes. Les larmes du Trauménien gelaient encore sur ses joues, mais la souffrance devenait pour lui le symbole de sa renaissance. Il revenait à la vie.
La vie, avec son lot de joies, de peines, de douleurs physiques ou morales. La vie, avec ses réussites triomphantes et ses échecs cuisants. La vie, avec ses instants fugaces de bonheur parfait, et ses longs temps d’incertitude qui vous triturent le ventre. La vie. La vraie, la véritable vie. La seule et unique vie.
Halvorc entendit des sons étouffés au dehors, en plus de celui d’une alarme quelconque. Il remua une jambe et délogea un bac à glaçon qui vint s’écraser sur son pied. Ses doigts, aux ongles encore bleus, se posèrent sur le couvercle du congélateur et exercèrent une pression. Une voix étouffée, à l’extérieur, dit quelques mots incompréhensibles pour lui.
Il poussa à nouveau, mais il n’arriva qu’à s’arracher un grognement de rage et d’impuissance. Ses muscles ne s’étaient encore pas remis, et un mal de tête lui martelait le crâne. Il se représentait un cerveau dans un micro-onde, chauffant, chauffant jusqu’à l’extrême, et se demanda si sa boîte crânienne exploserait sous la pression d’un cerveau en train de bouillir. Il chassa les résultats mentaux des tests.
« Zette vois-zi, z’est la ponne… »
Il prit de nouveau appui sur ses pieds qu’il sentait encore pris par le froid, et poussa. Mais pas seulement avec ses mains, mais avec son dos. Un immonde bruit de succion plus tard, il réussit enfin à déplier complètement ses jambes.

*
* *


Soulblighter ouvrit les yeux sur un monde caramel.
S’il avait été encore dans son corps Trauménien, avec sa conscience Trauménienne et ses capacités, il aurait deviné aisément la nature exacte du liquide ambré qui lui voilait la vue, ainsi que le degré d’alcool, la marque exacte de la bière et peut-être même son origine.
Mais Soulblighter était redevenu humain. Humain, et surtout vivant. Il resta un moment interdit, examinant chaque bulle, chaque morceau de liquide gelé étalé devant lui. Puis il sentit sa nuque craquer, et une aiguille chauffée à blanc lui transperça la colonne vertébrale. Comme si ça ne suffisait pas, la douleur s’écoula ensuite comme des milliers d’araignées dans l’ensemble de son corps.
Il voulu hurler, mais ne réussit qu’à émettre un halètement plaintif, dont il ne fut même pas sûr qu’il soit sortit de sa bouche ou de son esprit. Soulblighter se concentra sur la bière solide, comptant les bulles, les classant de la plus grosse à la plus petite, tandis que le mal s’atténuait et que ses muscles se crispaient.
Il sentit une vague de chaleur lui transpercer les bras et les jambes, puis put enfin dégager sa tête de la substance gelée. La bouteille avait manifestement explosé sous la pression du liquide réfrigéré. Il se demanda qui avait été assez bête – bien que Soulblighter ait employé un autre mot que bête dans son for intérieur – pour mettre une bouteille pleine dans un congélateur. Il songea au gâchis et en fut triste.
Puis une autre question s’imposa à son esprit en plein réveil. Une question amenée par un fouillis inextricable de relations et de raisonnements : Si la bière avait explosé, c’est qu’elle avait gelé. Si elle avait gelé, c’est que la température était en dessous de zéro. Ainsi, la bière se trouvait bien dans un appareil de type congélateur. Si Soulblighter pouvait voir la bière, c’est qu’il était lui-même dans le congélateur.
La question était donc la suivante : Après celle concernant l’être stupide qui avait été mettre de la bière dans un congélateur, Soulblighter voulait maintenant savoir qui avait été assez abruti pour le mettre lui dans ce même congélateur. Et dès que ses jambes, cuisses, mollets et pieds furent assez ressaisis pour être mis en branle, il s’activa afin d’en connaître la réponse au plus vite.

Halvorc descendit du congélateur, grelottant et aveuglé par la lumière, la véritable lumière du jour. Ses sensations étaient décuplées après ce séjours de plusieurs jours dans l’au-delà. Il sentait les odeurs des autres personnes qui le soutenaient. Il touchait leurs bras, leurs mains protectrices, leurs corps sécurisants. Il voyait la lumière filtrer à travers ses paupières closes. Il goûtait sa salive au goût amer et fermenté. Il entendait le brouhaha, les paroles, les exclamations, les questions, et le bruit d’un congélateur qu’on ouvre.
Et un sixième sens, aussi bref qu’imprécis, lui donna une image clair de ce qui se déroulait sous les yeux des autres Trauméniens : Soulblighter émergeait de son congélateur, manquant de peu d’assommer Lord Satana avec le couvercle, et il retombait mollement au fond de l’appareil réfrigérant, trop épuisé pour se maintenir.
« Il est en vie, crachota Halvorc. Il est en vie… »

*
* *


IL ouvrit les yeux sur un monde de ténèbres.
Sa première réaction, due à son instinct animal enfoui au plus profond de chaque être, fut de se dégager de ce qui l’étouffait. Il n’arrivait pas à respirer, à emplir ses poumons d’air. La panique l’emporta sur la raison, et il commença à lutter. Mentalement. Car son corps refusait de lui obéir. Il sentait son bras collé à ses voies respiratoires, bouche et narines, les obstruant involontairement.
Il roula des yeux, incapable de bouger, songeant que sa dernière heure était peut-être arrivée. Pour la deuxième fois, songea-t-il. Cette pensée farfelue le calma, et il découvrit avec soulagement qu’il pouvait respirer un peu d’air s’il s’y prenait doucement. Le fin tissu de son tee-shirt ne se collait à sa bouche que s’il aspirait l’air trop violemment. Il se contraignit donc à réguler sa respiration.
Je l’ai bien cherché, après tout. J’ai tout foiré, alors que j’avais les clefs en main dès le départ. C’était peut-être une punition divine pour avoir trahi mes compagnons ? Hmpf… Divine, oui, peut-être ? Mais quels Dieux ? Quel panthéon de divinités ? Si chacune existe selon les croyances, comment savoir si… Gnnnh !!!
Le système nerveux de IL se remit en route, comme les autres, et des larmes de douleur se cristallisèrent sur ses yeux. IL cligna plusieurs fois des paupières pour les chasser, et serra les dents. Punition divine ou non, ça fait foutrement mal ! Une fois libéré de son supplice, IL parvint à remuer ses jambes, et ses bras. Il retira son avant-bras de ses lèvres, et pu enfin avaler une longue goulée d’air froid.
Il dégagea son autre bras et réussit tant bien que mal à se retourner, et c’est ainsi qu’il découvrit l’intérieur du couvercle du congélateur.
Quel accueil chaleureux, pensa IL avant de pousser.

Halvorc regarda Soulblighter qui peinait à ouvrir les yeux. Entourés par une effervescence de Trauméniens agités et enveloppés dans des peignoirs tièdes, les deux revenants goûtaient de nouveau aux joies de la lumière, de la chaleur et du bruit. Mais ils étaient heureux d’être là.
« Argh. Ça fait trop mal.
-Je sais, mais tu verras, tu vas vite pouvoir voir à nouveau. »
Prit dans l’élan général de bien-être, Halvorc posa une main encore froide sur l’épaule détrempée de givre de Soulblighter. Celui-ci leva un regard plissé vers son compagnon, et sourit. On pouvait lire dans ce sourire un océan de gratitude, envers Halvorc et envers tous les autres qui le soutenaient en ce moment même.
DragonNoir allait et venait en tout sens, quelque peu débordé par la soudaineté des retours. Il apportait des boissons chaudes, tout en s’évertuant de calmer les ardeurs des Trauméniens trop pressés d’avoir des réponses.
« Vous avez retrouvé Séphy-Roshou ?
-Quels Dieux avez-vous rencontré ?
-Ça fait comment de mourir ?
-Comment c’est, le monde des scandinaves ? »
Les deux Trauméniens, à peine revenus de leur périple, affrontaient alors leur pire épreuve : les interrogatoires de leurs semblables. DragonNoir imposa le silence, et il fut écouté. Au bout de quelques minutes. Longues minutes.
« Tout d’abord, est-ce que tout s’est bien déroulé ? »
Ce fut Halvorc qui répondit. Soulblighter sirotait son chocolat chaud avec ardeur, savourant chaque gorgée de chaleur avec un plaisir non dissimulé.
« Mis à part quelques problèmes d’ordre mineur, tout a été comme sur des roulettes. Est-ce que… » Il hésita à poser la question. « Est-ce que Séphira est déjà réveillée ?
-Aucune idée, mais moi je le suis. »
Et IL se mit à tousser avant de tomber à la renverse, rattrapé in extremis par Gorgon_Roo qui eut le réflexe chanceux.
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Message par Mr.Magnum Lun 25 Juil - 15:18

Séphira ouvrit les yeux dans un monde de chaos.
Aucune lumière, ou presque, mais une sensation de mouvement incessante. Du bruit, des paroles, des éclats de voix. Peu de rires, plus de pleurs. Elle tâtonna de la main sur une terre désolée, sèche et qui avait une sensation étrange. Une sensation diffuse. Comme si cette terre, où elle était allongée, n’existait que parce qu’elle croyait qu’elle existait.
Séphira tenta de ne pas penser l’inverse, et se hâta de faire virer ses pensées sur un autre sujet. Une main l’effleura, comme pour répondre à ses attentes. Elle se retourna en une seconde, sur le qui-vive, et ce qu’elle vit comme une silhouette d’homme recula, manifestement effrayé par tant de rapidité.
« Excusez-moi, bredouilla-t-il.
-Non, répondit-elle sèchement. Je veux dire, c’est moi qui suis un peu nerveuse.
-Vous venez d’arriver, dit l’homme. Je vous ai vu apparaître…
-Apparaître ? » répéta Séphira Strife. Les derniers événements se remirent en place, et elle revit en quelques secondes Erzébeth tirer, Soulblighter sauver Halvorc, puis elle sauver Thor. Puis, la pilule, et la sensation d’engourdissement qui la gagnait.
Pourvu qu’on reparte tous d’ici, avait-elle voulu penser à la fin. Mais elle n’en avait pas eu le temps. Et maintenant, elle avait atterri dans un autre monde, apparemment. Un monde assez peuplé, de ce qu’elle pouvait en juger par le nombre des personnes présentes autour d’elle. Une image lui traversa soudainement l’esprit.
Sous les yeux étonnés de l’homme inconnu qui l’avait abordé, Séphira se mit à retourner toutes ses poches, puis à se faire une fouille corporelle, le tout en jurant en québécois. La scène insolite dura quelques minutes, puis elle abandonna, manifestement dépitée.
Je ne l’ai pas. Je ne l’ai plus. Je ne peux plus rentrer. Le fait que j’ai avalé cette satané pilule n’a rien changé : La flèche de cette vieille folle m’a bel et bien tuée une seconde fois. Et me voilà avec un troupeau d’âmes errantes. La joie…Le bon coté, c’est que je suis toujours consciente, et dans mon enveloppe corporelle de Trauménienne. J’ai peut-être encore une chance de rentrer sur Terre.
« Ahem.
-Hmm ? Quoi ? Pardon, vous disiez ?
-Je vous demandais comment vous étiez morte ?
-Ah. C’est un peu compliqué, en réalité. » Elle toussota. « Si je vous dit que je me suis suicidé avec trois amis à moi pour en sauver une autre décédée mystérieusement, et qu’arrivée dans le monde des Dieux nordiques, une folle armée d’un arc maléfique m’a transpercé d’une flèche, vous me croiriez ? »
Ce fut au tour de l’homme de tousser. Puis il lui sourit.
« Ça a le mérite d’être moins ennuyeux que de mourir en achetant un journal. Je me présente : Dan Sofres, et c’est ce qui m’est arrivé avant que je me retrouve en ces lieux inconnus. Je suppose que vous n’avez aucune explication ? »
Séphira avait en réalité des milliers d’explications possibles, mais elle préféra se taire. Tout ceci était bien trop compliqué. Elle haussa les épaules et secoua la tête en signe de dénégation. Sofres acquiesça poliment, puis l’invita à le suivre parmi la foule.
« Plus le temps passe, plus nous sommes nombreux. Vous êtes, à ma connaissance, la dernière à être arrivée. J’ai formé un petit groupe de… …disons d’explorateurs, pour tenter de comprendre le pourquoi et le comment de notre venue ici.
-Vous avez déjà une idée ?
-Aucune, répondit Sofres aussi sincèrement que possible. Nous n’avons aucun lien, aucune origine similaire, aucune nationalité commune, ni passion collective. En effet, rien ne nous relie ensemble. » Il marqua une pause.
Séphira en profita pour l’examiner, à la sombre lumière diffuse qui venait à la fois de partout et de nulle part. Dan Sofres avait une trentaine d’année, bien qu’on avait singulièrement des difficultés à distinguer ses traits. Assez fin et élancé, il semblait tout de même assez robuste. Il portait un costume beige et un chapeau assorti.
Sofres se tourna vers Séphira.
« C’est peut-être ça, le lien ! Rien ! Rien ne nous uni, et c’est pour ça que nous sommes tous là ! Je retiens l’idée, bravo. »
Il reprit sa marche, et Séphira ajouta farfelu à sa liste d’adjectifs dans la description de Sofres. Ils arrivèrent vite devant un petit groupe de cinq personnes, dont une petite fille. Séphira se présenta succinctement, omettant volontairement les détails de son arrivée.
« Moi je m’appelle Hideo Nataka, dit un homme d’origine asiatique. J’étais entrain de conduire mon bus, lorsque je suis arrivé ici.
-C’est toujours comme ça, grommela un petit moustachu dans son coin. On est tranquille chez soi, devant son petite déjeuner, et on se retrouve balancé dans les emmerdes. Si je mets la main sur celui ou celle qui a fait ça… »
Séphira dévisagea un instant de trop le petit râleur, qui remua sa moustache en signe de désapprobation. Sofres intervint.
« Il s’agit de Paolo Carne, un acteur italien de l’ancienne époque…
-…je t’en foutrais, moi, de l’ancienne époque, jeune abruti…
-…et il est arrivé ainsi tout comme nous, sans raison apparente. » termina Dan Sofres sans même prendre en compte l’interruption. Par habitude, supposa Séphira. Son regard fut attiré par la petite fille, qui se cacha derrière les jambes d’une femme qui devait être à peine plus âgée que Séphira. La femme lança un sourire.
« Excusez-là, elle est très timide. Elle n’a pas dit un mot depuis son arrivée, et nous ne savons même pas son nom. Nous l’appelons Isabelle.
-Bonjour Isabelle. »
La petite fille enfouit sa tête dans la cuisse de la jeune femme, qui éclata de rire en caressant la tête de l’enfant. Séphira comprit à cet instant qu’elle n’était pas la mère de la petite, mais qu’elle avait prit le rôle sans peine. Sofres reprit la parole pour présenter le dernier membre du groupe : Un homme encore plus âgé que Carne, mais sensiblement plus posé et calme. Il sourit en tendant une main ridée et molle à Séphira.
« Clyde Barrow, j’étais un représentant quasiment à la retraite. Trimer toute une vie pour mourir quelques semaines avant les grandes vacances, y a intérêt d’être philosophe pour garder le sourire !
-Ou complètement con, approuva à sa manière Paolo Carne.
-N’avez-vous pas noté une chose étonnante ? » demanda Dan Sofres à Séphira Strife. Celle-ci regarda tour à tour les six personnalités disparates qui composaient le groupe, mais ne trouvait pas de remarque intéressante à faire.
« Nous sommes tous différents ? tenta-t-elle en paraphrasant l’idée de Sofres.
-Exact, et tous une nationalité différente. Pourtant, nous arrivons à communiquer sans mal, et à nous comprendre. »
Séphira se rendit compte de la justesse de cette observation. Un italien, un américain, une suédoise, une québécoise, et tous arrivaient à correspondre sans mal, à se comprendre. Elle n’eut pas le temps de plus s’interroger sur cet état de fait qu’un autre événement se produisait. La lumière baissa légèrement, puis une autre fit son apparition, dans le dos de Séphira Strife qui vit tout le monde basculer dans l’orange.
Une source de lumière chaleureuse et couleur soleil couchant venait de faire son apparition. La totalité des personnes présente apparaissait sous un nouveau jour à Séphira, et elle pouvait à présent prendre la mesure de l’immensité de la plaine recouverte d’individus décédés. Elle en frémit.
« Ça arrive souvent, chez vous, ça ? demanda-t-elle sans même se retourner.
- Non, on n’a même jamais vu ça, répondit Sofres. Vous avez une idée sur la nature de ce phénomène ?
-Aucune. »
Aucun être ne semblait bouger, paralysé par la vision d’une immense gueule béante et lumineuse. Seul les membres du groupe de Sofres, associé à Séphira dorénavant, se regardaient les un les autres, formant tous inconsciemment la même question : Devons-nous y aller ou non ? Et se répondant tous mutuellement : Oui.
Alors le petit groupe de maintenant sept personnes, mené par Dan Sofres, se dirigea vers la puissance illumination cuivrée qui pulsait vers l’horizon.

*
* *


L'agitation était à son comble dans l’appartement de DragonNoir : Les Trauméniens, excités par les quelques paroles prononcées par Halvorc, commençaient à reprendre espoir et donnaient de la voix pour exprimer leur joie. On a retrouvé la trace de Séphy-Roshou, avait-il dit clairement avant de demander à prendre du repos. On les avait alors mis dans une des pièces reconverties en chambre pour qu’ils puissent récupérer de leur voyage.
Q-Po était lui aussi débordé par l’effervescence qui bouillonnait autour de lui. Il avait déjà dû par trois fois bousculer des Trauméniens et élever la voix pour pouvoir ne serait-ce que traverser un arpent de salle bondée. Et il songeait, à raison, que tout ce brouhaha n’était pas forcément bon à long terme.
« J’abhorre tout particulièrement ces démonstrations futiles et autres débauches outrancières de liesse, fit une voix dégoûtée près de lui. Et cette promiscuité, tout ces gens qui se touchent, c’est… …répugnant.
-Affirmatif, répondit Q-Po à Lord Satana.
-Il nous faut trouver un abri dans les plus brefs délais, sans quoi je crains de ne plus répondre de mes actes. Je risque même de dépérir. » Lord Satana fit une pause, pensif. « Est-il possible qu’il existe un au-delà pour les êtres décédés dans ce type de circonstances ?
-Je doute avoir l’envie de tester, pour tout te dire, grommela Q-Po en franchissant un mur de Trauméniens heureux. Et pour le bunker, je propose le bureau du père de DragonNoir.
-Mais c’est prohibé !
-Je donne mon autorisation. »
Ils réussirent tant bien que mal à atteindre le bureau, dont la porte était simplement claquée, et non verrouillée. Q-Po s’y engagea, suivit par Lord Satana qui jeta un ultime regard méprisant sur les étreintes réjouies avant de refermer la porte.
« Il en arrive en permanence… soupira DragonNoir qui avait déjà élu domicile dans le bureau. Les Trauméniens appellent ceux qui ne sont pas encore là, et ils arrivent par vague. Je crains que l’appartement ne finisse par exploser.
-On ne peut pas les blâmer d’être heureux d’avancer… » commença Q-Po. L’œillade que lui lança Lord Satana lui fit changer la fin de son discours. « …néanmoins, un peu plus de calme ne ferait pas de mal.
-Une chance qu’Haschatan ne soit pas là, ou bien il aurait eut tôt fait de dévaliser le peu d’alcool que nous possédons. »
Il marqua une pause en se frottant les tempes. Q-Po prit ses aises et s’assit en face de lui, et Lord Satana préféra rester debout, adossé contre le mur dans une posture de réflexion. DragonNoir releva la tête, observant quelques instants ses deux compagnons, puis décida que le moment était finalement bien choisit.
« Je vais profiter de votre présence à tout deux pour vous faire part d’une recherche que j’ai mené en compagnie de LIF et Jamic. Il s’agit de… »
Quelqu’un toqua à la porte du bureau. DragonNoir ravala la fin de sa phrase, et invita le nouvel intervenant à entrer. Arkh ouvrit la porte et passa simplement la tête. Lui aussi recherchait aussi le calme, mais un bureau avec trois autres personne était déjà trop occupé pour lui. Il ne prononça que le strict nécessaire :
« Quelqu’un pour toi, à la porte. »
DragonNoir s’excusa auprès de Q-Po et Lord Satana, puis retrouva le bruit et le mouvement en émergeant du bureau. Il traversa la foule et rejoignit tumultueusement la porte, tout en songeant que les derniers arrivants devaient être d’autres Trauméniens enrôlés par téléphone pour venir s’amuser.
Mais DragonNoir se trompait : Il s’agissait effectivement de Trauméniens, mais ils n’avaient aucunement été invités. Ils s’étaient invités, eux-mêmes. Il ouvrit la porte sur un petit adolescent replet à la face rubiconde et transpirante, accompagné d’un autre jeune homme habillé entièrement en jean. L’adolescent exhiba un sourire carnassier.
DragonNoir le reconnu immédiatement.
« T… Toi ? »



FIN DE L’ÉPISODE 5 : MYTHOLOGIE SCANDINAVE.
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Message par Mr.Magnum Dim 31 Juil - 12:17

Note: Delacroix, qui te dit que je réduis MistropherAnk à une simple schizophrénie? Et qui te dit que c'est bien MistropherAnk? *sourire carnassier*

ÉPISODE 6 : MAL…

1. …dans sa peau.
1 Lui.
« Comment ça va, le gros ?
-Ça roule ? »
Les trois gamins s’esclaffèrent bruyamment à la répartie cinglante du plus grand d’entre eux. Comme tous les jours, il les ignora, et poursuivit sa route. Il avait toujours été la victime de railleries sur son embonpoint de la part de ses camarades de classe, le tout le plus souvent accompagné de regards méprisants, voire de bousculades innocentes.
Et aujourd’hui, alors qu’il entrait en sixième dans un tout nouveau collège, il se rendait compte non sans un accès de tristesse, que rien n’allait changer pour lui. Les mêmes têtes brûlées le suivaient depuis l’école primaire, et ils ne comptaient manifestement pas le lâcher de sitôt. Il ferma les yeux et soupira le plus discrètement possible.
Un coup de pied, pas extrêmement fort mais suffisamment puissant pour l’envoyer à terre, le fit crier avant de plonger sur le trottoir. Nouveaux ricanements satisfaits. Il resta le nez collé sur le bitume, insensible aux injures, et regarda les paires de pieds qui le dépassaient. Il sentit le mollard gluant et chaud couler sur ses cheveux en bataille, et ne put réprimer un sanglot de rage impuissante. Ses poings se serrèrent, vainement.
Ils étaient partis.
Il resta ainsi, dans l’indifférence générale des passants, et sortit un mouchoir en tissu de la poche de son anorak flambant neuf. Il le posa sur sa tête et frotta énergiquement, jusqu’à en avoir mal au cuir chevelu. Ensuite, il consentit à se lever. Il essuya ses larmes qui avaient tracé deux sillons propres sur ses joues salies par le sol et rangea son mouchoir. Il remarqua une déchirure sur le bras de sa doudoune.
Bof. Maman m’en rachètera une, de toute façon.
Il épousseta ses jambes et reprit sa marche. Ses cheveux étaient douloureux, son genou – qui devait être écorché – le lançait, et son amour-propre lui faisait également mal. Mais comme tous les jours, il avançait. Solitaire très tôt, il n’avait pas ou peu d’amis, et les rares qu’il se faisait étaient pour la plupart intéressés par ses facilités scolaires. Ils ne restaient pas longtemps avec lui.
Il arriva devant la grille de son nouveau collège, et fixa un moment les innombrables enfants et adolescents qui composaient une partie de la nouvelle génération. Il remarqua les fortes têtes, dont la bande qui le bousculait depuis toujours, les neutres qui pouvaient se fondre partout sans trop se faire remarquer, et les faibles. Les soumis. Son espèce.
Il franchit les grilles en baissant les yeux.

2 Eux.
Les jours reprirent leur emploi du temps scolaire réglé comme du papier à musique, dispensant les matières et les professeurs parmi les heures de cours. Le Français, les Mathématiques, la Biologie, la Géographie, l’Histoire, le Sport, l’Anglais, l’Espagnol ou l’Allemand, ainsi que diverses options comme la Musique ou l’Art Plastique. Les habitudes reprirent rapidement leur place après la période des grandes vacances estivales.
Il était bon en tout. Il n’y avait aucune connaissance qu’il ne pouvait assimiler et, comme en primaire, il devint rapidement la coqueluche des professeurs. Il accumulait les bonnes notes aux contrôles, savait ses leçons sur le bout des doigts, et en quelques semaines seulement, son nom devint un synonyme de réussite.
Malgré cela, les brimades continuaient lors des intercours, des récréations et une fois sortit de l’enceinte du collège. Ainsi qu’en cours de Sport, où son intelligence ne pouvait pas l’aider à sauter les haies, à courir plus longtemps ou à se tenir à la force de ses bras sur les barres parallèles. Son obésité lui causait du souci, mais il en avait toujours été ainsi, et il ne s’en souciait guère. Ses notes dans les autres matières lui valaient une immunité diplomatique dans la discipline sportive.
Mais cette exonération de remontrances sévères vis-à-vis de son professeur d’éducation physique et sportive ne l’empêchaient pas d’être la tête de turc de la sempiternelle bande qui lui cherchait des crosses. Eux aussi étaient devenus réputés dans le milieu, mais pas pour les mêmes raisons : Le groupe de trois avait perdu un des membres, qui avait préféré se ranger du coté des neutres, mais il avait récupéré un sinistre individu, redoublant, qui avait rapidement gagné la place de leader.
Jacques Lainé avait lui aussi été dans la même école primaire que les autres, mais il avait un an de plus. Il était en deuxième année de sixième. Grand, plutôt bien bâtit et avec un physique avantageux dont il abusait sans compter avec la gent féminine, c’était le type même du rebelle qu’on trouve dans chaque salle de classe, cancre, dans le fin fond de la classe et recherchant toujours de nouveaux moyens pour braver l’autorité.
Sébastien Muñoz s’était greffé à lui. Il avait été l’ancien ‘chef’ des élèves dissipés, mais il avait sans remords laissé sa place à Lainé. Typé, une peau mat et un visage doux et avenant, il restait indétrônable lorsqu’il s’agissait de négocier avec les adultes, qui ne se méfiaient pas de son regard d’ange aux yeux bleus. Il gardait une place de choix.
Seuls les professeurs connaissaient le nom de Tony, une immense brute musclée et aux origines portoricaines évidentes. C’était la force de frappe de la bande, s’occupant de menacer et de mettre les menaces à exécution. Si son esprit était relativement étroit, il compensait par un sens de l’obéissance et du respect hors normes. Il avait le même âge que Lainé, mais son redoublement s’était effectué quelques années plus tôt.
Le dernier à avoir intégré la bande était un dénommé Benoît Blanchot, qui effectuait les basses besognes de ses camarades sans rechigner. Il avait de longs cheveux blonds filasse et arborait en permanence un sourire mi-amusé mi-étonné qui lui donnait un air benêt du plus bel effet. Et Benoît était en effet loin d’être une lumière. D’une taille moyenne, il n’avait que la peau sur les os, et peu de choses pour combler les cavités restantes. Le résultat était une fusion entre un fil de fer et une autruche attardée.
Il était donc le souffre douleur de ces quatre là, mais il avait prit son mal en patience, et espérait que la roue allait tourner, un jour ou l’autre. Mis à part ceux-ci, les autres élèves étaient assez effacés pour être inintéressants, et rares sont ceux qui lui adressaient la parole. Il ne s’intéressait pas à eux, et eux à lui. Seules deux autres personnes de sa classe sortaient du lot commun, à ses yeux :
La première était un solitaire, comme lui. Mais si lui n’attirait pas les autres, Guillaume Dastein rejetait ceux qui venaient à lui. Dastein ne voulait pas de leur compagnie, Dastein était seul tout le temps, et il aimait ça. Il était vêtu de la même façon tout les jours, dans les tons sombres, et ne décrochait un mot que quand il le fallait absolument. Il était moyen en classe, discret et personne ne pouvait arguer le connaître vraiment. Il était fasciné par ce Guillaume Dastein et par son attitude désinvolte et hors des autres.
La deuxième personne était une fille. Elle s’appelait…

3 Julie.
Il l’avait vu dès la rentrée, cette jolie blonde aux yeux clairs. Bien qu’il soit encore trop jeune pour souffrir des affres de l’Amour avec un grand A, les sentiments qu’il vouait à Julie Ulm étaient forts et puissants. Les semaines et les mois étaient passés, et ses émotions n’avaient cessé de croître. En début d’année, une fois les vacances de Noël passées, elle lui avait parlé pour la première fois.
« Tu peux m’aider pour cet exercice ? lui avait-elle demandé durant une heure d’études libres entre deux cours. Je n’arrive pas à répondre à cette question. »
Elle avait pourtant un bon niveau, mais le sien était encore meilleur. Il lui avait donc expliqué, bafouillant, rouge comme une pivoine, et elle l’avait remercié. Le soir, une fois rentré chez lui, il avait commencé à consigner leur rencontre, leurs paroles, leurs échanges, dans un journal intime. Ce journal le suivra des années, et deviendra le seul témoin de sa vie. Un confident privilégié.
Jusqu’aux vacances de Pâques de leur première année commune, il se contentait de ces rencontres aussi courtes qu’insignifiantes, mais qui pour lui devenaient une drogue. Il voulait à tout prix se faire remarquer d’elle, même si sa timidité maladive lui interdisait de faire le premier pas. Il en souffrait, mais il aimait cette souffrance.
Il la convoitait donc de loin, l’observant en cachette, rêvant d’elle dans un sommeil humide et agité, et se retrouvait à chaque fois paralysé et bégayant lorsqu’elle venait lui demander quelque chose. Et bientôt, cette relation à sens unique attira l’attention de la bande de Lainé, qui se moquaient ainsi d’elle et de lui, tant et si bien que la jolie Julie vint de moins en moins quérir son aide pourtant précieuse.
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Message par Mr.Magnum Dim 31 Juil - 12:20

4 Retour chaotique.
Un jour, justement, où il s’était décidé à voir Julie de son propre chef, et où Jacques Lainé et ses acolytes les avaient une nouvelle fois publiquement humiliés, il rentrait chez lui en ruminant de sombres pensées. Il n’était pas dupe, et il se doutait que si Julie rechignait de plus en plus à le voir, c’était de leur faute, à eux, ces quatre crétins qui n’avaient pour seul loisir que de l'injurier et de le mettre plus bas que terre.
Alors qu’il tournait, comme tous les soirs au coin de la rue qui menait chez lui, un pied se dressa en travers de son chemin. Il ne l’aperçut que trop tard, plongé dans ses pensées de vengeance, et s’étala lamentablement par terre, sous les hurlements de triomphe de Benoît Blanchot, qui levait ses bras maigres au ciel en beuglant de rire.
« Eh, v’nez voir les mecs, j’ai pêché une baleine !
-C’est pas une baleine, c’est le gros tas. Une baleine, t’aurais eu moins de risque de te faire péter le pied, sûr ! »
Les éclats de rires débiles fusèrent à nouveau, et il sentit une pointe de pied s’enfoncer doucement dans les replis de ses côtes. Il tourna la tête de coté, et vit Lainé avec un sourire déplaisant sur son faciès qui commençait à se remplir de boutons d’acné.
« Alors, gros tas, tu rentres chez toi à pied ? Pas trop essoufflé de faire de la marche tous les soirs, comme ça ? »
Il ne répondit pas, et Lainé appuya encore son pied. Il serra les dents et les poings. Il ne voulait pas pleurer. Pas devant lui, surtout. Derrière, Muñoz et Blanchot riaient à n’en plus finir, tandis que Tony surveillait les rues avoisinantes afin d’éviter une irruption imprévue.
« Peut-être que tu fais un régime ? poursuivit Lainé en retirant son pied. Peut-être que c’est pour plaire à la belle et douce Julie ?
-Ne lui fait rien, elle n’y est pour rien. »
Lainé se baissa et le regarda dans les yeux. Les larmes lui brouillaient la vue, mais il soutint le regard méchant de son bourreau. Lainé lui attrapa une touffe de cheveux, et il lui tira la tête en arrière d’un coup sec. Il ne put réprimer un cri de douleur, et les larmes lui échappèrent pour couler sur ses joues.
« Mais c’est qu’il se rebiffe, le gros !
-Fous-lui un pain ! s’esclaffa Blanchot avant de se recevoir un coup de coude dans l’estomac par Muñoz.
-Tu y tiens, à cette Julie, hmmm ? Alors pour ça… » Lainé se redressa de toute sa hauteur et le toisa. « …il va falloir perdre ce que tu as ici !! »
La violence du coup de pied le projeta sur la chaussée, et il roula sur lui-même avant de se retrouver à regarder le ciel. Ses côtes avaient pris feu en lui, et sa respiration était coupée. Il entendit vaguement Muñoz qui demandait à voix haute s’il n’avait pas été trop fort sur ce coup là, puis il reconnu la voix de Tony qui leur intimait de courir, car quelqu’un arrivait.
Il se releva, pantelant, cherchant lui aussi à se cacher de la personne qui allait tourner au coin. Par honte, mais aussi pour éviter toute question gênante. Il clopina sur quelques mètres, une fois le trottoir rejoint, et reprit son souffle. Tout le flanc droit le lançait à chaque battement de cœur. Il fit encore quelques pas, puis se pencha rapidement dans un jardin voisin pour vomir un liquide jaunâtre teinté de sang.
Il s’essuya sur sa manche, et rentra chez lui, maudissant les autres, maudissant la vie et se maudissant soi-même.

5 Le libraire de la rue Brouillard.
Lorsqu’il faisait le chemin tranquille, sans autres contrariétés que le temps qui virait à l’orage ou une déviation de la route pour cause de travaux urbains, il avait deux escales où il ne manquait jamais de s’arrêter.
Le premier arrêt était la Boulangerie de madame Pasquin, où il achetait de quoi manger durant le trajet. Elle était située près du collège où il se rendait, et faisait la moitié de son chiffre d’affaire sur la vente de friandises aux étudiants. Et même si elle ne se montrait pas particulièrement aimable avec lui, il y passait le plus souvent possible, pour s’acheter deux ou trois pains au chocolats, ou des bonbons.
« Encore venu te goinfrer de bonbons ? » grommelait-elle à chaque fois qu’il entrait dans son établissement. Elle changeait son discours en un ‘bonjour’ courtois seulement si d’autres clients étaient présents avec elle. Il la soupçonnait de ne pas l’aimer à cause du relatif confort financier dans lequel il se trouvait. Mais était-ce de sa faute, si ses parents préféraient lui donner de l’argent de poche tout les jours plutôt que de s’occuper de lui ?
La seconde étape où il marquait une pause était une librairie, la seule de sa ville. Il aimait s’y rendre, flâner entre les rayonnages de revues aux sujets variés et intéressants. Il feuilletait les magazines de science-fiction, jetait un œil aux bandes dessinées, glanait quelques informations dans la presse spécialisée. Il adorait cet endroit, qu’il considérait plus comme un chez lui que sa propre maison.
« Salut toi, déjà fini l’école ? disait le libraire avec un sourire dès qu’il le voyait traverser la rue et entrer dans sa boutique.
-L’école est terminée, mais je poursuis mes études ici ! » répondait-il toujours, sans changer la phrase d’un iota, même s’il passait le dimanche matin et que tout deux savaient pertinemment que le collège était fermé. Le libraire était un véritable ami, à ses yeux. Il lui parlait de tout : Ses embrouilles avec la bande à Lainé, ses contrôles ratés ou réussis, ses envies, ses idées, ses problèmes.
Il lui avait même parlé de Julie, et le libraire le poussait tous les jours à aller de l’avant, avec elle, qu’il surnommait affectueusement ‘sa copine’.
« Si tu ne lui parles jamais, à ta copine, avait dit le libraire un jour, ça ne risque pas d’avancer des masses !
-Mais je voudrais bien, moi, avait-il répondu. Mais ça va lui attirer des ennuis. Jacques Lainé ne va pas arrêter de l’emmer… de l’embêter.
-Tu sais, des gros mots, j’en ai entendu des pires que ça. » Et il ponctuait sa phrase d’un clin d’œil, ce qui faisait rire le jeune garçon aux éclats. Ils s’étaient liés d’amitiés par hasard, se découvrant des passions communes pour les livres, la presse et les bandes dessinées. Et, au fur et à mesure, leur relation s’amplifia, pour devenir ce qu’elle était.
Le libraire faisait office de père et de mère.
De famille.

6 Accord parental absent.
Chez lui, c’était toujours la même chose, et ce depuis des années : Fils unique, il avait l’impression de vivre seul dans son immense maison. Ses terrains de jeux étaient limités à sa chambre, la salle de bain, les toilettes et la salle à manger, le restant de l’immense habitation étant la plupart du temps vide.
Son père était courtier en bourse, et n’était jamais chez lui plus d’une demi-heure d’affilée dans la journée. Il passait de temps en temps prendre des dossiers, consulter ses mails ou arracher les feuilles de son fax personnel, mais il n’accordait que rarement du temps à sa femme et son fils. Tout juste un simple baiser distrait, et encore.
Sa mère, elle, était présente, mais pourtant plus absente que son père. Elle occupait son temps en séances de remise en forme, en séances de bavardage autour d’un thé entre amies, en séances de stretching, en séances de télévision, en séances de repos découragé et pour finir les journées : en séances de levage de coude. Elle ne faisait pas les repas, elle ne se consacrait pas à la maison ou aux autres, tout n’était qu’égoïsme.
Il s’était donc élevé seul. Une employée de maison lui avait préparé ses repas durant des années, mais il avait récemment prit l’initiative de se faire à manger, seul, aussi. Il était, par obligation, rapidement devenu autonome et n’attendait plus rien de ses parents. Les rares fois où il les voyait se comptaient sur les doigts de la main, souvent à l’occasion d’un repas officiel en compagnie des collègues de son père, ou bien lors de grandes réceptions hautaines où il était contraint d’assister.
Il avait apprit à se laver, il avait apprit à cuisiner en observant les servantes, il avait apprit à se gérer seul de bout en bout, et cette façon de vivre, même si elle ne lui plaisait pas, lui semblait normale. Juste un mauvais moment à passer. Il avait mené ses études d’une main de maître, sans recevoir ni sermons ni éloges de ses parents. Il n’avait jamais pu avouer, étant petit, qu’il était le seul de sa classe de maternelle dont le père n’avait pas prit le temps de lui apprendre à lacer ses chaussures.
Il l’avait fait seul.

7 Déprime.
Sa chambre était son refuge, avec la librairie. Mais dans cette pièce où lui seul pouvait entrer, il savait qu’il pouvait se laisser aller totalement. Rire s’il en avait envie, pleurer si son cœur était empli de chagrin. Et, ces derniers temps, depuis son entrée au collège, son cœur débordait de tristesse en permanence.
Les premiers temps avaient été durs, avec la nouvelle bande qui s’était formée dès les premiers jours de la rentrée. Il en avait souffert, mais il avait tenu bon. Les insultes, les moqueries sur son poids, sur sa différence, il connaissait, ce n’était pas nouveau. Il savait comment les prendre, comment les ranger de coté dans son esprit, comment les oublier, ne serait-ce qu’un temps, et expulser sa douleur une fois chez lui, dans sa chambre.
Mais il n’avait pas été préparé à ce nouveau sentiment, celui qu’il ressentait face à Julie. Il n’avait pas compris immédiatement, bien que son esprit lui avait facilement fourni le mot amour en guise de réponse. Mais il n’avait pas voulu se l’avouer. Il ne cessait de penser à elle, et il commençait à croire qu’il arrivait à tenir le coup grâce à ses sourires, à ses mots. Il se demandait jusqu’où il serait prêt à endurer ces souffrances, pour elle.
Mais en cours d’année, les brimades s’étaient accentuées, et l’épisode du coup de pied dans les côtes s’était répété plusieurs fois depuis le premier incident. Julie n’en savait rien, mais elle était elle aussi en danger.
Il rentra donc dans sa chambre, en cette fin d’année scolaire, en cette fin de sixième, à l’aube des mois d’été où vacances riment avec chance. Mais lui voyait ces mois estivaux comme un calvaire qu’il fallait supporter. Bien sûr, il n’aurait plus de problèmes avec Lainé, Muñoz, Tony ou Blanchot, mais ses activités en ressortaient grandement réduites, et l’ennui le guettait rapidement.
Il pouvait facilement s’occuper avec ses consoles de jeux, avec ses livres, avec ses jeux de sociétés, et même en avoir une panoplie de nouveaux. Il suffisait de demander à sa mère, entre un cours de gym et une partie de bridge, et il aurait dès le lendemain tous les cadeaux qu’il désirait. Mais il n’avait personne avec qui les partager. Personne avec qui parler, en dehors de son journal et de son libraire.
Il envoya un coup de pied abattu dans une manette qui s’écrasa sous le radiateur, puis se jeta sur son lit, où il resta étendu, haletant après la montée des escaliers conduisant à sa chambre. Il posa ses mains sur son ventre rebondit, et le caressa pensivement. Puis il envoya son poing dessus, et grimaça de douleur.
Il se haïssait. Il haïssait ses parents, ses amis, sa vie, tout. Il se frappa vigoureusement l’estomac, les côtes, se martelant de plus en plus violemment, se meurtrissant les chairs et l’âme. Il ne se rendit pas compte tout de suite qu’il pleurait. Il s’arrêta enfin, ahanant, le ventre couvert d’ecchymoses rouges vives. Il souffrait, mais il souriait. Il attendit que la douleur se dissipe, puis roula sur le coté et sortit un coffret de sous son lit.
Son journal intime.
Il l’ouvrit à la page du jour, et chercha un crayon sur son bureau, non loin. Il tomba sur un stylo Mont-blanc puis le jeta au loin. Il avait en horreur ce stylo pour riche, que son père lui avait offert distraitement pour un anniversaire. Il finit par trouver un crayon de papier, abandonné en classe par un élève étourdi. Il regarda la mine émoussée, mais ne prit même pas la peine de le tailler avant d’entamer la rédaction de son journal.

Aujourd’hui était le dernier jour cette fastidieuse année de sixième. J’ai tant bien que mal réussit à éviter Lainé et ses copains, ce qui me permet d’affirmer avec joie que cette journée n’a pas été si néfaste que ça.
Je n’ai pas vu Julie aujourd’hui. Je crois qu’elle m’évite vraiment. Le libraire m’a dit que je devais aller la voir chez elle, mais je ne sais pas où elle habite. Mais il m’a rétorqué que j’étais largement assez intelligent pour ouvrir les pages jaunes. Je vais peut-être le faire, je ne sais pas. Je n’arrête pas de penser à elle.
Tout comme Lainé et sa bande, mais différemment. Ils ne me font pas peur. Mais si je pouvais… Ah… Si je pouvais…


8 Vengeance.
…je leur ferais ravaler leur langue jusqu’à ce qu’ils étouffent.


Note2: Je pars en vacances dès demain, pour une semaine. Je ne pourrais donc pas mettre de nouveau chapitre samedi prochain. En contrepartie, j'en posterai donc deux en même temps, le samedi suivant. Bye bye!
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Message par Mr.Magnum Dim 14 Aoû - 18:21

Bwarf! Me revoilà, après moults péripéties en Normandie, avec des otaries laineuses et autres vaches mangeuses de fic... Mais je suis intact, et de retour avec deux chapitres de Traumenschar! hein? Quoi? J'en avais promis trois? Ah mes en fait, j'ai subis un léger contretemps, alors je n'ai pas pu vous en pondre autant que prévu... Il y en aura deux aussi la semaine prochaine, all right? Au programme de cette fournée, la réécriture du chapitre qui m'a, après coup, paru un peu mièvre et pas trop dans l'optique de ce que je voulais faire par la suite. Je l'ai donc retapé intégralement, mais la relecture n'est en aucun cas obligatoire car le scénario reste quasiment identique. Seconde chapitre, celui du samedi 6 aout, donc de la semaine dernière. La semaine prochaine, vous aurez celui de cette semaine et le dernier en date, comme ça tout sera à jour, compris?
Sur ce, bonne (re)lecture!



ÉPISODE 6 : MAL…
1. …dans sa peau.
1 Lui.
Encore eux.
Ils recommencent, comme en primaire. Ils ne me lâcheront pas. J’en reviens pas. Une telle hargne, une telle envie de faire le mal… Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on ennuyer les mêmes personnes, années après années, et sans lassitude ?
Je ne les comprendrais jamais.
« Comment ça va, le gros ?
-Ça roule ? »
Et ça les fait rire. Ils se marrent comme des ânes, ils braient. Oui, c’est ça : braire. Des vrais animaux enragés, des vraies bêtes qui ne cherchent qu’à s’amuser sans se soucier des conséquences. Ils se foutent de ce que je ressens, ils songent juste à leur égoïste bonheur éphémère. Je les hais.
Comment leur expliquer, de toute façon ? Comment leur expliquer en détails la vie d’un écolier un peu trop gros, un peu trop rond, un peu trop large. Trop. C’était le mot : Trop. Trop de ceci, trop de cela. Trop de bide, trop de gras. Trop. Des années de trop, qu’on supporte sans mot dire. Des années de bousculades innocentes, de regards méprisants, d’insultes plus ou moins bon goût.
Mais ce n’est pas grave. J’ai presque onze ans, et c’est ainsi depuis toujours. J’ai appris seul à m’en sortir, à baisser les yeux et à m’éclipser, comme un bon garçon persécuté. Ils étaient là en primaire pour me lancer leurs railleries, et ils sont encore là cette année, alors que j’entre au collège. Il ne me reste qu’à ramper encore, et éviter les coups.
Ensuite, je…
« Ah ! »
Je m’étale sur le trottoir. Je n’ai pas vu son pied venu entraver les miens. Je n’ai rien vu venir. Et me voilà par terre. Et ils rient encore. Je sens le mollard chaud et gluant qui me coule sur les cheveux. Pourquoi n’ai-je pas un mètre de plus ? Pourquoi ma graisse n’est-elle pas muscle ? Pourquoi ne puis-je pas me défendre ?
Pourquoi suis-je si misérable ?
Ils partent. Mais je préfère rester encore quelques secondes à terre. Je sais que les gens me regardent, je sais que les passants examinent mon dos d’enfant à terre. Et je sais également que personne ne me viendra en aide. Je sais tout ça, parce que je l’ai déjà vécu. Des années.
Des années en trop.
Bon. Il est temps. Le temps de se lever, et d’essuyer ce glaire de mes cheveux. Il suffira de frotter avec un de mes bon gros mouchoirs en tissus, qui contribue à une réputation de raté comme rien d’autre. Ça et mon superbe anorak flambant neuf ! Quelle joie. Quel panache. Oh, et en plus, j’ai déchiré ma manche en tombant. Bof. Ma mère m’en rachètera un, et puis c’est tout. Enfin… Si je trouve le temps de lui dire.
Reprenons notre route. Direction : le collège. Ce n’est pas le premier jour que je dois arriver en retard. Ni le dernier. Ni jamais. Et ce n’est pas parce que j’ai mal à la tête à force de frotter, ni à mon genou qui dit être écorché, que je dois arriver en retard à l’école. En cours, même. Ce n’est plus l’école, ce sont les cours.
Même si, en arrivant maintenant devant les grilles de mon nouvel établissement scolaire, en jetant un œil à la fois émerveillé et anxieux à la faune que je vais côtoyer durant des années, je note une bien triste remarque : Les fortes têtes sont toujours là, les élèves neutres qui peuvent se fondre dans la populace locale sans autres désagréments…
…et mon espèce. Les faibles. Les soumis.
Et j’entre, comme chaque année, en baissant les yeux.

2 Eux.
On dit souvent que faire du vélo, ça ne s’oublie jamais. Eh bien, les cours, c’est la même chose : On retrouve toujours, après les deux mois de vacances, comment s’y prendre. Que ce soit en Français, en Mathématiques, en Biologie, en Histoire, en Géographie, en Anglais, en Espagnol ou en Allemand pour ceux qui l’on prit, en Sport et parmi les diverses options comme la Musique ou l’Art Plastique, la méthode est toujours la même.
Les seules choses qui changent sont les façons de les nommer : les maîtresses deviennent des professeurs, les récréations deviennent des intercours, les leçons deviennent des cours, le cahier vert devient le carnet de correspondance, l’école s’appelle collège, etc. Mais à part cette remise à jour du vocabulaire scolaire, le fond reste le même : les enseignants, quels que soient leurs noms, dispensent des leçons et râlent si on n’a rien retenu, les intercours sont pleins de bruits et de chahut, les cours sont ennuyeux, etc.
J’ai la chance d’être doué dans toutes les matières, ce qui ravit les professeurs. J’aime apprendre, j’aime comprendre, analyser, disséquer. C’est ainsi. Je suis un affamé de connaissances. J’ai appris à lire avant de terminer ma maternelle. Je savais tout sur les opérations mathématiques de base à la fin du CP. Ce que je préférais : Avoir un train d’avance sur les autres, même tout petit.
Mais j’ai toujours refusé de sauter les classes, même si j’en avais le potentiel. Je mettais un point d’honneur à rester un élève bon, mais pas trop. Tiens, encore ce mot : trop. Dès qu’il était question de m’envoyer à la classe supérieure en cours d’année, je faisais sensiblement baisser mes notes, jusqu’à ce que l’idée leur passe. Je sais que mes parents auraient adoré avoir un fils surdoué, ou quelque chose comme ça.
Et c’est aussi une raison pour moi de rester simplement bon.
Pas trop.
Et ici, dans mon nouveau collège que j’ai intégré depuis bientôt trois semaines, tout est effectivement identique. Je suis bon en tout, je surpasse les autres, j’ai chez moi la plupart des livres de cours de la cinquième et de la quatrième, et j’étudie à en crever. Pour être meilleur qu’eux, que les autres, et ainsi faire ma petite vengeance à moi. Une revanche discrète, mais personnelle, sur les autres et le monde.
Les autres, ce sont les fortes têtes, mais aussi les bons élèves qui veulent à tout prix me dénigrer, les passants qui me regardent comme une bête de foire, les commerçants qui sourient à mon approche, les chiens qui aboient sur mon passage. Ce sont les autres. Ce sont eux.
Eux.
Jacques Lainé est l’un d’Eux. C’est lui le chefaillon de cette bande qui me cherche en permanence des crosses. Je suis sa tête de turc préférée, parmi les faibles qui déambulent au collège. Je ne lui ai pourtant rien fait, mais il semble en avoir après moi. C’est sa seconde année de sixième. Il a rapidement prit la place vacante du chef de la bande, et ainsi reprit le flambeau de son prédécesseur qui s’était rangé dès les premiers jours de la rentrée parmi les neutres, certainement à cause de sévères remontrances parentales.
Lainé est grand, et son année supplémentaire lui confère une aura de sagesse qu’il n’a pourtant pas. Lorsqu’il a intégré la bande, il s’est rapidement monté au niveau de leader incontesté, assurant aux autres une autorité qu’ils désiraient. Les autres membres, justement, n’avaient pas changés depuis la primaire.
Sébastien Munoz a le même âge que moi, et pourtant il est loin d’avoir le même niveau. Il avait été par obligation la tête pensante du groupe, et Lainé lui avait succédé sans difficulté. Munoz avait cédé sa place au profit de second. Sa peau mate et son visage doux et avenant lui assuraient un rôle prépondérant dans la bande : Celui d’arranger les éventuelles implications d’adultes dans les conflits. Munoz avait un visage d’ange, et il en abusait sans honte. Personnellement, je n’avais jamais aimé son sourire de faux jeton.
Il est l’un d’Eux.
Tout comme celui qu’on surnomme Tony. Je ne sais toujours pas son véritable prénom, ni son nom de famille, seulement le surnom dans sa bande, pour l’avoir mainte fois entendu durant mes lynchages. Tony est la force de frappe de la bande. Il suffit que Lainé claque des doigts et que Tony apparaisse pour que le plus récalcitrant des bizuts se laisse faire, pour que le plus têtu des rackettés se laisser piquer son argent. Tout le monde s’écrasait devant lui. Il avait lui aussi un an de plus, mais son redoublement s’était effectué quelques années plus tôt.
Le dernier de la bande, c’est ce que les gens appelaient, dans les campagnes au début du siècle, l’idiot du village. Mais Benoît Blanchot était également l’un d’Eux, et même s’il n’effectuait que les basses besognes, il n’en restait pas moins un parfait abruti à mes yeux. Physiquement, il n’a que la peau sur les os, et peu d’autres choses pour combler les cavités béantes de son cerveau inexistant. Ses longs cheveux blonds filasse n’arrangeant rien, j’espère simplement qu’il se rendra un jour compte de son erreur.
Le reste des élèves n’est finalement pas très intéressant. Je ne distingue pas untel d’untel, et les visages se succèdent sans que je ne retienne rien. Je ne m’intéresse pas à eux, point. Ils ne sont pas Eux, mais simplement eux. Pour moi, ils sont une masse compacte et inintéressante, qui s’active et grouille comme un remous fangeux. Ils font partie du décor, comme le tic tac d’une horloge, comme le ballet incessant des oiseaux dans le ciel.
Je m’en contrefous.
Seul deux personnes ont réussit à retenir mon attention. Ils sortent du lot des communs, pour s’élever au rang de personnes, à mes yeux. La première est un élève de quatrième, Guillaume Dastein. Un solitaire, comme je les aime. Mais celui-ci est plus que ça, encore. Il dégage quelque chose de particulier. Je n’ai encore pas cherché à l’approcher, mais c’est plus par respect que par timidité. Lorsque je le vois ou que je le croise, dans la cour de récréa… pendant l’intercours, il est toujours habillé de la même façon, dans les tons sombres, et arbore un visage si froid qu’il en est fascinant. Il semble se fondre dans la foule, et personne ne le remarque. Mais moi, je l’ai remarqué.
La seconde personne, c’est une fille de ma classe.
Elle s’appelle…
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Message par Mr.Magnum Dim 14 Aoû - 18:22

3 Julie.
Je l’ai vue dès la rentrée, cette petite blonde aux yeux bleus clairs. Bien que je m’estime trop jeune pour souffrir des affres de l’Amour avec un grand A, ce joli brin de fille m’attire de plus en plus. Plus les mois passent, plus je ressens quelque chose envers elle. Quelque chose d’indéfinissable, mais quelque chose tout de même. Quelque chose de fort, même.
Ce n’est que récemment qu’elle m’a adressé la parole pour la première fois, alors que les vacances de Noël venaient de toucher à leur fin, et que nous étions les deux premiers en classe après ces deux semaines de sapins, de neige éparse et de cadeaux. Je ne me souviens même plus de ce que j’ai reçu, mais c’est logique tant mes cadeaux sont impersonnels et choisit avec soin par un sous fifre de mes parents.
Mais bref, là n’est pas la question.
Elle était donc arrivée vers moi avec un grand sourire, et s’était arrêtée à un mètre de moi à peine. J’étais en nage malgré le froid extérieur, mais les gros ont toujours chaud. Ils transpirent toujours. Je me souviens même avoir pensé qu’elle allait être dégoûtée par mon aspect suintant et essoufflé, mais elle avait levé une main et avait dit :
« Hello ! Les vacances se sont bien passées ? »
J’étais resté sans voix, puis j’avais tant bien que mal réussi à bafouiller une réponse potable. Depuis, la situation a bien changé : Nous nous parlons souvent, la plupart du temps pour que je l’aide à résoudre un exercice ou à comprendre un cours, mais cela me suffit. Tous les soirs, je rentre chez moi et j’écris dans mon journal intime ce que j’ai fait avec elle, ce que j’ai dit, tout. Pour plus tard.
Je m’imagine déjà, si nous venons à sortir ensemble, lui montrant mes centaines de pages écrites à la main. Elle saura à quel point je pense à elle depuis longtemps. J’ai commencé à écrire depuis cette rencontre à Noël, et je me rappelle parfaitement des premières lignes : « Hello ! Les vacances se sont bien passées ?
-Je, euh, oui, très bien… Et… Et toi ?
-Moi aussi, sauf que j’ai eu quelques problèmes en histoire. Tu peux m’aider pour cet exercice ? Je n’arrive pas à répondre à cette question… »

4 Retour Chaotique.
Je n’en reviens pas !
Ils m’ont carrément foutu la honte en public, devant tout le monde, aujourd’hui ! Les salauds ! Merde ! Merde de merde ! mais qu’est-ce que j’ai bien pu leur faire, pour qu’ils s’en prennent à moi tout le temps ?! Ah je comprends pourquoi Julie rechigne de plus en plus à venir me voir, à me demander de l’aide, ou à me parler ! Ah je sais, oui oui ! S’ils lui font la même chose qu’à moi, c’est vite vu.
Quel connard, ce Lainé !
Bon, il faut que je me calme. Il faut que j’arrête d’entrer dans leur jeu, parce que c’est exactement ce qu’ils veulent : Que je me mette en colère et que je tente de me rebeller, comme ça ils pourront me tabasser complètement, et j’aurai tout gagné. Non, il ne faut pas que je m’emporte. Rester calme, et oublier tout ça. Je vais passer à la Boulangerie et chez mon Libraire, ça ira mieux après.
Ensuite, je pourrais voir plus clair et…
Oh non…
« Eh v’nez voir les mecs, j’ai pêché une baleine !
-C’est pas une baleine, c’est le gros tas. Une baleine, t’aurais eu moins de risques de te faire écrabouiller le pied, sûr ! »
Merde, je ne les ai même pas vu arriver. J’étais tellement plongé dans mes pensées, que je ne les ai pas vu du tout. Bon, il ne me reste plus qu’à rester encore une fois allongé sur le trottoir, et attendre que Lainé me crache dessus, ou qu’il m’envoie bouler. Je sens son pied sur mes côtes, et je sais que c’est lui. Je le sens.
« Alors, gros tas, tu rentres chez toi à pied ? Pas trop essoufflé de faire de la marche tous les soirs, comme ça ? »
Ne rien répliquer, ne rien rétorquer, faire profil bas. Ça m’a sauvé des années, et je pense que ça me sauvera encore bien longtemps. Son pied appuie un peu plus fort. Il veut me faire céder, mais je ne lui laisserai pas ce plaisir. Non. J’entends déjà les autres qui beuglent de rire derrière lui. Mais Lainé, lui, est sérieux.
« Peut-être que tu fais un régime ? »
Il appuie encore.
« Peut-être que c’est pour plaire… »
Non, ne le dit pas, enfoiré…
« …à la belle… »
Il ne faut pas que je réponde à ça, il sait que ça me touche.
« …et douce Julie ? »
C’est trop. Je sais bien qu’il l’a mis dans le même panier, avec moi. Mais elle est au-dessus de moi. Elle est au-dessus d’eux. Elle est au-dessus de tout le monde. Je ne peux pas le laisser dire ça.
« Ne lui fait rien, elle n’y est pour rien. »
Je sais parfaitement que c’est nul, comme réplique. Et eux doivent le savoir aussi, car même si ma vue est brouillée par les larmes, je devine leurs rictus et leurs regards méchants. Pourquoi je ne suis pas capable de leur livrer ce que je ressens avec toute la rage que j’ai en moi ? Pourquoi…
« Aaahh !! »
Il n’a pas aimé ma réponse, c’est manifeste… gnh… Il me tire les cheveux en arrière. Ça… Ça fait mal… Merde… je pleure… je ne voulais pas pleurer ! Je ne dois pas pleurer ! Pourquoi je pleure ainsi, comme une lavette ?
« Mais c’est qu’il se rebiffe, le gros !
-Fous-lui un pain ! Ouch…
-Ferme-la, Blanchot. »
Je sens son haleine dans mon oreille. Je devrais lui filer un coup de tête. Je pourrais le faire. Ou bien tourner la tête et lui cracher au visage. Mais je reste là, à pleurer, comme un gamin. Un gamin que je suis. J’attends que tout ça se termine, comme d’habitude.
« Tu y tiens à cette Julie, hmmm ? Alors pour ça… »
Il me relâche. Voilà. C’est finit. Je vais peut-être avoir droit à un crachat, ou à quelques insultes bien senties, et je rentrerai chez moi.
« …il va te falloir perdre ce que tu as ici. »
Respiration coupée. Je ne sens pas encore la douleur. Son coup de pied m’a balancé sur la route. C’est fou que j’arrive à analyser aussi froidement quelque chose d’aussi violent. Je devrais me tordre de douleur, mais je ne fais que regarder le ciel. Les nuages qui passent, sans se soucier de cet écolier dont les côtes commencent à chauffer, qui ne respire pas, au milieu du bitume sale et malodorant.
« Tu n’as pas été un peu trop fort, sur ce coup là, Jacques?
-Barrons-nous.
-Ouais, y a un péquin qu’arrive, en plus. »
Je sens lentement la douleur qui irradie, et qui se fait de plus en plus forte. Mais j’arrive enfin à respirer. Comment ça se fait que je n’aie pas eu plus mal ? Pourquoi je n’ai qu’une respiration sifflante et un point de coté ? Je devrais hurler, je devrais me rouler dans tout les sens, crier, souffrir, mais je n’ai rien. Pourquoi ?
Je me relève, à tâtons, m’attendant à tout moment à subir un assaut de douleur, mais rien. Rien de rien. Je retourne sur le trottoir avant que le passant annoncé par Tony n’arrive. Je n’ai aucune envie qu’il me voit dans une situation aussi pitoyable. J’ai beau me tâter le ventre, je n’ai rien. Et me poser des questions sans arrêt ne changera rien.
Je ferais mieux de rentrer.
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Message par Mr.Magnum Dim 14 Aoû - 18:22

5 Le libraire de la rue Brouillard.
Bien. Aujourd’hui, j’ai évité les quatre illuminés à la sortie des cours. Depuis la dernière fois et le coup de sang de Lainé, ils ont l’air de se calmer. Peut-être ont-ils eu peur ? J’ai cru sentir un peu de panique, lorsque Munoz lui avait parlé après. Mais peut-être l’ai-je imaginé. J’étais quelque peu sonné, après le coup de pied dans l’estomac. Le plus important, c’est qu’il n’a pas tenté de recommencer.
Oh, les insultes, les brimades et le reste continue toujours, mais ça ce n’est pas grave. Et il y a des jours, comme aujourd’hui, où ils partent en avance et où je suis tranquille. Je vais pouvoir rentrer sans me demander quand ils vont me tomber dessus, sans avoir le cœur battant à chaque coin de rue, sans me retrouver à terre et martelé de coups.
Je vais même en profiter pour aller voir madame Pasquin. Je sais pertinemment qu’elle ne m’aime pas, mais j’aime sa boulangerie, ses croissants et ses pâtisseries aussi appétissantes que variées. Et même si elle ne se montre pas particulièrement aimable, elle doit bien être au courant que les trois quarts des étudiants de mon collège vont lui acheter sa marchandise. Elle aurait tort de faire la fine gueule.
« Encore venu te goinfrer de bonbons ? »
Et voilà, elle recommence. C’est sa phrase préférée. Mais seulement lorsque je suis le seul client de sa boutique, sinon elle se contente d’un ‘bonjour’ courtois. Mais je m’en fous. Je ne lui réponds même pas, et je me contente de lorgner à travers la vitre ses présentations de gâteaux, de tartelettes et autres sucreries.
« Trois pains au chocolats, s’il vous plaît.
-Tu vas encore me filer un billet pour ça, hein ? »
Je suppose qu’elle ne m’aime pas à cause du relatif confort financier dans lequel je me trouve. Mais est-ce que c’est de ma faute si mes parents préfèrent me donner de l’argent au lieu de s’occuper de moi ?
« Mettez ce qu’il reste en bonbons.
-Ben voyons. »
Jamais contente, évidemment. Mais du moment qu’elle me donne ce que je veux, elle peut râler et m’insulter, ça me passe au-dessus de la tête. De toute façon, elle ne dira rien de plus, car un client vient de rentrer.
« Au revoir, madame Pasquin ! »
Je pense que j’aurai le temps de manger tout ça avant d’arriver à la librairie. J’ai horreur de tripoter des livres ou des revues en même temps que de la nourriture. Ce n’est pas respectueux. Les bonbons, je les garderai pour le chemin entre la librairie et chez moi. Comme ça, j’aurai les mains libres.
J’adore passer chez le libraire de la rue Brouillard. Je pourrais y passer des heures. Je feuillette des magazines, passant d’un sujet à un autre en quelques secondes. Je regarde tout, là-bas : Les bandes dessinées, les revues de science-fiction, d’horreur, de collection, d’autres sur les jeux vidéos. Tout. Je m’intéresse à tout. Et ce qu’il y a de bien, chez lui, c’est qu’il me laisse tout regarder sans bougonner.
Dès que j’ai du temps de libre, j’y passe. Si je pouvais m’y faire enfermer, une nuit, ça serait le rêve. C’est presque devenue ma seconde maison, cette librairie.
« Salut, toi, déjà fini l’école ? »
Toujours la même phrase, répétée sans cesse et sans lassitude. Que je sois en vacances ou non, et il le sait pertinemment, il me la lance dès que j’ai mis un pas dans sa boutique. Et je lui réponds continuellement la même chose :
« L’école est terminée, mais je poursuis mes études ici. »
Et il rit. Moi, je fais souvent de même. Parfois, lorsque la bande à Lainé ou autre chose ne va pas, je ne ris pas et il le remarque. Il semble être le seul à s’occuper de moi. Je veux dire, à s’occuper vraiment de moi, contrairement à mes professeurs qui ne voient qu’un élève doué, à Lainé qui ne voit qu’un souffre-douleur, ou à mes parents qui ne voient qu’un être de petite taille qui vit dans la même maison qu’eux.
« Alors, ça avance avec ta copine ? »
Il sait pertinemment que je n’aime pas qu’il appelle Julie ainsi, mais à y réfléchir, c’est de ma faute : je n’aurais pas dû lui en parler aussi franchement. Mais je sais qu’il plaisante, et je ne lui en veux pas. Une autre personne m’aurait fait la même remarque, je me serais muré dans un silence réprobateur, mais lui non.
Je lui confie tout.
« Aucun problème, même si ça n’avance pas beaucoup.
-Eh bien, ce n’est pas en achetant des bonbons que ça va s’arranger ! »
Ah. Il a remarqué mon sac. D’ordinaire, je le cache dans mon sac à dos, pour qu’il ne me fasse pas de remontrances.
« Je sais.
-Si tu ne lui parles jamais, à ta copine, ça ne risque pas d’avancer des masses ! »
Je sais tout cela. Mais…
« Mais je voudrais bien, moi ! Mais ça va attirer des ennuis. Jacques Lainé ne va pas arrêter de l’emm… de l’ennuyer ! Pardon.
-Tu sais, des gros mots, j’en ai entendu des pires que ça. »
Là, je ris franchement. La façon qu’il a de faire son clin d’œil est à la fois amusante et rassurante. Je me sens bien, dans cet endroit. Pas autant que dans ma chambre, mais plus que chez moi. Je suis en sécurité, loin de Lainé, de l’école et de tout le reste. Quand je repense à notre rencontre, alors que je cherchais une cachette pour fuir l’ancienne bande qui me cherchait des crosses, je ne peux que remercier le hasard. Sans lui, je n’aurais peut-être pas trouvé cet ami.
Cette famille.
Ce père.

6 Accord parental absent.
Je n’aime pas être chez moi.
Tout est grand, tout est vide, tout est propre et bien rangé. Dans un sens, ça devrait me rassurer, vis-à-vis de l’école et son brouhaha perpétuel, mais le résultat est contraire : Tout me paraît froid. Distant.
C’est ainsi depuis toujours.
J’ai l’impression de vivre seul, entouré de meubles et de tableaux aussi vieux que les murs, sinon plus. J’ai la permission d’aller où je veux, mais je n’ai pas le droit de faire ce que je souhaite. Alors je préfère me contenter d’un minimum. Comme maintenant, alors que je rentre chez moi, et que je traverse le hall d’entrée, que je passe dans le couloir, que je monte l’escalier et que je file à toute vitesse dans ma chambre.
Le reste de l’habitation me fait peur, et je me contente amplement de ces quelques bribes de couloirs et d’escaliers. Oh, je peux y ajouter la cuisine, où je prends mes repas seul, les toilettes et la salle d’eau, évidemment. Mis à part ces quelques pièce, le reste de la maison appartient à ma mère, à la poussière et aux courant d’air.
Mon père est courtier en bourse, et il n’est jamais là. Lorsqu’il passe, c’est en coup de vent pour chercher un dossier, arracher ses feuillets de fax ou consulter ses mails. Et encore, ceux-ci sont la plupart du temps lus de l’extérieur. Il lui arrive de me croiser, moi ou ma mère, mais il ne semble même pas nous remarquer. Parfois, dans un élan de bonne volonté, il nous envoie un baiser distrait du haut de son épaule.
C’est signe de pluie, quand il fait ça.
« Mère ? Mère tu es là ? »
Non, évidemment. Pas de problème, je vais descendre à la cuisine me faire un sandwich. Je n’ai pas pu passer à la boulangerie aujourd’hui, car Lainé et sa bande s’y trouvaient. J’ai préféré m’abstenir. Mais je sais qu’il y a tout ce qu’il faut dans le frigo. Peut-être que je la verrai passer, d’en bas.
Ma mère devrait normalement être plus présente que mon père, car elle ne travaille pas. Elle a arrêté de travailler à ma naissance, soit disant pour m’élever et avoir du temps pour elle et moi. Foutaises. Depuis aussi loin que je me souvienne, elle n’a jamais eu à s’occuper de moi. Je doute même qu’elle m’ait allaité, elle a dû me confier aux seins d’un de ses bonnes.
Elle passe son temps en séances de stretching, en séances de bavardage autour d’une tasse de thé, en séances de télévision, en séances de remise en forme, en séances de repos découragé et pour finir une journée aussi bien remplie : En séances de levage de coude assidu. Tout pour elle, l’égoïsme à l’état brut. Elle me répugne.
Ce n’est pas elle qui me faisait les repas, mais une nourrice. Ce n’est pas elle qui me faisait prendre des bains, mais une nourrice. Pas elle non plus qui changeait mes couches, qui venait me voir après un cauchemar, non. Une bonne, une nourrice, une baby sitter. Tout sauf elle. Elle devait sûrement être trop accaparée par son thé ou son Gin pour me venir en aide.
Je me suis donc débrouillé seul. J’ai rapidement appris à m’en sortir, d’ailleurs : Je fais mes repas, maintenant, et je gère mon emploi du temps de A à Z. Avec une famille comme la mienne, il vaut mieux rapidement devenir autonome.
Bien, mon quatre heures est prêt : Sandwich au Nutella avec un paquet de gâteaux et une bouteille de coca. Pourquoi je me priverais ? De toute façon, Anna, notre domestique, aura rempli le frigo demain avec la même chose. Je n’ai pas vu ma mère. Je pense qu’il est l’heure de son feuilleton à la noix, et elle doit être enfermée dans le salon, avec probablement plus d’alcool qu’il n’en reste dans la bouteille.
Je remonte dans ma chambre.
Quand j’y pense, ce mode de vie n’est pas si déplaisant. Quand j’entends certains de mes camarades de classe qui se plaignent de parents trop collants, je me demande ce qu’ils diraient de ma situation. Je ne peux pas me plaindre de ça. Mais je les envie. Ils ont des soutiens, eux, des gens qui s’intéressent à leur vie.
Moi, je n’ai rien.
Mais je me console en me disant que ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Comme le reste. Je subis, et nous verrons comment se déroule la suite. Ça ne peut pas être pire. Au moins, une fois grand, je serais apte à me débrouiller totalement. Et je n’aurais plus à songer que je suis certainement le seul gamin au monde dont le père n’a pas pris deux minutes pour apprendre à son enfant à lacer ses chaussures.

7 Déprime.
Ma chambre.
Personne d’autre que moi n’a le droit d’y entrer. J’ai une clef, et je suis le seul à l’avoir. Personne n’a de doubles, et si je l’égare, je serais le seul à blâmer. La porte est fermée en permanence, que je sois dans ma chambre ou non. C’est mon endroit, mon refuge. Tout le monde peut passer à la librairie, mais je suis le seul à pénétrer ici. Même les femmes de ménage n’y entrent pas, et je leur ai assuré que j’allais faire les poussières de temps à autre.
Ici, je suis réellement libre. À la librairie, il reste certaines entraves à ma liberté, car le lieu est public et fréquenté. Ici, personne ne me voit rire en lisant un livre, pleurer en regardant un film, m’énerver sur une maquette ou exploser de joie en achevant un jeu vidéo. Ici, je suis libre. J’agis selon mes envies.
« Même si depuis mon entrée au collège, mes envies virent au noir. »
Je monologue souvent, dans ma chambre. Je me parle à moi-même, et à voix haute. Ça me soulage. Parfois je hurle, parfois je tape les murs, le sol… …ou moi-même. Mais souvent, je range ma chambre en parlant. J’ai l’impression de raconter ma vie aux meubles, ce qui ne sert à rien, mais moi ça me fait du bien.
Je vais mettre de la musique.
« Je ne sais pas pourquoi je n’arrête pas de penser à elle. C’est comme si elle m’avait ensorcelé. Ah, mais je recommence à parler de Julie. Il faut que j’arrive à me la retirer de la tête, une bonne fois pour toutes ! »
Mais je n’y arrive pas. Un an ou presque s’est déroulé depuis que je suis rentré dans ce collège, un an que je l’ai aperçu, un an que je la côtoie sans relâche. Et je n’arrive pas à m’y faire. Les insultes, les coups, les moqueries sur son point, la jalousie de son intelligence, je connais, je sais comment me blinder face à ça. Je sais comment ranger tout ça et l’empiler dans un recoin de ma tête pour oublier, ne serait-ce qu’un temps, la méchanceté du monde.
« Je n’étais pas prêt pour cette nouveauté. Je n’étais pas préparé à me faire assaillir par ces sentiments. Et Lainé et ses trois autres connards qui ne cessent de me harceler. Ils pourraient lui faire du mal, à elle aussi. Je ne le supporterais pas. Je devrais lui dire, la prévenir, mais je la vois de moins en moins. Peut-être qu’elle sait ? Peut-être qu’elle s’est rendue compte ? Peut-être qu’elle s’éloigne sciemment de moi, dans l’espoir de se faire oublier d’eux ? »
C’est une hypothèse. Elle profitera de ces deux mois de vacances estivaux pour sortir de leurs esprits bornés. Alors que moi je me morfondrais avec mes livres, mes jeux vidéos et d’autres conneries. Ah, je ne risque pas de m’ennuyer, si jamais je termine tout ça, je n’ai qu’à claquer des doigts pour en avoir des nouveaux ! Mais je n’aurais tout de même personne avec qui les partager. Personne à qui en parler, à part mon journal intime et mon libraire.
« Parfois, j’ai envie de tout balancer, comme cette manette. Je sais que ça ne sert à rien de la shooter, mais c’est comme un besoin irrépressible de violence. En plus, je suis essoufflé. Rien que de monter les escaliers, et je suis en nage. Je ne vaux vraiment rien. »
Rien du tout. Je ne suis bon qu’à m’allonger sur mon lit et à me morfondre sur mon sort, comme la faible que je suis.
« M’étonnes pas qu’elle ne veuille même pas me voir. Un gros comme moi. »
Et je me frappe le ventre. Ce ventre que je hais, symbole de tout ce que je méprise le plus. Je vois Lainé dans mon obésité, je vois mes parents, je vois madame Pasquin, je vois les moqueries des autres, tout. Et j’extériorise, en me frappant. La douleur me calme. Elle me permet d’avancer, au même titre que les sourires de Julie.
« Mais… »
…je n’ai pas mal. Je ne suis même pas rouge. Mon étonnement surpasse ma hargne, et j’en profite pour me relever et m’examiner dans la glace. Je n’ai rien, aucune trace de mes coups de poing dans l’estomac. J’ai seulement les yeux gonflés par les larmes, et les mains tremblantes. Ce sont les seuls signes que ma crise s’est réellement passée.
Je suis également soulagé.
J’attends quelques secondes que mes mains se calment, puis je vais écrire mon journal. Ensuite, j’irai mieux. Ça fait quelques mois que je l’ai entamé, et je pense que je vais devoir d’ici peu acheter un nouveau cahier. Il me faut juste un stylo…
« Non, pas celui-là. »
Je jette le Montblanc et je prends un simple crayon de papier, abandonné en classe par un élève étourdi. Ce simple crayon a pour moi plus de valeur que le stylo pour riche que mon père m’a offert par la Poste à mon dernier anniversaire. Ce crayon oublié, il a été aimé, au moins, lui. J’ouvre mon journal.
Aujourd’hui était le dernier jour cette fastidieuse année de sixième. J’ai tant bien que mal réussit à éviter Lainé et ses copains, ce qui me permet d’affirmer avec joie que cette journée n’a pas été si néfaste que ça.
Je n’ai pas vu Julie aujourd’hui. Je crois qu’elle m’évite vraiment. Le libraire m’a dit que je devais aller la voir chez elle, mais je ne sais pas où elle habite. Mais il m’a rétorqué que j’étais largement assez intelligent pour ouvrir les pages jaunes. Je vais peut-être le faire, je ne sais pas. Je n’arrête pas de penser à elle.
Tout comme Lainé et sa bande, mais différemment. Ils ne me font pas peur. Mais si je pouvais… Ah… Si je pouvais…


8 Vengeance.
…je leur ferais ravaler leur langue jusqu’à ce qu’ils étouffent.
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Message par Mr.Magnum Dim 14 Aoû - 18:23

2. …-aimé.
1 Découverte.
Assis sur le bord de ma fenêtre, je regarde dans la rue. Je regarde passer les voitures. Je pense qu’il n’existe pas de truc plus ennuyeux que de regarder passer des voitures. Même s’il existe une infinité de classement de couleurs, de marque, de taille, je pense que regarder des voitures qui défilent à longueur de journée dans la rue en bas de chez soi est d’un ennui mortel. Pourtant, je ne devrais pas m’ennuyer, avec tout ce que je possède.
Mais à mon réveil, ce matin, il y a quelques heures de ça, j’ai voulu prendre l’air quelques minutes. La ville où j’habite, où nous habitons devrais-je dire, est encore un endroit calme et peu pollué. La grande ville la plus proche est encore assez éloignée pour éviter de nous envoyer les effluves nauséabonds de la civilisation crasseuse.
Je plains ceux qui sont proches de Paris.
Donc, je me suis levé et j’ai ouvert mes volets. Ensuite, j’ai amené la chaise de mon bureau près de la fenêtre, où s’écoulait un air frais et bienfaisant. Et je me suis assis là. J’ai regardé le ciel, quelques oiseaux sur le toit de nos voisins, puis la route. Et depuis je regarde les voitures passer.
Je n’ai pas envie de jouer, ce matin. Les grandes vacances sont longues et ennuyeuses, pour quelqu’un qui ne s’amuse pas. Un vrai calvaire. Le seul point positif est que je ne suis plus ennuyé par Lainé, Blanchot, Tony et Munoz, car je ne sors que rarement. En contrepartie, je ne vois plus beaucoup le libraire non plus.
Ni Julie.
Je ne l’ai pas revue depuis que l’année scolaire s’est terminée. Un peu normal, en fait : Je ne sais pas où elle habite, et elle ne sait pas où je loge. Peu de chances qu’on se rencontre par hasard. Pourtant, elle a mon numéro de téléphone, celui de ma chambre, donc mon personnel. Je n’ai pas osé lui donner le numéro de chez moi, car je n’avais pas envie qu’elle tombe sur ma mère ivre, un soir.
Et puis, puisque mes parents ont crus bon de me faire une ligne privée, autant en user et en abuser. J’aurais tort de m’en priver.
Je remarque alors un jeune homme au visage marqué. C’est fou comme ce pauvre gars est constellé de bleus, comme s’il avait reçu une grêlée de coups de poings dans la figure. Et soudain, je le reconnais.
« Merde, c’est Lainé ! »
La phrase m’avait échappé. J’ai renversé ma chaise, et le bruit a attiré son attention. Je me planque. Pas envie qu’il sache où se trouve ma maison, ni que je l’ai vu dans cet état. Néanmoins, malgré ma panique, je commence à rire. Et j’aime ça. Je me moque de lui, en cachette, de ces coups qu’il a reçus et qui lui donnent cette mine si patibulaire.
Est-ce que je peux jeter de nouveau un œil, ou bien est-il encore dans le coin, à examiner de près toutes les fenêtres ouvertes d’où pouvaient provenir mon exclamation. Est-ce que je risque, ou bien je reste ainsi, à attendre ? Il me faudrait un miroir, ou quelque chose comme ça, pour voir.
« Est-ce que tu pourrais descendre, quelqu’un voudrait te voir ! »
Ma mère.

2 Cadeau.
Est-ce que c’est Lainé qui m’a vu et qui vient demander une entrevue ? Est-ce que c’est Julie qui a trouvé mon adresse, aussi improbable que ça soit ? Est-ce une bonne nouvelle, une mauvaise ? Ma mère n’a pas l’air d’avoir bu, au son de sa voix. C’est fou comme on peut développer une affinité à deviner si une personne a bu ou non, rien qu’à entendre sa voix, lorsqu’on vit avec une alcoolique.
« Dépêche-toi, c’est une surprise alors remue un peu ton ventre ! »
Toujours le petit mot gentil, ma mère. Je lui lance un regard noir, alors que mon cœur bat la chamade. Elle a la main sur le loquet et elle le maintient fermé. C’est sûrement ce qu’elle appelle la ‘surprise’. Quelle surprise de se faire défoncer la tête par un Lainé en colère. Je ne sais vraiment pas ce qu’elle me réserve.
Elle sourit. Elle semble contente d’elle.
Elle ouvre la porte.
« De la part de ton père ! »
Je sens une trace de mépris dans son exclamation, mais je ne m’en soucie pas plus que ça. C’était courant de l’entendre parler ainsi de mon père. Pourtant, elle continue à arborer son sourire joyeux. Ses yeux sont cernés, elle a encore du vomir une partie de la nuit.
« Qu’est-ce que c’est ?
-Un livreur, tu ne le vois pas ?
-Je parle du carton. »
Je sais que je suis froid, mais elle me prend pour un con. Le livreur nous adresse un sourire gêné, de l’homme qui ne sait plus où se mettre. Devant l'immuabilité de ma mère, je soupire et avance vers le livreur, qui me regarde.
« Y a-t-il quelque chose à signer ?
-Je ne peux pas faire signer les enfants, désolé. »
S’il pouvait savoir lequel était le plus adulte des deux, il ne tendrait pas le stylo à ma mère. Elle s’avance, et c’est seulement maintenant que je remarque son œil droit entouré de peau violacée. Elle a toujours eu des cernes noires sous ses yeux, mais je sais reconnaître un cocard lorsque j’en vois un. Je repense à Lainé.
« Ne me regarde pas comme ça, je me suis réveillé avec ce matin. Je ne sais même pas comment je me suis fait ça. Tenez, monsieur, merci et bonne journée. »
Je me désintéresse rapidement de l’œil au beurre noir de ma mère pour concentrer mon attention sur l’immense carton qu’il vient de déposer dans l’entrée. Une lettre l’accompagne, à mon nom. C’est l’écriture de mon père, non que je l’aie vue souvent, mais je connais sa signature qu’il distribue sur la paperasse importante.
« En quel honneur ? »
Ma mère ne répond pas. Elle est ailleurs. Une de ses absences dont elle me gratifie lorsqu’elle ne veut pas me répondre. Et tout d’un coup, plop, elle est de retour et me lance un regard sévère, comme si j’étais la cause de tous ses problèmes.
« Ton père a eu la brillante idée de te faire un cadeau, et tu en demandes les raisons ? Si tu veux, je peux encore rappeler le livreur pour qu’il récupère cet ordinateur et résilier l’abonnement Internet. »
Ah ben ça.
« Je demandais juste pourquoi. »
Malgré mon ton désinvolte, je suis sincèrement surpris. Mon père. Mon père à moi, qui me fait un cadeau ? Sans raison ? Bizarre.
« Tu me laisses la clef de ta chambre pour qu’ils installent tout ça ?
-Non. »
Hors de question que des inconnus entrent chez moi. Je me débrouillerai. Ce n’est pas comme si je n’avais jamais rien fait moi-même.

3 Rencontre.
Une fois dans la rue, tout s’éclaire progressivement : Ma mère a dû s’engueuler avec mon père, et elle lui a une fois de plus sorti ses quatre vérités. Fou de rage, car elle lui a certainement dit qu’il ne s’occupait pas assez de moi, auquel cas elle ferait mieux de se regarder avant de parler, il a dû me faire parvenir ce cadeau pour se donner bonne conscience. Ceci expliquait également le cocard. Ou quelque chose d’approchant.
Ils marchent ainsi, mes parents. Eux et la plupart des adultes ne font rien sans en tirer bénéfice. Mon père doit se sentir soulager, maintenant que j’ai reçu ce truc. Et même si cela a dû lui coûter les yeux de la tête, ça lui donnera un argument de plus lors de la prochaine confrontation avec ma mère saoule.
Néanmoins, je suis tout de même content d’avoir ce nouvel ordinateur, ainsi qu’une connexion haut débit comme il en existe peu. J’ai monté tout l’appareillage dans ma chambre, seul, et j’ai laissé le soin à ma mère de s’occuper de la mise en service de la ligne. Elle voulait absolument faire quelque chose, sûrement pour compenser cet achat luxueux.
Et moi, en attendant que tout se mette en route, que l’opérateur de téléphone comprenne l’élocution hésitante et fatiguée de ma mère, j’étais allé faire un tour à pied. Peu de chances de croiser Lainé, j’ose espérer qu’il est sagement rentré chez lui et qu’il cache sa vilaine tête boursouflée. Je me demande si son père est violent, lui aussi ? Ça nous ferait au moins un point en commun.
La librairie est en vue.
« Salut toi, déjà fini l’école ?
-L’école est finie, mais je poursuis mes études ici ! »
Toujours la même rengaine, aussi immuable que la vérification du proverbe Après la pluie, le beau temps. Il me regarde à travers ses lunettes rondes de ses yeux pétillants de joie, et jette un coup d’œil à droite du rayonnage Science-fiction/Ésotérisme. Je lui demande, par un regard interloqué, ce qu’il veut dire, mais il se contente de pencher la tête du même coté. Je finis par me décider et jette un œil de moi-même.
Guillaume Dastein est en train de lire un hors série sur la Sorcellerie.

4 Discussion.
Je m’approchais du libraire à pas feutrés, avec la désagréable impression de vouloir être discret chez moi. Je n’avais encore jamais vu Dastein ici, mais manifestement le libraire savait que nous nous étions déjà rencontré.
« Qu’est-ce qu’il fait là ? »
Et moi, pourquoi je parle à voix basse ?
« C’est un client comme un autre, t’en as de bonnes !
-Oui, mais… »
Je ne trouve pas à redire. Il a raison, après tout, la boutique ne m’appartient pas.
Malheureusement.
« …vous savez qu’il est dans la même école que moi ?
-Maintenant, je le sais. »
Il m’a feinté. Je regarde à nouveau à travers les rayonnages : Dastein ne semble même pas s’être aperçu de ma présence. Tant mieux. Je continue à parler à voix basse, sans raison précise. Je préfère.
« Je viens d’avoir un cadeau. De mon père.
-Qu’est-ce qu’il t’a offert ? Un compte en banque en suisse ? Une voiture ? Un building de trente étages ? »
Il n’aime pas mon père, et je sais qu’il se moque de lui. Mais ses blagues ne sont pas aussi dures et incisives que celles des autres, car ils ne l’aiment pas sans le connaître : je lui ai raconté comment se conduit mon père, et il sait de quoi il parle.
« Non, bien sûr que non. Un ordinateur avec une connexion Internet !
-Vrai ?
-Vrai ! »
Il est étonné, ça se voit. Comme moi je l’ai été tout à l’heure. Je pense que, comme moi, il croyait impossible qu’une telle surprise m’arrive sans prévenir, comme ça. Je lui explique mon raisonnement, l’hypothèse de l’embrouille parentale et le cocard de ma mère. J’en profite pour lui raconter également mon petit bonheur matinal lorsque j’ai vu Lainé dans la rue.
« Il était lui aussi amoché ?
-Bien plus que ma mère, oui. On avait l’impression qu’il s’était prit des dizaines de pains dans la figure. »
Une image de moi me frappant l’estomac me traversa l’esprit.
« Ce n’est pourtant pas le genre de Jacques Lainé. D’ordinaire, c’est plutôt lui qui frappe. J’ai son père en tant que client, je le sais parce qu’il paye toujours en chèque. Un homme tout maigre, tout petit et qui a l’air plus inoffensif qu’une coccinelle sur le dos. »
L’image me fit sourire.
« Il ne m’a pas parlé de lui. Remarque, nous n’entretenons pas vraiment de rapports aussi intimes, lui et moi. Pas comme toi !
-Sûr ! »
Nous enchaînons sur Internet et sur l’éventail de possibilité que la Toile m’offre. Le libraire a l’air d’en connaître un bout sur l’informatique, et moi qui suis novice, j’avale tous les renseignements qu’il peut me fournir. Les minutes passent, et je finis par m’apercevoir qu’il est bientôt l’heure de déjeuner.
« Ouaip, il est midi dans un petit quart d’heure. Tu penses que ta mère aura terminé de régler tous les détails ?
-J’espère. Au revoir, m’sieur l’libraire !
-Hey ! Dernière chose, bonhomme ! Il va falloir que tu ailles voir ta copine pour lui demander son adresse Internet, si elle en a une ! »
Mon cœur bondit dans ma poitrine. Julie. Cette histoire me l’avait presque fait oublier. Je me mets déjà à imaginer les discussions enflammées via des emails, peut-être des confidences. Je rêve, j’utopise.
« Allez, on se réveille, rentre chez toi, et tiens-moi au courant !
-Aucun problème ! Vous avez Internet, vous ?
-Non. Trop cher et pas assez pratique. J’ai été obligé d’ouvrir une boîte email pour le travail, mais je ne m’en sers que dans des cybercafés.
-Oh. Dommage.
-Allez file. »
Il m’adresse un clin d’œil, et je fais de même. Au moment de sortir de la librairie, une voix dans mon dos me stoppe net. Je la connais sans deviner de qui elle provient.
« Alors tu as le Net, toi aussi ? »
J’avais complètement oublié que Guillaume Dastein avait été là, dans la librairie.
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5 Seconde discussion.
« Tu sais qu’il est comme ça depuis le début des vacances ? »
Je ne comprends pas de quoi il parle exactement. Nous marchons maintenant depuis quelques minutes, en direction de chez moi, et il n’a rien dit d’autre que son interpellation à la sortie de la librairie.
« Lainé. »
Je saisi, grâce à cet ajout, immédiatement.
« Jacques Lainé ?
-Qui d’autre ?
-Tu le connais ? »
Son silence semble me répondre oui. Quand j’y pense, c’est curieux qu’un mec comme Guillaume Dastein, de deux classes supérieures à nous, ai remarqué Lainé et moi. Il m’a peut-être simplement vu durant les intercours, tout simplement. Il ne connaît pas mon nom, il ne l’a pas dit. Mais moi je connais le sien.
« Tu veux dire qu’il s’est fait tabasser au début des vacances ?
-Je l’ai croisé le tout premier jour des vacances, et il avait déjà cette tête défoncée. En pire. Là, ça a déjà cicatrisé, en deux semaines. »
Guillaume Dastein sort un paquet de cigarettes de sa poche et s’en met une en bouche. Il me tend le paquet et hausse un sourcil. Je secoue énergiquement la tête.
« Comme tu veux. »
Il allume sa clope d’un geste détaché, en faisant apparaître une allumette déjà enflammée dans sa main. Je le regarde tirer quelques bouffées, puis j’en profite pour grignoter quelques biscuits que j’ai en poche. Je lui en sors un et lui propose.
« Sans façon, je nourris mon cancer pour le moment. »
Il esquisse un sourire et je fais de même. Je n’ose pas lui parler, alors que lui semble tellement à l’aise avec moi. Avec tout le monde, en fait. Il m’a abordé comme ça, sans chichis, alors que nous ne nous sommes encore jamais adressé un mot, et nous voilà en train de marcher côte à côte.
Je me décide, tout de même, à relancer la conversation sur un ton qui se veut détaché.
« Tu connais Lainé, tu traînes avec lui ? »
Le silence qui suit ma question me semble interminable, mais Dastein finit par répondre.
« Non, mais je le croise de temps en temps, le matin. C’est surtout sa réputation qui est connue, dans les autres classes. Il parait qu’il a déjà foutue une raclée à un lycéen, et peu de personnes osent se frotter à lui, aussi jeune soit-il.
-Il ne te t’embête pas, toi ?
-Non.
-Tu as de la chance. »
Je boulotte mon dernier gâteau et je le regarde du coin de l’œil. Il a toujours son masque froid, même si lorsqu’il a sourit tout à l’heure j’ai pu entrapercevoir un autre visage de Dastein. Un visage plus aimable qu’il ne le laisse paraître, plus intéressé par ce qui l’entoure que son habituel faciès impassible. Je l’admire d’autant plus.
« Donc, tu as le Net ?
-Mon père m’a offert ça ce matin, oui. Mais je n’y connais pas grand-chose. Mais comme c’est les vacances, je vais pouvoir en profiter à plein temps, surtout que c’est un accès illimité qu’il m’a choisit.
-Tu as de la chance. »
Il m’adresse un clin d’œil et presse le pas. Je reste un instant, songeur, à me repasser ce clin d’œil. C’était un clin d’œil amical. Un vrai clin d’œil amical. Deuxième surprise de la journée. Peut-être plus grande que le cadeau de mon père.
Les vacances commencent bien.

6 Ami ?
De retour chez moi, j’aperçois le petit mot que m’a laissé ma mère sur le pas de ma porte de chambre, fermée à clef. Son écriture tremblote, elle a fait nombre de ratures et de fautes, mais c’est bien son écriture de quand elle est sobre. Lorsqu’elle a bu, il ne reste qu’un fouillis de traits sans possibilités de déchiffrage.
LIGNE OUVERTE A PARTIR DE DEMAINS TU PEUT BRANCHER LA PRISE SUR TA LIGNE DE TELEPHONNE ORDINAIRE JE T’AI MIT UNE MULTI-PRISE POUR L’ELETCRICITE SI TU A BESOIN ATTEND-MOI SE SOIR.
Pas de signature, mais les fautes sont reconnaissables entre mille. Bon, je ne pourrais pas surfer sur le Web ce soir, pas encore. Mais il me reste mon ordinateur à brancher et à configurer, ça va me prendre du temps.
La petite balade avec Dastein a été très intéressante, et au-delà du garçon solitaire et indépendant que j’admirais, j’ai découvert un homme passionné par l’information et la communication : il adore lire, il adore se documenter sur énormément de sujets, aussi variés que la politique, les sciences occultes ou les arts, et il a Internet et s’est proposé de m’initier.
Il m’a parlé de beaucoup de choses que je pouvais faire sur la toile, comme les moteur de recherches, les sites sur diverses bandes dessinées ou des mangas que je suis, des logiciels de lecture de musiques ou de vidéo, d’autres de conversation instantané… Il m’a dit des mots que j’ai dû me faire expliquer, comme MSN Messenger, comme blogs, comme Mozilla, comme WinAmp, comme Antivirus, comme Skype, et de nombreux autres.
Je n’ai pas tout saisi, et encore maintenant je me demande si je vais réussir à m’en sortir. Mais il me reste plus d’un mois et demi pour comprendre les mécanismes de fonctionnement d’Internet, et je ne suis pas du genre à abandonner. Il m’a demandé d’enregistrer son adresse dans ma boîte email, dès que j’aurais Internet et que j’aurais ouvert la mienne.
Je ferai ça demain.
Je referme la porte derrière moi et commence à brancher mon nouvel ordinateur sans suivre de mode d’emploi. Je connais le fonctionnement d’un ordinateur. Je connais la plupart des branchements, des prises USB et autres ports LPT1. Mon père n’a pas lésiné sur la dépense, et il m’a donné du haut de gamme, selon ce que j’ai pu lire dans quelques magazines à la librairie. J’espère que je n’aurais pas de problèmes d’ordre technique.
Dès que tout est branché, je le mets en route. Il prend beaucoup de place sur mon bureau, et nombre de mes affaires se sont retrouvées entassées sur la moquette. Mais ce n’est pas grave, je verrai ça plus tard, quitte à demander un autre bureau à ma chère mère, une fois que sa gueule de bois matinale sera cuvée.
Bon. Bonne nouvelle, tout se met en route tout seul, donc il n’y a pas de problèmes de compatibilité entre composants. Il ne me reste qu’à en faire mon pc. Je change le fond d’écran, j’ajoute quelques icônes sur le bureau, mais je ne vais pas loin. Il est vide. La capacité de stockage dépasse les 100 Gigas, mais je n’ai rien à mettre dedans. Mais je ne m’en fais pas : Demain j’aurai le Net.
Je crée mon tout premier dossier dans Mes Documents. Je le nomme Textes. Je vais d’ici peu le remplir en recopiant tout mes poèmes et autres idées de textes que j’ai annoté ça et là sur des feuilles volantes ou mes cahiers de cours. En attendant, j’ai déjà une idée en tête, pour mon premier document.
Je lance Word et tape sur la feuille vierge…

7 Journal.
Aujourd’hui, je débute mon premier journal sur cet ordinateur flambant neuf. Mon père a dû se disputer avec ma mère, et pour se faire pardonner de l’avoir frappé (elle porte un œil au beurre noir) et aussi pour se donner bonne conscience, il m’a acheter ça. Je copierai demain les spécificités complètes de l’appareil, pour me rappeler dans des années combien cet ordinateur était antique.
J’ai vu Jacques Lainé à ma fenêtre ce matin. Il s’est fait ruer de coups dès le déb

La même image me retraverse l’esprit : Moi en train de me frapper l’estomac une fois rentré de l’école. Cette image fugace, associé à une bouffée de chaleur et une envie de violence, me vient en tête dès que je pense à Lainé. Je me demande s’il y a un rapport.
ut des vacances, et il a une tête immonde. Tant mieux, je ne suis pas un de ceux qui vont le plaindre. J’ai été surpris, à la librairie, car j’y ai vu pour la première fois Guillaume Dastein (voir journal écrit) et
Peut-être que je vais le recopier, mon ancien journal ? Je verrai ça après.
nous sommes rentrés ensemble. Il fume. Je trouve ça dommage, mais en même temps ça lui ressemble étrangement. Nous avons discuté d’Internet et d’une multitude d’autres choses. Il m’a donné son adresse email, pour que je puisse correspondre avec lui. Il m’a dit qu’il m’aiderait pour comprendre Internet.
En attendant, ma connexion devrait arriver demain. J’attends ça avec impatience.

Je me relis trois fois, et active le correcteur d’orthographe qui ne trouve aucune faute. Je souris. Je ne fais jamais de fautes, ou presque. J’enregistre le document et j’éteins l’appareil qui s’arrête dans un soupir de ventilateurs.
Je souris en pensant aux choses merveilleuses que je vais pouvoir faire.
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Message par Mr.Magnum Jeu 25 Aoû - 22:29

3. …léable.
1 Rentrée.
Ce matin, je rentre en cinquième. Je suis prêt depuis une heure maintenant, et j’attends le moment du départ en regardant par la fenêtre la ville qui s’éveille lentement. Que ces vacances sont passées vites. Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer, cette année. Grâce à mon père et à son cadeau. Pour une fois qu’une dispute entre lui et ma mère sert à quelque chose.
Cet ordinateur est un vrai don des Dieux.
Je remplis mes poumons d’air frais matinal et j’entends derrière moi la sonnerie caractéristique de MSN Messenger. Je souris. C’est certainement Dastein qui veut me dire quelque chose. Je n’ai pas de mérite à deviner : je n’ai que trois contacts sur MSN : Lui, un de ses amis avec qui nous avions eu une conversation multiple, et mon père. Mon père ne se connecte jamais, et l’ami de Dastein rarement.
Je referme ma fenêtre et me dirige vers mon ordinateur. J’ai complètement changé la configuration de ma chambre, avec l’arrivée de cet appareil envahissant : un autre bureau plus petit a fait son entrée dans mon antre, et c’est maintenant là mon lieu de travail. Mon précédent ne sert plus qu’à mon ordinateur, car il est plus résistant et plus large.
Je m’installe donc à mon ancien bureau et bouge la souris pour désactiver l’écran de veille. Le fond d’écran apparaît, splendide représentation d’une galaxie. Il y a encore peu d’icônes sur mon bureau. Quelques raccourcis ici et là, mais rien de précis. Ceux dont je me sers le plus sont Internet Explorer, le Poste de Travail et Word. Les autres sont plus rarement actionnés. Je clique sur la fenêtre MSN Messenger qui clignote.
Le message de Dastein est là, rouge écarlate.
« Alors ce matin c’est la rentrée ?
-Tout a fait.
-Pas trop peur ? Tu penses retrouver Lainé et les autres ?
-Normalement, ils seront tous là. J’espère que certains auront redoublés. Mais quoi qu’il en soit, j’irai. Celui qui ne progresse pas chaque jour recule chaque jour.
-Encore une citation
-?
-Confucius.
-Le jour où tu cesseras de citer, toi… ^^
-Tu reprends dans combien de temps ?
-Je pense, donc je cite !
-Je vais partir dans une vingtaine de minutes, le temps de faire le trajet.
-Et toi ?
-Moi, je reprends demain. J’ai une journée de délai par rapport à d’autres.
-J’aurais une journée de connaissance en plus que toi, voilà tout !
-Tu es risible. ^^
-Et toi jaloux. »
Avec le temps, je suis devenu plus proche de Dastein. Nous ne nous voyons pas énormément, mais nous discutons souvent sur MSN. Nous échangeons nos opinions, nous parlons de tout et de rien. Mais lorsque j’ai des problèmes, il vient toujours m’aider. Je pense que je peux le considérer comme…
…un ami.
« Guiullaume ? Est-ce que tu as l’impression que j’ai changé ?
-Accroche encore une fois mon prénom, et ton visage va changer de forme, ouais.
-Sérieusement. »
Il y a un instant d’hésitation entre l’envoi de ma phrase et le commencement d’écriture de sa réponse. Je sens qu’il réfléchit. Ma question sérieuse ne l’est qu’à demi, mais je ne veux pas changer. Je ne veux pas qu’on me change, voilà qui est plus exact. Je ne veux modifier mon train de vie que lorsque je le décide, moi et pas un autre.
Et j’ai peur que mon père ait décidé pour moi, cette fois-ci.
« Je ne trouve pas que tu as changé… »
C’est la réponse que j’attendais. Mais c’est le genre de tournure qui exige un ‘mais’ à suivre, dans 95% des cas.
« …mais ?
-mais tu te débrouilles de mieux en mieux pour Internet. Tu fais en un mois et demi d’Internet ce que je n’ai pas fait en un an. C’est impressionnant. »
Je sens gonfler en moi une boule de fierté. Je rougis, même. Et au fond de moi, je suis heureux : Je n’ai pas changé.

2 Internet.
J’ai effectivement bien évolué sur la toile, depuis que j’ai acquis et découvert le Net, il y a maintenant deux mois. Deux mois déjà que mon père m’a offert ce fabuleux cadeau, cet outil de communication aussi moderne qu’utile. Cet ordinateur, quel que soit l’objectif initial, est devenu pour moi une véritable merveille.
Je ne cesse d’apprendre avec lui. Que ce soit sur Google où, en commençant une recherche simple sur un manga ou un jeu, je me retrouve à naviguer pendant des heures sur des sites qui n’ont plus rien à voir avec la base de recherche, mais qui sont aussi intéressant, sinon plus, que le sujet d’origine.
Je tape de plus en plus vite au clavier, et je n’ai plus beaucoup de problèmes ces derniers temps. Quelques soucis mineurs, un virus ici ou là, mais rien de très grave. Je réussis à me sortir de la plupart des problèmes seuls, maintenant.
J’ai commencé à m’intéresser à certaines communautés, certains forums qu’il y a sur le Net. Entre autres certains forums de jeux vidéo, où énormément de gens postent leurs avis ou leurs astuces sur tel ou tel jeu. C’est très appréciable de trouver une aide, lorsqu’on est bloqué dans un jeu, face à un ennemi récalcitrant, ou une énigme un peu trop ardue.
J’ai employé un pseudo que j’utilise dans nombre des endroits où je poste. C’est également mon pseudo Msn, mais pas mon adresse. J’ai préféré mettre mon nom.
Mon pseudo est Fear.

3 Amaigrissement.
« Eh bien, de plus en plus beau, toi ! »
Je me sens rougir. Je n’aime pas qu’on me fasse des compliments face à face, car je rougis rapidement. Et je n’aime pas rougir en public.
Pourtant, il a raison. J’ai maigri. Pas énormément, mais suffisamment pour que ça se remarque, et que je me sente mieux. Je me sens mieux vis-à-vis de moi-même, et vis-à-vis des autres, en fait.
« N’exagérez pas, non plus. Je ne suis pas devenu Brad Pitt rien qu’en perdant un peu !
-Non, mais tu t’en rapproche ! »
Je pense que c’est dû à l’absence de stress. Tout se passe bien mieux depuis quelques temps, à la maison et au collège. Ma mère semble avoir abandonné, du moins pour un temps, ses excès de boisson. Mais une rechute est toujours possible.
Et je ne crois pas aux miracles.
« Alors, avec ta Julie, ça continue ?
-Je pense que oui, bien que j’en sois toujours au même point.
-Je t’ai déjà dit de…
-J’ai son adresse email ! Elle me l’a donné aujourd’hui ! »
Il me jauge. Il veut deviner si je mens ou non. Mais c’est pourtant vrai, je lui en ai parlé pendant le cours de Géographie, cet après-midi. Elle voulait que je lui recopie une partie du cours, et je lui ai dit que j’allais le faire ce soir. C’est ensuite, qu’elle m’a demandé si j’avais le Net, et que je lui ai donné mon adresse.
« Vrai ?
-Trois sortes de gens disent la vérité : Les sots, les enfants et les ivrognes.
-Je ne sais pas si tu bois, ou si tu es sot ?
-J’ai son adresse email. »
Il vit que j’étais sérieux. Il sourit et se pencha pour me taper sur l’épaule.
« Bien ! Reste plus qu’à perdre ces quelques kilos qui te gênent, et tu pourras l’avoir dans ta poche, ta copine ! »
Et il m’adresse son fidèle clin d’œil.

4 Conciliation ?
Ces derniers temps, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que Sébastien Munoz vient de temps en temps me demander de l’aide. Il était un peu réticent, au début, mais maintenant il vient me voir régulièrement s’il ne comprend pas certains exercices.
C’est un bon début, je pense. Lorsque Munoz est seul à discuter avec moi, et que ses amis ne sont pas dans le coin, il arrive à me traiter sur un pied d’égalité. Ce qui fait leur force, c’est leur nombre. Mais même s’il sait qu’il pourrait me rouer de coups séance tenante si l’envie lui en prenait, il ne le faisait pas.
Parce que Lainé n’était pas là, et qu’il n’y avait pas de gloire à péter la gueule à un gros si personne n’était là pour rire avec lui. Alors il parlait plus aimablement. Pas gentiment, non, je ne dirais pas ça. Mais il ne ponctuait pas chaque phrase avec un rire bête ou une gifle. Et il lui était même arrivé de me dire merci, une fois.
Ce matin encore, il est venu me voir.
« Je peux te parler, deux minutes ?
-Bien sûr… »
Nous sommes allés dans le couloir, là où personne ne pouvait trop nous remarquer, et nous avons discuté des cours de Biologie qu’on venait d’avoir. Je lui ai expliqué divers point, et il est repartit, tout fier d’avoir su comprendre.
Je pense que c n’est pas un si mauvais garçon qu’il veut bien le laisser croire. Mais l’influence de Lainé est forte, et je ne pense pas qu’il soit au courant de ces petites visites secrètes. En attendant, cela m’assure une certaine immunité.
Depuis que je lui assure un léger soutient scolaire, les mauvaises blagues à mon encontre se sont calmées. Le seul coups de poing que j’ai reçu de Lainé était en octobre, il y a maintenant plus de deux mois. Les vacances de Noël approchent, et les menaces s’estompent.
Une sorte de traité de paix tacite semble avoir été signé.
J’en parlais encore hier soir avec Dastein.
« Munoz ? C’est vrai ? Celui de la bande à Lainé ?
-Assurément.
-Méfie-toi quand même que ça ne soit pas un coup fourré.
-Je ne pense pas. Je ne pense pas que Lainé soit au courant, même. Ni les autres membres de son escouade.
-Je reste sceptique.
-En tout cas, j’évite les ennuis depuis que je l’aide : Je suis au calme.
-Le calme avant la tempête. »
En sortant du couloir, juste après avoir prodigué mes conseils à Munoz, ce fut Tony qui vint me rendre une visite.

5 Crises.
Mes crises de violences se sont également calmées. Je n’ai plus tout ces accès de folies qui me prenaient, parfois, alors que j’étais rentré de l’école. Parfois, il m’arrivait d’en subir jusqu’à deux ou trois par semaine, dans mes mauvais jours. Dès qu’une chose me contrariait, et que je prenais sur moi, je devais extérioriser de cette façon.
Ce n’est pas une solution, en soit, mais c’était le seul moyen efficace que j’avais trouvé pour ne pas être submergé par ma propre colère à un moment où à un autre. Me frapper le ventre, mon complexe le plus visible, l’emblème de tout mes malheur, devenait pour moi une nécessité. Souvent, j’étais quelques jours à souffrir rien quand marchant, comme si j’avais fait plusieurs séries d’abdominaux sans échauffements la veille.
Depuis quelques temps, mes crises ont changés de formes. D’un coté parce que lorsque je m’inflige cette punition corporelle, je ne ressens plus aucune douleur. Le soulagement de violence est toujours là, mais je n’ai plus mal. Je ne sais pas pourquoi, ni comment cela est possible, mais c’est pourtant bel et bien le cas : La douleur devient peu à peu inconnue pour moi. Je dis peu à peu, parce qu’il m’arrive de me faire mal par maladresse, ou sans que je m’y attende. Peut-être que je peux arriver à dominer la douleur, par l’esprit ?
D’un autre coté, j’arrive à décompresser d’une autre façon. En écrivant. J’avais déjà essayé cette méthode, mais le crayon devenait rapidement inutilisable. J’appuyai trop fort, la mine cassait, ce que j’écrivais était illisible… J’avais abandonné cette pratique. Mais l’arrivée de l’ordinateur m’a permis de reprendre. J’arrive de mieux en mieux à extérioriser avec un simple fichier Word. De ce fait, mes crises de brutalité pures diminuent.
La dernière crise remonte au mois de décembre, après un cours de sport particulièrement humiliant, où le professeur m’avait obligé à réussir un exercice pendant plus d’une heure. Il s’agissait de faire une aller et retour, bras tendus, sur des barre parallèles. À la seule force des bras. Moi qui n’arrivais même pas à tenir plus de quinze secondes en suspension, immobile. Il avait interrompu le cours et avait concentré son attention sur moi durant plus d’une heure, sous l’œil moqueur de mes camarades de classe.
En rentrant dans le vestiaire, j’ai bifurqué et je suis allé dans les toilettes, où j’ai subit une crise d’une dizaines de minutes. Mes bras me faisaient mal, plus encore que mon ventre, à cause de l’exercice précédent, mais je me suis frappé tout de même. Ce fut ma dernière vraie crise de violence, jusqu’à aujourd’hui, début février.
J’ai appris récemment que le professeur d’éducation physique et sportive n’avait pas pris de vacances prolongées, depuis fin décembre, et qu’il s’était fait attaqué dans le gymnase, peu après ce cours humiliant.
Il est encore à l’hôpital, selon Guillaume.
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Message par Mr.Magnum Jeu 25 Aoû - 22:30

6 Journal.
Cher Journal,
Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais commencé par écrire ces mots, certainement pour faire autrement que les autres. Je remarque que je le débute souvent par le mot ‘Aujourd’hui’. Certainement parce que j’y raconte mes journée, les unes après les autres, depuis maintenant plus d’un an. Je n’ai pas compté le nombre de jours retracés dans ces pages, surtout que je n’ai toujours pas pris le temps de recopier mes cahiers griffonnés au crayon.
Je dois avoir plus de 500 jours expliqués, depuis mon entrée en sixième, quasiment. Et en cinq cents jours, que de changements.

Le bonheur naît du malheur, et le malheur est caché au sein du bonheur, disait Lao-Tseu. Et, comme la plupart des proverbes et des citations que je connais par cœur, il se révèle vrai après l’avoir vécu. Cette année est la première année où tout semble aller pour moi, où tout semble s’arranger un tant soit peu dans ma vie.
Je considère Guillaume Dastein comme un véritable ami, dorénavant. Julie Ulm également. Ce sont tout deux des personnes qui comptent énormément pour moi, et j’espère que la réciproque est également véridique. Avec eux, mais d’une manière différente, je partage des choses, je ris, j’apprends. Je suis bien.
J’ai appris, notamment, à être sociable.
Internet m’a décomplexé. J’ai enfin réussi à vaincre cette timidité maladive dont je faisais preuve à l’égard des autres. Pas totalement, mais mes inhibitions sont tout de même moindres qu’avant. Le stress quotidien qu’était devenu ma vie s’est mué en un curieux bien-être. J’ai l’impression d’être au-delà de mes anciennes peurs, et je ne sais pas exactement d’où cela vient, mais le résultat est formidable.
Je ne sais pas qui remercier, mais je le bénis.
Seulement, le proverbe de Lao-Tseu cité plus haut est à double tranchant. Mon bonheur actuel est né de mon malheur passé. Mais maintenant que tout va bien, vais-je tomber sur le malheur, caché au sein du bonheur ?
J’espère que non.





4. … dans son cœur.
1 Anniversaire.
Dans quelques jours, je ferai une fête pour mon anniversaire.
J’ai l’impression que cette année sera une année charnière pour moi. Tout semble s’arranger, petit à petit. Mon obésité perd peu à peu du terrain, bien que je ne fasse pas plus de sport que d’ordinaire. Mais peut-être est-ce parce que je suis moins nerveux ? Je l’ignore, mais ça me convient.
Dans quelques jours, je fêterai mon treizième anniversaire.
Les gens s’intéressent plus à moi, de ce fait. Et la bande à Lainé ne m’ennuie plus autant qu’avant. Munoz et Tony continuent à venir me voir de temps à autre, et Blanchot s’est joint à eux. Lainé, lui, reste toujours en retrait, certainement par fierté. Mais je soupçonne que certaines des demandes d’aide viennent de lui. Mes conseils doivent indubitablement profiter à plus de personnes que je ne le crois.
Dans quelques jours, je fêterai mon anniversaire.
Les relations semblent s’être également adoucie avec Julie, qui revient me voir. Elle n’a certainement pas eu de menaces aussi directes et violentes que moi, mais je pense qu’elle a dû sentir les tensions de l’époque. Nous n’avons jamais été aussi proches qu’actuellement. Nous correspondons toujours via Internet, ce qui a grandement facilité les échanges.
Dans quelques jours, il y aura une fête.
Je vois également nombre de fois Guillaume en dehors de l’école. Dès lors que j’ai un léger problème technique avec mon ordinateur, il passe et répare le souci sans difficultés. J’ai l’impression que je n’aurais jamais fini d’apprendre avec lui. J’ai beau examiner et apprendre le moindre de ses faits et gestes, mais il survient toujours une complication plus délicate et je dois faire appel à lui.
Dans quelques jours…
Je vois un peu moins mon libraire, parce que je passe de plus en plus de temps sur le net. Mais je passe toujours le voir dès que je le peux. Il se plaint de ne plus être mon meilleur ami, mais je vois bien qu’il est content pour moi. Il ne cesse de me féliciter pour ma socialisation. Mais je ne l’oublie pas, je ne l’oublierai jamais.
…je ferai une fête…
Comme tout est pour le mieux, j’ai décidé de faire une fête, cette année, pour mon anniversaire. Ça sera ma première fête sérieuse depuis des années. Depuis toujours, en fait. Je n’ai jamais fêté d’anniversaire avec des amis, tout simplement parce que je n’en avais pas. Mais cette années, cette année charnière, cela va changer. J’ai invité Guillaume, Julie, mon libraire, et même Tony, Munoz et Blanchot. Faire la paix serait mon plus beau cadeau…
…d’anniversaire.

2 Coup de téléphone.
À peine ma porte refermée, j’entends le téléphone qui sonne dans ma chambre. Je me précipite et monte les deux escaliers avant d’ouvrir en tremblant ma porte. Troisième sonnerie. J’ai réglé mon appareil sur cinq sonneries avant que le répondeur automatique ne se mette en route. J’arrive enfin à ouvrir la porte.
Quatrième sonnerie.
Je lâche mes clefs et cours arracher le combiné. Personne d’autre ne peut m’appeler dans ma chambre, à part mes parents, Guillaume Dastein et Julie.
« Allô ? »
Je reconnais immédiatement la voix de Julie.
« Oui ?
-Excuse-moi, je te dérange ? »
Sûrement à cause de mes halètements. J’espère qu’elle ne s’imagine pas que j’étais en train de m’adonner à une pratique solitaire.
« Non non, je viens de rentrer, c’est tout. Je suis essoufflé parce que j’ai couru pour monter les marches.
-Ah. »
Je sens de la pitié dans sa voix. Rien que dans ce seul mot, j’entends tous les ‘Je suis désolé de t’avoir fait faire des efforts.’ ou ‘Je sais que ça doit être pénible de te mouvoir avec toute cette graisse…’. Je n’y peux rien, c’est comme ça.
Je ne lui en veux pas.
« Je t’appelle pour savoir si tu veux bien passer chez moi, ce soir ? »
Tout semble s’arrêter. Je n’ai pas pu avoir entendu ce qu’elle vient de dire, c’est impossible. Elle n’a pas pu dire ça. Elle n’est jamais venue chez moi, ni moi chez elle. Je sais où se trouve sa maison, mais rien de plus.
J’ai soudainement chaud.
« Allô ?
-Oui, p… pardon, je… J’étais en train de réfléchir à ce que j’ai à faire ce soir.
-J’aimerai vraiment que tu viennes. Mes parents ne sont pas là et… …nous serons plus tranquilles. Seuls. »
Je transpire, cette fois-ci. J’ai chaud, et pas seulement à cause de ma course, mais aussi par les sous-entendus que m’assène Julie. Je ne sais plus où je suis, ni quoi faire. Est-ce sérieux ? Est-ce pour se moquer de moi ? Je regarde mon ventre, qui a fondu mais qui est toujours présent.
« D’accord. »
Est-ce moi qui ai répondu ?
« Tu veux bien ? Super ! Alors je t’attends, à tout à l’heure !
-Attends !
-Quoi ?
-Pour demain après-midi, c’est toujours d’accord ? »
Il lui faut du temps pour se rappeler. Je vais lui donner un indice.
« Ma fête ?
-Ah oui ! Oui, bien entendu ! Je… Aucun problème. À tout de suite ! »
Elle raccroche. Elle paraissait sincèrement heureuse.

3 Confidences et conseils.
« Guillaume ? Tu es vraiment absent ou est-ce encore un leurre ? »
J’attends la réponse en tapotant frénétiquement le bureau de mes doigts. Ma jambe gauche remue également à un rythme imaginaire, et je me ronge la peau des doigts nerveusement. Je sens mon cœur battre la chamade alors que Dastein écrit sa réponse, à quelques kilomètres de moi.
« Je suis là.
-Julie vient de m’appeler. Elle veut que je vienne chez elle.
-Ah. C’est une bonne chose, non ? ^^ »
Je réfléchis.
« Je ne sais pas.
-Est-ce qu’elle s’est déjà moqué de toi ? »
Il est clair que non. Je n’ai même pas le souvenir qu’elle m’ait regardé de travers.
« Non…
-Alors qu’est-ce que tu fiches encore ici à me parlé !
-parler*
-Fonce la voir !
-Je me change et j’y vais.
-^^ »
Il a raison, après tout. Elle a toujours été correcte avec moi, et elle semblait sincère au téléphone. Après tout, pourquoi pas ? Peut-être qu’elle souhaite vraiment autre chose qu’une amitié entre nous ?
Comme moi ?
« Guillaume ?
-Quoi ?
-Tu n’as pas oublié pour demain, hein ?
-Je n’ai pas oublié. ^^ »

4 Conditionnement.
Le soleil est encore haut lorsque je ressors de chez moi. Personne ne m’a vu, ni entrer, ni sortir. Je pense que même les servantes n’ont pas remarqué mon manège. Après tout, je pense être rentré pour le dîner, et si ce n’est pas le cas, qui s’en souciera ? Ma mère ? Laissez-moi rire. Je ne suis même pas sûr qu’elle soit consciente, en ce moment.
Ces derniers mois, elle semble encore plus éloignée que d’ordinaire. Je crois que la boisson est devenu chez elle une obligation, plus qu’un plaisir. Il ne se passe pas une seule soirée sans que la bouteille de Gin ne se vide, parfois entièrement, parfois moins.
Je l’entends remonter, de temps en temps, dans la nuit. Je l’entends tituber, trébucher, pester à voix haute en ignorant l’heure tardive et moi, son fils, qui dort. Je l’ai même entendu vomir dans le couloir, une fois. Je n’ai pas redormi de la nuit, et à mon réveil, le tapis avait disparu, et ma mère n’avait daigné sortir de sa chambre que le soir venu, la tête enrubannée dans une serviette et les yeux pochés.
Je chasse ses souvenirs aussi confus qu’inutiles de mon esprit, et je mon concentre sur le présent. Le présent, et l’avenir. Mon cœur s’embrase lorsque je pense à ce que nous allons faire, seuls chez elle. Bien sûr, des pensées excitantes me traversent l’esprit. Après tout, je suis un garçon, pas encore un homme, mais tout ça commence à me titiller. La puberté fait peu à peu son office, et Julie fait également son effet.
Je me force à me calmer.
Il n’y a rien de tout ça dans ce dont elle a parlé. Rien. Elle veut juste me voir pour des conseils, comme d’habitude. Pour qu’on parle du cours d’histoire de ce matin, ou de l’exercice de Mathématiques qu’elle n’a pas réussi à résoudre.
Ou pour autre chose.
Non, pas pour autre chose. Elle n’avait pas ça en tête lorsqu’elle a appelé. Je suis persuadé qu’elle ne pensait pas à ça.
Elle t’attendra comme sur les photos piochées sur Internet.
N’importe quoi, je…
Même position…
Je… … je ne…
Même tenue.
Je suis devant chez elle.
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Message par Mr.Magnum Jeu 25 Aoû - 22:32

5 Envolée lyrique.
« Tu as fait vite ! »
Elle est resplendissante. Elle s’est changée depuis les cours : Elle portait là-bas un jean crème avec un haut bleu clair qui laissait entrapercevoir ses formes naissantes. Je me souviens même avoir vu, un instant fugace, une bretelle de son soutient gorge.
Blanc. Il était blanc.
Elle porte maintenant une jupe noire relativement courte, qui laisse ses jambes découverte à la limite de la décence, et un top rose moulant, sans soutient gorge. Non qu’elle en ait réellement besoin. Elle a également troqué ses baskets pour une paire d’escarpins vernis bleu marine. Je pourrais la regarder indéfiniment.
« Je suis parti dès que tu as raccroché.
-Allez, entrons pendant que mes parents ne sont pas là. Ils ne rentreront que sur les coups de sept heures, je pense.
-Ça nous laisse deux heures. »
Je ne suis presque plus capable de penser. Elle me prends la main et me traîne jusqu’à la porte d’entrée. Mais je remarque juste un détail, et j’arrive tant bien que mal à exprimer mon trouble, sans bafouiller.
« Les vélos, là, ils sont à qui ? »
J’ai dû toucher un point sensible, car elle s’immobilise à l’entrée, dos à moi. Nous restons quelques secondes ici. Je me demande si j’ai bien fait de poser la question. Elle finit par se retourner et m’offre son plus joli sourire.
« Ce sont les vélos de mes frères. Mais ils sont partis avec mes parents, également.
-Ah. »
Je trouve que les vélos sont un peu grands, et je ne me rappelle pas qu’elle m’ait un jour parlé de ses frères, mais je n’en dis rien. Je ne veux pas gâcher cet instant privilégié avec des questions aussi inutiles.
Je la suis jusqu’à sa chambre. Sa maison est très claire, tout comme elle. Blanche, pure, et terriblement désirable. Je prends réellement conscience de mon attirance pour elle, alors qu’elle grimpe les escaliers devant moi. Je vois ses jambes, sa jupe qui n’ose pas remonter trop haut pour me priver de mon imagination. Je vois tout, sans tout voir.
J’imagine. Je suis aux anges.
Elle se retourne juste avant d’entrer dans sa chambre et me lance un regard à faire fondre un iceberg. Je la désire vraiment. Si elle pense à ce que je pense, je n’aurais même pas à attendre mes treize ans pour découvrir les joies du sexe. Même si ça n’ira certainement pas plus loin que des caresses et autres baisés enflammés.
Je lis sur son visage qu’elle me réserve une surprise.
Elle ouvre la porte.
Et la main de Tony se referme sur mon bras.

6 Désenchantement.
En un rien de temps, tout bascule. Je me retrouve à terre, aux pieds de Jacques Lainé, qui se pavane sur le lit. Tout se bouscule. J’entends les rires de Tony, de Munoz, de Blanchot – son rire de bovin attardé – et évidemment de Lainé. Un cinquième rire également. Je l’entends, mais je ne veux pas l’entendre. Mais c’est inéluctable.
Julie, riant aux éclats, s’assieds auprès de Lainé, qui l’entoure de son bras.
Cette vision me fait plus mal encore que le coup de pied que m’assène Tony alors que j’essaye de me relever.
« Reste à terre, le gros. »
J’entends la clef qui tourne dans la serrure. Un traquenard. Les vélos. Seuls à la maison. Une surprise pour toi. Tous ces mots prennent un sens radicalement différent.
« Alors, ça faisait longtemps, hein ? Je t’ai manqué ? »
Je baisse les yeux, comme le faible que je suis. Comme le faible que j’ai toujours été. Ses mots me blessent, mais pas autant que le rire continuel de Julie. Chacun de ses hoquets pénètre en moi comme un tisonnier chauffé à blanc.
Je souffre.
« Tu as perdu ta langue ?
-Je pense pas qu’il s’attendait à un tel accueil, Jacques.
-Pour son anniversaire, en plus, on a fait ça bien ! »
Je vois les chaussures de Lainé qui s’approchent de moi. Il m’attrape par les cheveux, comme la dernière fois sur le trottoir, et me relève la tête. Je vois son visage à quelques centimètres du mien, et j’ai de nouveau l’envie de lui cracher dessus. Je dois me rebeller, mais je ne trouve pas la force en moi.
Laisse-moi faire ?
« Non…
-À qui tu parles, le gros ? C’est à moi ? C’est à moi que t’as dit non ? Mais je ne t’ai pas posé de question ! Je ne t’ai pas demandé ton avis ! »
Laisse-moi faire, tu verras.
Non. Je ne comprends rien, toutes ces voix. Une parvient de ma tête, mais je ne suis pas sûr que… Lainé… C’était la voix de qui ? De qui ?
« Je crois qu’il a perdu la parole, Jacques. »
La voix de qui ?
« Julie ? Ça ne te dérange pas qu’il y ait un peu de sang sur ton lino ? »
La voix…
« Je… euh… Vous allez le tabasser ?
-Juste un peu. »
…de qui ?
La mienne.
Et les coups pleuvent.
Je me force à penser à autre chose. Ils sont quatre sur moi. Julie ne rit plus.
Et les coups pleuvent.
Il faut que je me sorte de l’esprit qu’ils sont en train de me frapper. Non. Ils ne me frappent pas. Chaque coup est un coup que je leur donne.
Et les coups pleuvent.
Oui, un coup que je leur donne.
Oui, c’est ça…

7 Ultime crise.
Je rentre chez moi, l’esprit embrumé.
Je n’ai presque aucun souvenir de ce qui s’est déroulé après mon entrée dans la chambre. Je me rappelle des voix, dans ma tête et en dehors, des insultes.
Des coups.
Mais à partir de là, j’ai l’impression d’avoir été déconnecté. Je n’ai que des images éphémères qui me viennent, comme autant d’instantanés défilant rapidement. Je vois Lainé et son visage plein de folie. Je vois Munoz à terre. Je vois Julie qui hurle. Je vois Tony qui tente d’ouvrir la porte. Puis le noir. À nouveau Lainé, mais sans son masque de folie.
Remplacé par un autre : De la terreur.
Puis, je me retrouve là, sur le trottoir, à marcher en direction de chez moi.
Mes vêtements sont fripés, déchirés, et tachés de sang. Pas énormément de sang, juste quelques gouttes qui semblent avoir giclé ça et là. Pas grand-chose.
Et surtout, ce n’est pas le mien.
Physiquement, je suis intact. Je n’ai rien de cassé, tout juste quelques douleurs au ventre, à la tête et sur les jambes. Mais pas même un bleu, ni une égratignure. Je n’ai pas saigné ni du nez ni de la bouche. J’ai toutes mes dents, aucun œil au beurre noir et c’est tout juste si mes cheveux sont ébouriffés.
Mentalement, je suis anéanti. Ma pensée est entièrement fragmentée. Des petits morceaux de souvenirs, de rêves, volètent autours du seul noyau de raison encore actif, celui qui me répète sans cesse : « Tu es en vie, tu t’en sors bien, tu n’as rien ». Je n’ai rien. Mais mon entendement vacille.
Et mon cœur est en miettes.
Je retrouve la sécurité de ma chambre. Je me déshabille et me mets au lit. Nu, sur les couvertures, je me passe une main songeuse sur le ventre. Mon ordinateur est éteint. Je devrais le rallumer et envoyer les mails pour annuler ma fête. Je n’ai plus envie de fêter quoi que ce soit. Je n’ai envie que d’une chose.
Violence.
Je respire par à-coup. Je sens mon cœur qui bat intensément en moi. Comme lorsque je suivais Julie dans les escalier. Mais ce n’est pas exactement le même type de sensation. Je vais dérouiller. Mes poings se serrent, alors que je continue à me caresser le ventre, qui a perdu de sa rondeur, mais qui est encore trop.
Trop.
Premier coup de poing.
Une fois sous les couvertures, blotti à la chaleur de mon propre corps et de mon ventre meurtri par plus d’une heure de heurts, je pleure.

8 Journal.
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Je n’ai pas eu le courage de faire mon journal hier soir, et j’expliquerai les raisons une autre fois. Je n’en ai pas le courage, encore, maintenant. La blessure est trop récente.
Je redoutais de voir Lainé et sa bande, pour des raisons que je développerai. Mais finalement, je n’ai pas eu à les voir, car ils étaient tous les quatre absents. Des rumeurs courent sur le fait qu’ils se seraient fait rosser hier soir, alors qu’ils rentraient. Ça a dû se passer juste après ce qu’ils m’ont fait.
C’est bien. Il y a une justice.
Dastein a été très énigmatique quand je lui ai raconté mon histoire. Nous en avons parlé durant la pause du déjeuner, et il se contentait de me sourire, comme s’il savait quelque chose et qu’il me le cachait. À la fin de la conversation, il m’a tapé sur l’épaule, et il est parti en disant que je commençais à comprendre.
Mais je ne comprends pas !
Julie était là, aujourd’hui. Elle m’évitait ouvertement. J’en suis heureux, car je n’ai pas du tout envie de lui adresser un mot. Ni même un regard. Je n’irai pas vers elle, et je crains qu’elle ne vienne pas non plus vers moi. Je l’ai croisé ce midi, et j’ai vu une chose qui m’a fait repenser à Lainé, dans son regard.
Il y avait de la terreur.
De la terreur, pure.



NA: Encore pardon du retard, mais il y a eu quelque incompatibilités d'emploi du temps entre moi et mon correcteur, NightBeast. Le cour normal de parution reprends dès samedi, avec un chapitre par semaine.
Bonne lecture!
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Message par Mr.Magnum Mar 30 Aoû - 9:23

5. …adie.
1 Anémie
Je m’éveille avec un sentiment de malaise en moi. Un malaise oppressant, je veux dire avec ça qu’il est pire que d’ordinaire. Le genre de malaise qui fait penser qu’on resterait bien dans son lit, sous ses draps, durant toute la journée, plutôt que d’aller en cours. Le genre de malaise qui fait flancher les déterminations les plus inflexibles, qui fait abandonner les plus courageux, qui fait exécuter un demi-tour aux plus obstinés.
D’habitude, j’ai simplement une sorte de lassitude extrême qui couve en moi, et non pas un si grand trouble annonciateur de malheur. Je me lève la plupart des matins avec cette sensation d’épuisement total, d’anémie paresseuse qui s’accroche à moi pour la journée. Parfois, elle disparaît dans la matinée, parfois non. Souvent non, même. Mais la gêne d’aujourd’hui me semble différente.
Pas pire, mais différente.
Complètement différente.
Celle de tous les jours se traduit pas un ressac sans fin de souvenirs de cette journée maudite. Celle de mon dernier anniversaire. Je ne peux même pas dire ‘fête’, ni même penser le mot, tant la douleur qui m’assaille alors est forte et entêtante. Pourtant, je n’ai de cesse d’y songer. Je revois des images, j’entends des mots, des voix, des sons.
Des rires.
Son rire à elle, la pire arme qui soit.
Voilà mon calvaire quotidien depuis plus de sept mois. Et même maintenant qu’on entame vaillamment le mois d’Octobre, la souffrance de la trahison brûle toujours en moi. Braise encore rouge et fétide, qui exhale la peine et la tristesse à chaque moment.
Mais aujourd’hui, un autre mal semble avoir supplanté celui-ci dans la hiérarchie provisoire de mes afflictions. Je n’arrive pas à l’identifier à cent pour cent, mais je pense qu’il s’agit là d’un bête rhume, voir d’une grippe pour imaginer le pire. Cette maladie apportera son lot de tracas, sa ritournelle de reniflements, de glaires à expectorer et autres difficultés diverses, mais si elle me permet d’oublier cette journée, ne serait-ce qu’une heure.
Une minute.
Quelques secondes…

2 Souffrance.
J’avais raison, hier, lorsque je pensais avoir attrapé froid. Les prémices d’une attaque frontale de microbes sont passées, maintenant. Je suis bel et bien malade. Malade comme un chien, même. J’ai l’impression que mes yeux veulent s’évader de ma boîte crânienne, ou au contraire rentrer au plus profond de mon cerveau.
Autant hier je me sentais simplement mal, autant ce matin, j’ai mal. Une migraine me scinde la tête en une dizaine de douleurs pulsantes qui m'agressent à chaque battement de cœur. De violentes crises de nausées me submergent régulièrement, ce qui m’a empêché de dormir une bonne partie de la nuit. Je ne vais pas aller en cours, aujourd’hui.
Trop fatigué.
Trop mal.
« Je pleurais quand je vins au monde, et chaque jour me montre pourquoi. » Un proverbe espagnol dont j’ai oublié l’auteur. Aujourd’hui est un jour particulièrement propice à sa vérification, en tout cas. Je ne pleure pas, mais j’aurais bien des raisons de le faire.
Je ne peux même pas me lever pour m’installer à mon ordinateur qui trône, éteint et silencieux, sur mon bureau. C’est là la pire torture : avoir près de soi un objet qu’on désire et ne pas pouvoir l’atteindre. Enfin, je pourrais me lever, mais je sais pertinemment que des vertiges s’empresseraient de gagner mes sens et que je vacillerais sur mes jambes à chaque pas. Et je terminerais probablement à terre, la tête dans mon propre vomi.
Ce qui n’est vraiment pas un but excitant.
Je reste donc alité, songeant à des choses et d’autres, songeant aux maux qui me tourmentent, songeant à Julie qui riait à gorge déployée alors qu’on me rouait de coups, songeant à mes forums qui se remplissent de messages sans que je puisse en voir la teneur. Même si la grande majorité de ces messages sera vide de sens, j’aime suivre tout ce qui se passe dans un forum, du premier au dernier topic.
Je voudrais tant être assez résistant pour rester capable de poster. Au contraire, cette maladie en deviendrait d’autant plus utile si elle me permettait de rogner sur le retard qui augmente tous les jours. Car je n’ai, même lorsque je vais bien, jamais le temps de faire tout ce que j’ai envie de faire sur Internet. Alors j’entame, j’entame, j’entame, mais je prends du retard partout ailleurs.
Ce seront bientôt les vacances de la Toussaint, d’ici quelques semaines. Je pourrai m’y mettre à fond, et revenir à jour sur tout.
Ah, si je pouvais combattre ma maladie comme on combat un ennemi.

3 Fièvre
Ma mère toque à ma porte. Je venais tout juste de sombrer dans une semi somnolence agitée, et les trois coups de bague qu’elle donne à ma porte me font sursauter. Je lui demande ce qu’elle veut.
« Tu ne vas pas à l’école ?
-Non, je suis malade. »
Pas de réponse. J’ai rarement été malade au cours de ma scolarité, et elle doit certainement chercher le terme dans sa mémoire avinée.
« Malade ? »
Oui, malade à en crever, et c’est seulement maintenant que tu te réveilles. Il est tout de même plus de midi, et c’est seulement maintenant que tu as dû t’apercevoir que mon manteau gît toujours accroché dans l’entrée, que mes chaussures sont sur le paillasson, et que la vaisselle du soir n’a pas été faite.
Je prends sur moi pour ne pas tout déballer.
« Oui, malade. J’ai dû prendre froid.
-Ah. »
Ah. Voilà tout ce qu’elle peut dire : Ah. J’aurais pu lui dire qu’un chien m’avait mordu et arraché les deux jambes, qu’elle aurait répondu : Ah. Je déteste lorsqu’elle fait Ah. Elle a une façon de le dire qui sonne comme Ça ne me concerne pas. Ce qui est vrai, dans un sens : Elle s’en fout.
« Donc je ne vais pas en cours ce matin. »
Je me demande si elle va vouloir entrer pour savoir comment je vais exactement.
« D’accord. Soigne-toi bien alors. »
Elle repart. Sympa. Même pas une once d’inquiétude pour son propre fils. Mais ça ne m’étonne pas. Elle a toujours été comme ça. Et puis, même si elle avait voulu entrer, elle n’aurait pas pu : Ma porte est fermée en permanence, la clef dans dons un tiroir de mon bureau, et je suis incapable de remuer.
Le simple fait d’aller jusqu’à ce bureau relèverait déjà du calvaire, alors je ne veux même pas penser un seul instant à faire les quelques pas qui me séparent de la porte. Et puis, qu’aurait-elle fait ? Elle m’aurait apporté des médicaments ? Elle m’aurait soutenu pour aller aux toilettes ? Elle aurait prit ma température ? Je peux faire ça seul.
D’ailleurs, c’est ce que je fais depuis mon réveil, ce matin. J’ai juste demandé à une domestique d’aller me chercher de quoi me soulager un peu à la pharmacie. Je ne suis pas sûr que ma mère sache où se trouve la pharmacie du coin, alors de là à aller elle-même les chercher, autant rêver !
Je me tâte le front.
Ma fièvre est encore là, et elle me fait transpirer de plus en plus. J’ai horreur de rester dans un lit chaud et humide, mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas me lever, sauf en cas d’urgence. Et encore.
Oh, comme j’aimerais pouvoir chasser ces maux par la force…
Ça va être une longue journée.

4 Délire./
Je ne supporte plus de rester couché. J’ai pourtant dormi quelques heures, par-ci par-là, mais je fais des cauchemars à chaque fois. Ma fièvre a encore empiré, et j’ai le plus grand mal à garder les yeux ouverts. Tout ne semble que douleur. Tout m’est insupportable.
Je vais…
Je dois

Je me réveille à nouveau. Tout était vert, cette fois-ci. Ma mère avait attrapé la fenêtre et elle la découpait pour le dîner du soir. Je me souviens. C’était flou, mais j’étais content qu’elle s’occupe de moi. Elle était ensuite partie, et je me suis réveillé.
Peut-être.
Je ne sais même plus si je dors ou non, actuellement. C’est une sensation horrible, comme si on se retrouvait perdu. On ne sait pas exactement où on est, ce qu’on fait ou qu’on doit faire, et le monde tourne. En permanence. Rien n’est fixe.
Tout était vert.
Je vais quand même essayer de me lever. Je dois manger quelque chose. Absolument. Je dois rester conscient, même si mes jambes sont en coton. Je n’ai qu’un caleçon, mais j’ai encore chaud. Il est trempé. Mon lit, mes draps sont trempés. Je suis trempé. J’aurais besoin d’un douche, mais j’ai peur de…
…oh…
Non. Ça va, rien qu’un vertige. J’ai vu les murs onduler et le sol remuer bizarrement, mais c’est passé. Je me sens mal, le plus mal possible. Mes yeux pleurent, mais les larmes sont poisseuses comme de l’humeur. C’est horrible. Je sens mes organes bouillonner, glouglouter en moi comme autant d’appréciations de mécontentement. Je ne peux rien y faire. Je peux juste…
…urp…
Je souffle. Je respire à grandes goulées. Je ne dois pas vomir. J’exècre vomir, surtout que je n’ai aucun réceptacle à portée de main. Pourtant, quand j’y pense, j’irais certainement mieux après. Mais je m’y refuse. Non. Allez…
…debout.
Au départ, ce n’est pas si horrible que je l’avais redouté. Mais dès les premiers pas, je commence à entrevoir mon erreur : Je n’y arriverai pas. Mais je persiste. Ce n’est pas en abandonnant avant d’avoir commencé que j’ai réussi à avancer. Je suis debout, maintenant, je dois marcher.
Je fais un pas.
Je sens tout mes os qui protestent, qui craquent, qui couinent en s’agençant maladroitement. Le second pas est encore plus maladroit que le premier. J’ai encore mon lit pour me soutenir, et je m’accroche à la couverture mouillée de ma sueur. Troisième pas. Encore un, et je devrais poursuivre sans roulettes, comme à bicyclette.
Quatrième et cinquième pas d’affilée, et je tombe.

5 Attaques.
J’ouvre un œil hésitant.
Je me rappelle pas de tout ce qui s’est passé. Je me souviens de m’être mis debout, d’avoir fait quelques pas, mais ensuite je ne sais plus. J’ai dû perdre l’équilibre. Peut-être ai-je même perdu connaissance ? Il fait nuit. C’est le soir, je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi, couché sur le sol.
Mais c’est le soir.
Je me relève et regarde l’heure de mon réveil. Il indique une heure trente-sept. Soit plus de neuf heures après ma tentative de balade. Je suis donc resté plus de neuf heures inconscient, soit endormi, soit assommé. Je n’ai pas mal où que ce soit, donc je n’ai pas dû me cogner si fort que ç…
Je n’ai pas mal.
Je n’ai plus mal.
Je me rends seulement compte de ça : Je n’ai plus mal. Plus de migraines, plus de douleurs à l’estomac, plus de nausées, plus de vertiges. Même mon nez semble s’être débouché. Je regarde à terre comme si j’allais y découvrir les résidus de ma maladie à l’agonie, mais bien évidemment, il n’y a rien.
J’ai l’impression de revivre.
Je fais quelques enjambées incertaines dans ma chambre, mais aucun problème. Je suis bel et bien guéri, aussi incroyable que cela puisse paraître. J’en oublie immédiatement les raisons de ma guérison miraculeuse et regarde mon ordinateur avec envie. Je l’ai eu sous les yeux toute la journée, et maintenant, je suis capable d’en faire.
Je consens à remettre un peu d’ordre sur mon lit avant toute chose, et à aérer la pièce. Le désordre est un de mes pires ennemis. Soudain, un mouvement attire mon attention, alors que j’étais en train de retirer draps froissés et encore un peu humides. Quelque chose a bougé, derrière mon lit.
Mon cœur bat la chamade alors que je me baisse pour regarder en dessous. Est-ce une souris ? Un insecte ?
« Ah ! »
Je viens de revoir cette… cette… cette créature. Non, ce n’est pas une souris, c’est bien trop gros. Mais je n’ai pas l’intention, quoi que ce soit, de la laisser vivre dans mon antre. Je prends un balai posé près de mon armoire et j’entreprends de déloger la chose en remuant la poussière aléatoirement sous le lit. Avec un remue-ménage comme ça, je ne…
Le balai m’échappe et disparaît sous le lit.
Je reste muet d’appréhension et d’horreur en entendant les craquements du bois, puis des mâchonnements effrayant. La chose mange le balai, il n’y a pas de doute.
Nouveau mouvement, à ma droite, mais là je n’ai pas à regarder sous le lit pour découvrir l’ampleur de la bête qui se dresse devant moi. Elle a la taille d’une vache, mais sa forme est indistincte, visqueuse, et elle semble en perpétuel façonnement. Des membres jaillissent n’importe comment, ainsi que des yeux, des bouches et une myriade de dents. Je n’arrive même pas à hurler.
Quelque chose touche mon pied, quelque chose de froid. Je baisse mes yeux et remarque que la créature de dessous mon lit vient de me foncer dessus. Je hurle, cette fois-ci, alors que le monstre en face de moi fait de même et se jette sur moi. Je trébuche en voulant l’éviter et me cogne sur le coin de mon lit. En même temps, j’ai écrasé la chose qui s’était attaqué à mon pied, et qui courait partout en piaillant.
Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
L’énorme créature fait un demi-tour approximatif et renverse une étagère sur le sol. Je vois mes petites figurines de jeux vidéo et autres animes japonais se faire engloutir par les deux monstres goulus, avant que leur attention se focalise de nouveau sur moi. Ils sont devant ma seule porte de sortie. Je regarde à leur gauche et vois la fenêtre qui donne sur la rue.
Pas le choix.
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Message par Mr.Magnum Mar 30 Aoû - 9:26

6 Poursuite.
Les deux bestioles sont trop bêtes pour avoir anticipé ma fuite, mais elles sont malgré tout assez intelligentes pour ne pas lâcher prise si facilement. Je redoute le moment où elles me rattraperont. Le temps qu’elles comprennent, j’avais déjà réussi à sauter par ma fenêtre et à descendre en m’aidant de la balustrade de mon balcon. Je bénis le jour où mes parents ont choisi une maison à un seul étage.
Arrivé en bas, je me rends compte que je suis simplement en caleçon, pieds nus et que je n’ai pas de quoi rentrer chez moi : Mes clefs sont sur mon bureau, là-haut, à moins que ces choses ne les aient dévorés également. Puis vient le doute. Est-ce que je n’étais pas en train de rêver, d’imaginer ces bestioles Lovecraftiennes dans un pur délire issu de mon esprit enfiévré ? Ça serait plus logique que cette réalité.
Un bruit au dessus de moi m’indique que je n’étais pas en pleine hallucination, mais que les deux choses continuaient à me pourchasser. Je ne connais pas leurs motivations, le pourquoi de cette poursuite, mais je ne vais pas les attendre pour leur demander. Alors que je vois la plus grosse tomber à l’endroit même où je m’étais tenu quelques secondes plus tôt, j’exécute une roulade et je me mets à courir sur le trottoir, au hasard.
Il n’y a personne dans les rues, et le froid de ces derniers jours se fait sentir. Je vois mon souffle se changer en vapeur blanche devant mes yeux, et le froid mord mon corps à moitié nu. Derrière moi, j’entends un glissement gluant qui me révulse le cœur. Je n’ose pas me retourner, et continue à courir.
Je tourne sans réfléchir, sans faire attention à l’endroit où me mènent mes jambes. Je sais juste que la ou les créatures sont toujours derrière moi, et je sens parfois un appendice gelé et visqueux me frôler le mollet.
Virage à gauche.
Les fenêtres défilent sans fin à coté de moi, les voitures immobiles et sans vie me narguent dans la tranquille sécurité de leur place de parking. Je m’essouffle.
À droite maintenant.
Je suis malgré tout content d’avoir perdu du poids, car jamais je n’aurais pu courir si longtemps, et maintenir à distance la chose.
Encore à droite.
Je tombe sur l’impasse Marquet. À force de courir à l’aveuglette, je n’avais pas remarqué que je m’étais moi-même envoyé dans un piège.

7 Apparition.
Libère-moi.
Je vois la plus grosse des deux créatures passer le coin. Je suis acculé. Pas moyen de m’échapper. Si encore ça avait été dans l’impasse Flaubert, deux rues plus loin, j’aurais pu m’en sortir en sautant un portail et en m’échappant par un jardin, mais là, ce sont trois murs qui m’entourent. Trois murs et un monstre.
Laisse-moi faire.
J’entends de nouveau cette voix étrange. Une voix à la fois étrangère et familière. Dans ma tête. Dans ma putain de tête. Est-ce que je deviens fou ? Tout se passe comme chez Julie, lorsque je l’ai entendu et que j’ai fini par…
…céder. Recommence !
La monstruosité rampe vers moi en émettant de lourds bruits spongieux. La plus petite est là aussi, et sautille à ses cotés. Elles semblent vouloir me dévorer, comme le balais, comme mes figurines. Mais où suis-je ? Ça ne peut pas être vrai, tout ça ! Je dois être encore KO sur le plancher de ma chambre, baignant dans ma sueur.
Tu sais parfaitement que c’est faux.
Je sens que le propriétaire de cette voix veut sortir. Il s’est occupé de Lainé quand je l’ai laissé faire, et il veut s’occuper de ça, maintenant. J’avais remarqué que les deux fois où Lainé s’était fait taper dessus, c’étaient deux fois où j’avais été en contact avec lui. Je ne sais pas ce que je suis, ni ce que j’ai, mais ce n’est pas normal.
« Tu n’es pas normal, ça non. »
Cette voix. Celle-ci ne vient pas de ma tête, et je la reconnais. Je sais qui en est le propriétaire. Les deux choses s’arrêtent, et je devine une sorte de perplexité. Elles ne devaient pas s’attendre à avoir un invité surprise.
Je regarde Dastein sauter à coté de moi. Il semble accoutré bizarrement, mais je n’y fais guère attention. Les deux créatures hésitent, et la plus petite a cessé de sauter. Elles semblent jauger le nouvel arrivant.
« Ça va ?
-Euh… Oui… »
Je bredouille ces quelques mots avec peine. Je suis tellement abasourdi de le voir débarquer, ici, maintenant, et de le voir si calme en face de ces deux erreurs de la nature, que j’en oublie d’articuler. Il me tend la main et je me redresse.
« Je pensais que tu t’en sortirais, mais je me suis trompé, manifestement.
-C… Comment ça ? M’en sortir ?
-Après tout, tu en es le créateur, alors tu devrais pouvoir les éliminer sans peine, tu ne crois pas ? »
Je reste sans voix. Je suis le créateur de quoi ? De ces monstres ? Moi ? Non ! Non, je n’ai pas enfanté ces démons, je n’ai rien fait de tel ! Je… j’ai juste…
« Combattre la maladie ?
-Comment ?
-Tu as combattu ta maladie, n’est-ce pas ? Comment imaginais-tu tes maux ? »
La réponse qui me vient, l’image que je vois, représente la scène qui se déroule actuellement. J’ai imaginé combattre des êtres difformes, censés évoquer ma fièvre et ma nausée. La petite et la grosse.
Et maintenant elles sont là.
« Tu commences à comprendre. C’est bien. »
Je me tourne vers lui, mais ce n’est pas lui. C’est un autre lui, une sorte de représentation parfaite. Il rayonne de perfection. Il semble plus grand, plus carré, plus imposant. Plus irréel aussi. Mais ça ne l’empêche pas de s’élancer sur la créature, qui se rétracte de surprise.
« Il faut juste éviter de ne pas contrôler ce qu’on fait. »
Guillaume Dastein lance son poing avec une rapidité fulgurante et une partie de la créature se dégonfle. Je mets ma main devant ma bouche et mon nez pour tenter d’arrêter l’odeur fétide qui sort de la plaie de la chose. Un liquide violacé s’écoule sur le sol, remplit de petites bêtes à l’agonie. Dastein recule et écrase nombre de cette masse grouillante.
« Le tout, c’est d’y croire. Avoir de l’imagination, et croire à ce qu’il y a dans ta tête. Une fois que tu y crois, tout est possible. »
Il s’élance à nouveau et, sous mes yeux horrifiés, se jette dans la créature, qui se referme sur lui dans un beuglement de satisfaction. La chose émet plusieurs bruits liquides, puis grogne. L’autre bête a disparu. Elle a dû fuir. Je fais un pas.
« Guillaume ? »
La chose grogne à nouveau. Elle semble ennuyée, bien que je ne me considère pas comme un professionnel des émotions de créatures inconnues.
« Guillaume ? »
Un bras jaillit alors de l’abdomen de la bête et m’éclabousse de sang violet. Puis un autre bras sort du même trou et écarte la plaie. La bestiole mugit tandis que Dastein la déchire en deux et remet un pied à terre. Il est indemne et parfaitement propre. Il réalise un mouvement compliqué de ses mains, puis il les rapproche.
La créature s’est totalement évaporée.
« Que… Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que c’était que ces choses ? Je n’ai rien créé, crois-moi, je ne… »
Il me pose un doigt sur ma bouche, et je le vois redevenir lui. Sans changer complètement, il retrouve sa forme normale, moins baraquée, moins grande, moins parfaite.
Et il sourit.
« Chut. Je t’apprendrai. »
En un instant, son regard devient dur et son apparence reprend de l’ampleur. Son sourire disparaît pour un visage sévère et nettement plus âgé. Plus mature. Son poing écrase contre le mur derrière moi la petite bête qui s’était échappée.
Je m’évanouis en entendant les cartilages se broyer sous sa force.

8 Délivrance.
J’ouvre lentement les yeux. Le soleil passe par les ouvertures des volets de bois, ceux d’origine que j’ai refusé de faire changer lorsque ma mère a été prise d’une subite envie de volets électriques. Je tourne ma tête sur le coté, pour regarder mon réveil.
Huit heures et quart.
« Quel rêve. »
C’était bien un rêve. Un délire occasionné par la fièvre et la fatigue. Pas de monstres, pas de course-poursuite nu dans la ville de nuit, pas de Super Dastein qui vient me sauver. Juste moi, un malade alité avec une imagination fertile et beaucoup de tête à l’envers. Mais Dieu que ce rêve avait eu l’air vrai.
Pourtant je suis là, dans mon lit, avec mes draps de nouveau chauds et mouillés par ma transpiration. Je devais être sérieusement mal pour faire un tel rêve, tout de même. Quand je repense à ces deux créatures, j’en frissonne encore. Je pourrais écrire des scénarios de films d’horreur, si ça continue.
Je ris. Ça me fait du bien. Le pire de ma maladie est derrière moi, et je me sens mieux. Bien mieux, même. Je me sens même le courage de me lever, même si je n’irai certainement pas me ruer dehors encore aujourd’hui. Je vais simplement ouvrir la fenêtre et… Tiens ? Elle est déjà ouverte ? Je ne me rappelle pas l’avoir ouverte, hier. Enfin, si, pour échapper à mes bestioles, dans mon rêve. Serais-je somnambule ?
J’arrête de rire lorsque je mets mon pied à terre et qu’un morceau de verre vient se ficher dans mon talon. Ma vitrine est à terre, explosée. Je me rassois, sous le choc, et retire l’éclat de mon pied. Du sang dégoutte sur le sol, mais je reste les yeux fixés sur les dégâts. Un morceau de feuille replié a été glissé sous ma lampe de chevet. Je le déplie.
Une seule phrase est griffonnée.
L’écriture de Dastein.
« Non, ce n’était pas un rêve. »


NDA: Désolé de vous avoir fait attendre, NightBeast vous a expliqué, j'ai vu. Pour K-Ro: Qui est-ce qui nous fait languir aussi, avec ses aventures tripesques? ;p Pour Gorgon_Roo: Ah mais je n'ai jamais ménagé de suspens aucun, j'ai juste refusé de révéler exactement où je voulais en venir! Voili voilà!
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Message par Mr.Magnum Dim 4 Sep - 16:19

Sachant que j'ai adoré Stephen King, je pense qu'il y aura toujours une légère influence kingesque sur mes écrits...

6. … à l’âme.
1 Imagination.
Quelques mois se sont déroulés depuis ma maladie et la découverte d’un tout nouveau monde. En fait, non, il s’agit de mieux que ça : Une nouvelle façon d’aborder celui qui existe, le monde réel. Une vision inédite de la vie habituelle, une version simplifiée, comme dans un jeu vidéo dont on possède les codes. Invincibilité, munitions infinies, toutes les options accessibles : Tout cela est presque à ma portée.
« Maintenant, essaye de le faire toi-même. »
Presque, parce qu’il me reste énormément à apprendre. De Dastein, d’Internet…
…et surtout de moi-même.
Je me concentre.
« Oui, voilà, comme ça. Ensuite, tu visualises ta force.
-Ma force ?
-Celle de Fear. Celle que tu as inventée. Celle de ton esprit. »
Fear.
Mon personnage virtuel, conçu de toutes pièces. Imaginé de bout en bout par un enfant solitaire et désoeuvré, pour compenser sa timidité maladive sur le monde virtuel.
Fear.
Un personnage haut en couleurs, heureux et passionné par les connaissances, qu’elles soient à acquérir ou à distribuer aux autres.
Fear.
Une sorte de héros un peu grosbill qui se bat toujours avec les bons dans les délires des forums, qui sympathise avec tout le monde et n’a que peu d’ennemis.
Fear.
Un moi de synthèse qui était condamné à le rester, mais qui grâce à Dastein et à ses conseils, prend peu à peu une consistance…
…réelle.
Fear.
« Allez, un petit effort !
-Je… Je n’y arrive pas, Guillaume. »
Il soupire et s’assied. Pour lui, cela paraît si simple. Il arrive sans aucune peine à projeter son lui imaginaire qu’il a appelé Roof. Une seconde de concentration, et le voilà avec son corps parfait, représentation irréprochable de l’humain sans défauts.
« Ce n’est pas en abandonnant que tu y arriveras, tu le sais ?
-On dirait le libraire, quand tu dis ça.
-Tu trouves ça trop dur ?
-Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles, disait Sénèque.
-Le brave homme. Il en est mort. »
Nous rions. Cela détend un peu l’atmosphère. Puis nous reprenons l’exercice, et je tente à nouveau de faire jaillir de moi Fear. Guillaume m’a dit de l’appeler intérieurement, comme on appelle un ami, et, lorsqu’il arrive, de l’accepter, de lui ouvrir la porte.
J’essaye. En vain, mais j’essaye.

2 Explications.
« Je sais que tu en as le potentiel. Je l’ai su dès que je t’ai vu dans la librairie, avec ton engouement pour Internet. Je l’ai senti. C’était un frisson terrible. J’ai tout de suite vu que tu pouvais faire des choses de ce type, comme moi. Ça fait de nombreuses années que j’ai découvert cette forme de matérialisation de pensées. Quel âge tu as, quatorze non ? »
C’était le lendemain de ma guérison miraculeuse, alors que j’avais arrêté Guillaume dans la cours du lycée pour lui demander ce qui avait été vrai ou non, pendant la nuit. Nous avions séché la première heure de cours en faisant le mur, et nous avions parlé.
« Bientôt. À la mi-mars.
-Et moi j’en ai plus de seize. Mais quand j’y pense, j’avais ton âge lorsque j’ai commencé à faire… »
Il avait hésité.
« …ça. Je n’ai pas trouvé de nom adéquat pour nommer ce que j’ai fait cette nuit. Mais comme de toute façon, je n’en parle avec personne, le problème ne se pose pas. »
Je l’avais regardé avec des yeux ronds, et je n’arrêtais pas de me repasser des images de la veille, de son sauvetage, de sa force, de sa perfection.
« La matérialisation de pensées, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’était également de la croyance, de l’imagination, et une force de volonté hors du commun. Lorsque tu t’es fait tabasser par Jacques Lainé et ses copains, à quoi pensais-tu ? »
J’ai mis un moment avant de trouver la réponse. Mais lorsque je l’ai formulée, elle m’a paru si évidente, si logique, que j’en suis resté sans voix.
« Je pensais à lui. Je pensais…
-…Tu pensais que c’était des coups qu’il se recevait, lui, n’est-ce pas ? »
J’ai hoché la tête, incapable de parler mais ayant soudainement tout saisi.
« Et à chaque fois, ils reçoivent leur raclée sans que tu sois présent, ou que tu ne t’en rendes compte. Pourquoi ? Parce que tu étais inconscient, à l’époque, de toute cette force qui sommeillait en toi. Maintenant, il te faut la développer ! »
Je n’ai pas pu ajouter un mot, ensuite. Il m’a expliqué les tenants et les aboutissants d’une telle puissance, mais tout ce que je voyais, c’était un sentiment de supériorité qui me gagnait. Un sentiment inconnu. Il m’a ensuite mis en garde sur une chose. Une chose…
« …importante. Très importante, même. Tu peux choisir ou non d’écouter mes conseils, de les suivre ou de t’éduquer seul comme je l’ai fait. Je ne me considère pas comme un maître en la matière, mais je peux certainement t’éviter les erreurs que j’ai commises.
-Quelles erreurs ? »
Il s’est tu et il m’a regardé froidement. Un regard comme il n’en avait jamais eu, du moins sur moi. Je me suis même surpris à avoir peur de sa réaction, à me demander si je n’aurais pas dû me taire au lieu de poser cette question. Puis son visage s’est radouci.
« Je t’en parlerai, mais plus tard. Pour le moment, quoi que tu fasses ensuite, je te prie de suivre au moins cette recommandation : N’écoute pas la Voix. »
J’ai enregistré, analysé, sans comprendre. De quelle voix parlait-il ? Même maintenant, je ne vois toujours pas de quoi il a voulu me parler. J’ai beau chercher, pas moyen de mettre le doigt dessus. Ça avait pourtant l’air important. Pour lui, toujours.
Ah ? J’entends mon téléphone qui sonne. C’est certainement Dastein.
Je vais en profiter pour lui demander des précisions.

3 Rappel.
« C’est moi… »
Il y a un an.
Il y a un an qu’elle m’a eu. En beauté. Un an, à quelques jours près, qu’elle m’a jeté dans la gueule du loup. Des loups, même.
Il y a un an.
Il y a un an, elle riait. Je l’entends encore, parfois, dans mes rêves, dans mes cauchemars, dans mes hallucinations auditives.
Il y a un an.
Il y a un an, je me croyais heureux, je me croyais sur la bonne voie, je me croyais entouré d’amis alors qu’il y avait un loup dans la bergerie.
Tiens, encore cette histoire de loup.
Il y a un an.
Et aujourd’hui, elle revient me narguer.
« C’est moi. »
Je reconnais immédiatement sa voix, pour l’avoir entendu maintes et maintes fois dans la classe, pour l’avoir aimée. Car j’ai aimé cette voix. Et autant j’ai aimé ses paroles, autant j’ai haïs son rire. Son rire de jubilation et d’humiliation.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Je suis froid, mais on n’efface pas ce rire par un ‘C’est moi.’.
« Je sais que ce qui est arrivé il y a un an était en partie de ma faute, mais…
-Non, c’était entièrement de ta faute. »
J’appuie bien le entièrement. Je le pense. Sincèrement.
« Oui. Oui, c’était entièrement de ma faute. Si tu savais comme je suis désolée… »
Je m’en contrefous, si tu veux tout savoir.
« Tu m’en veux encore ?
-À ton avis ? »
J’ai une furieuse envie de rire. Une grande envie de rire et de me moquer d’elle alors qu’elle rampe pour me demander quelque chose. Mon pardon ? L’absolution de ses péchés ? Elle regrette ? Qu’elle aille au diable.
Je peux t’y aider.
« Oui, bien sur que tu m’en veux. C’est légitime. Je ne sais pas comment me faire pardonner. Je ne sais vraiment pas comment regagner ta confiance. »
Crève ?
« Je sais que dans quelques jours, c’est ton anniversaire. Et j’aimerais… »
Elle bute sur les mots. Non, ce n’est tout de même pas ce que je pense ? Si ? Elle n’oserait pas me proposer un nouveau rendez-vous ? Dites-moi que je rêve ?
« …j’aimerais… »
Elle va le faire, la garce.
La sale petite pute…
« …j’aimerais qu’on se voit. Qu’on se parle. Qu’on se réconcilie. »
Elle l’a fait. Elle a osé.
« Encore un piège, c’est ça ? Tu vas m’inviter de nouveau chez toi, et toute la bande m’y attendra pour un second round ? Et en avant la musique, un pain par ici, un coup de latte par là ? Excuse-moi, Julie, mais très peu pour moi. Je ne suis pas un adepte du sado-masochisme, pour tout te dire. Et les femmes aussi salopes que toi, ça me répugne. »
Je lui ai cloué le bec. Je crois qu’elle pleure.
Tant mieux.
« Si ça ne te dérange pas, j’ai des choses à faire, maintenant.
-Au cas où tu changes d’avis, je serai toute l’après-midi dans le parc en face du lycée le jour de ton anniv… »
J’ai raccroché.
Au moins, grâce à elle, j’ai enfin compris de quoi parlait Dastein. Je sais ce qu’il voulait dire par la Voix. La petite Voix qui me susurre des atrocités de temps à autre. Dans des moments de panique, ou autre.
On parle de moi ?

4 Pouvoirs.
J’ai finalement décidé d’y aller.
Le coup de fil était avant-hier, et j’ai mûrement réfléchi. Je vais y aller. Je ne suis plus le même qu’il y a un an. Je suis une autre personne.
J’ai des pouvoirs.
Je ne suis pas encore du niveau de Guillaume, mais je me suis amélioré depuis le début de notre entraînement. J’arrive à faire apparaître Fear de temps à autre. J’ai même réussi à me promener ainsi changé dans la ville.
Lorsque je suis en Fear, je ne ressemble pas au gamin obèse de quatorze ans que je suis en réalité. Non, je ressemble plus à un jeune homme d’une vingtaine d’années, mince, musclé et à la peau mat. Le parfait sex-symbol, en quelque sorte. Je me rappelle d’une femme qui m’avait regardé avec insistance durant mon passage devant la terrasse d’un café. À mon retour, j’avais explosé de rire en songeant qu’elle ne m’avait pas réellement vu.
Alors je leur montrerai, à Lainé et ses copains, ce qu’il en coûte de s’attaquer à moi. Ils verront que j’ai quelqu’un qui me protège. Un homme plus âgé qu’eux et certainement bien plus balèze. Et ils comprendront leur douleur.
On les éclatera.
« Non. On ne les éclatera pas. On se contentera de les regarder s’escrimer contre une personne qui n’existe pas. Ça sera amplement suffisant. »
J’applique la méthode de Guillaume en ce qui concerne la Voix : Ne pas l’approuver, la contrer à voix haute si nécessaire, réfuter tous ses arguments. Elle ne contre-attaque pas. Elle est relativement calme aujourd’hui, mais plus j’arrive à maîtriser Fear, plus elle apparaît et elle vient me tenter.
Je ne cèderai pas.
Demain, j’irai au parce en face de chez Julie. J’irai en fin d’après-midi, histoire de la faire attendre. Vers dix-neuf heures. Il n’y aura plus personne, plus de gêneurs. Peut-être ne sera-t-elle plus là, elle non plus.
Tant pis.
Mr.Magnum
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Message par Mr.Magnum Dim 4 Sep - 16:19

5 Rencontres.
Il est presque dix-neuf heures trente lorsque je pénètre dans le parc. Les nuits tombent encore tôt, au mois de mars, et la pénombre environnante me met à l’aise. J’ai longuement hésité sur mon arrivée auprès d’elle : Devais-je venir tout simplement, ou bien changé en Fear ? J’ai fini par choisir la solution la plus simple.
« Tu ne dois en aucun cas en parler partout, autour de toi. C’est une capacité que peu de personnes possèdent, et on ne nous comprendrait pas. Je dis ça dans ton intérêt, et dans le mien. S’il s’avère que la confiance que j’ai placée en toi était un gâchis, je nierai toute implication dans ta vie, et tu seras la seule cible de ceux que ça intéresse. »
Guillaume m’a de nombreuses fois répété ce sermon, ne variant qu’un mot de ci de là, mais au fond toujours identique. Garder le secret. Ne pas faire étalage de sa force, de son potentiel. Ne pas se faire remarquer. Je comprends son point de vue, malgré qu’agir en plein jour soit tentant.
Je pourrais faire une multitude de chose, avec ces facultés : Vaincre mes complexes, combattre les injustices, aider les autres… Et d’un autre coté : Cambrioler des maisons, des banques, jouer les voyeurs chez les filles, et énormément d’autres choses trépidantes.
Tentant, hein ?
Oui, c’est tentant. Mais je n’ai pas besoin de ça.
Ooooh si, tout le monde a besoin de ça.
Pas moi.
Tu es comme tout le monde, pourtant ? Tu as deux bras, deux jambes, une bi…
Tais-toi. J’ai autre chose en tête que de la perversité mal placée.
Il ne répond plus. Je le maîtrise de plus en plus facilement, car je m’emporte de moins en moins. Mes crises de violence ont définitivement cessé. Du moins, je l’espère. Je n’en ai pas refait depuis…
…depuis un an.
Je vois Julie, assise sur un banc.
Elle n’a jamais été aussi belle.
Elle ne m’a pas encore vu, et je prends tout mon temps pour arriver. La nuit s’installe lentement autour de nous, et j’ai l’impression d’être dans un film où toutes les images défilent au ralenti. Un flou artistique opacifie mon champ de vision, et je ne vois qu’elle. Je croyais l’avoir rayée de ma vie, et elle revient.
J’espérais pouvoir l’injurier, mais je souris.
Je pensais la haïr, mais je l’aime.
« Hello… »
Une entrée pathétique s’il en est, mais je n’ai pas trouvé autre chose. Je me sens comme au tout début de notre relation amicale, lorsque je ne savais que bredouiller et bafouiller devant elle. C’est ignoble.
« Bonsoir. Je suppose que c’est une juste punition de m’avoir fait attendre. »
Je veux trouver une excuse valable pour me faire pardonner mon retard, je veux ramper à ses pieds pour lui dire que tout est terminé, que tout est pardonné. Mais non, ce n’est pas la bonne solution. Ce n’est pas pour ça que je suis là. Je suis là pour la faire payer. Elle a poireauté pendant une demi-journée, et ce n’est pas fini.
« En effet.
-Je n’ai que ce que je mérite. »
Je ne réponds pas. Je lui laisse ainsi le temps de la réflexion, bien que je suppose qu’en un an, si ses regrets sont sincères, elle a eu le temps d’y songer.
« Tu ne veux pas t’asseoir ?
-Non. Ça ira.
-Tu as bonne mine. »
La conversation n’avance pas. Elle n’ose pas me parler, et moi je ne dois pas engager la conversation non plus. Pourtant, j’en meurs d’envie, mais ce n’est pas la bonne solution. Si je cède, elle recommencera.
« Tu as encore maigri, non ?
-Quel est le but de cette entrevue, Julie ? »
Son prénom dans ma bouche sonne le glas des amabilités. Elle ne peut plus tourner autours du pot, maintenant. Elle est forcée de rentrer dans le vif du sujet.
« Pourquoi tu m’as fait venir ici, dans ce parc, le jour de mon anniversaire ? Un an après m’avoir trahi, un an jour pour jour après m’avoir poignardé dans le dos en me livrant à mes tortionnaires, tu comptes rééditer l’exploit ?
-Je ne…
-Où sont-ils cachés ? Dans les buissons à droite ? Derrière la statue, par là bas ? Ils ne sont pas là ? Ils t’ont fait faux bond à leur tour, comme c’est navrant. »
Je m’emporte, c’est plus fort que moi. Je ne devrais pas m’emporter, mais je ne peux plus m’arrêter. J’explose. Un an de douleur qui s’évacue.
« Ils ne sont pas là…
Ah ! Ils ne sont pas venus ! Ils ne sont peut-être même pas au courant que la copine de leur chef est là, à discuter avec moi ? C’est ça ? C’est ça ? Il ne le sait pas, Jacques Lainé ? Le grand Jacques Lainé ? Il n’est pas au courant que sa Julie est bourrée de remords ? »
Elle cache son visage dans ses mains. Je devine des sanglots, alors que ma voix continue à hurler des insanités, sans arrêt, sans pause, sans pitié.
« Elle regrette, la pauvre. Elle regrette d’avoir fait cet acte ignoble, hein ? Elle n’a pas aimé du tout, lorsque je me suis fait tabasser sous ses yeux. Pourtant tu riais, Julie ! Tu riais, n’est-ce pas ?
-N…
-OSE ME DIRE QUE TU NE TE MARRAIS PAS COMME UNE GRELUCHE, alors que ton mec était sur MOI et qu’il me TABASSAIT comme un FORCENÉ ! OSE ME DIRE QUE TU NE RIAIS PAS, JULIE !! »
Je hurle dans le parc désert. Je hurle, elle pleure, et moi aussi. Je me passe une main sur la figure et découvre les larmes. Des larmes de chagrin contenues depuis un an. J’ai chaud, j’ai terriblement chaud, alors que la température est encore froide pour la saison. Je reprends lentement mon souffle, alors que Julie sanglote silencieusement.
« …je… …suis désolée… »
C’est tout ce que j’arrive à saisir entre ses pleurs. Je me frotte le visage une nouvelle fois, puis je m’assois à ses cotés. Nous restons ainsi quelques minutes, elle à pleurer et moi à penser. Puis je l’entoure de mes bras et elle se plaque contre moi.
Et elle pleure encore plus fort.
Des passant marchent dans mon dos, mais je ne leur prête pas plus d’attention que ça. Je serre Julie contre moi, et elle s’accroche à mon blouson comme si j’étais le dernier homme sur Terre. Je lui pardonne. Je lui pardonne tout. Tout ceci est terminé.
C’est lorsque j’entends les pas se rapprocher que mon estomac se resserre.
C’est lorsque j’entends une voix connue que mon cœur bat plus fort.
C’est lorsque je me retourne qu’un cri s’étouffe en moi.
« Cette fois-ci, le gros, tu vas crever. »
Jacques Lainé est face à moi.
Et il est furieux.
Tout se passe très vite, alors. Il y a plusieurs regards qui s’entremêlent : Celui de Lainé et le mien, puis celui de Julie qui se lève vers mon visage, qui va ensuite vers celui de son petit ami, le regard de Lainé qui délaisse le duel une seconde le temps de foudroyer Julie, puis mon regard qui rencontre ceux de Blanchot, Munoz et Tony derrière Lainé, et enfin, retour au duel d’yeux entre Lainé et moi.
Tout semble figé, et pourtant tout se passe à une vitesse ahurissante. J’entends Munoz jurer d’étonnement en nous reconnaissant enlacés, Blanchot qui démarre son rire de benêt au moment même où Julie resserre sa main sur la mienne, de peur. Puis Lainé, qui m’attrape par le col et me fait passer par-dessus le banc sans un effort. Sans un cri.
Juste en me tuant des yeux.
Je suis arraché à l’emprise de Julie et vois le décor se retourner avant de percuter violemment le sol. Des étoiles noires apparaissent dans mon champ de vision, alors que Lainé, haletant, semble statuer intérieurement sur mon sort. Lorsqu’il parle, c’est d’une voix calme :
« Alors ça, si j’avais cru que ma copine me trompait avec un mec comme toi…
-Ce n’est pas ce que tu cr…
-TA GUEULE, pétasse !! Je ne crois pas t’avoir autorisé à l’ouvrir ! Alors tu la boucles et tu ne bouges pas. Je m’occuperai de toi après le gros tas. »
Il se tourne de nouveau vers moi et m’envoie un coup de pied dans l’abdomen. Je me concentre sur le rire de Blanchot, qui se stoppe alors que je roule sur moi-même une fois l’impact passé. J’ouvre un œil et je vois Benoît Blanchot, à genoux, se tenant le ventre des deux mains et gémissant.
Je souris.
« Qu’est-ce que t’as ?
-Putain, Jacques, ça recommence. Comme l’autre fois. Moi je me casse. »
Munoz.
« Mon ventre…
-Qu’est-ce qu’il a, ton ventre ? T’as trop bouffé ?
-Merde, Jacques, cassons-nous ! J’ai pas envie de me retrouver couvert de bleus de la tête aux pieds, sans même savoir qui nous a fait ça ! »
Tony.
Un silence. Puis Lainé reprend la parole.
« C’est lui qui nous fait ça. Attrapez-le. »

6 Viol.
Ils m’ont eu sans mal et ils me maintiennent à genoux sur le sol. Blanchot et Tony pèsent de tout leur poids sur moi, et je ne peux guère bouger. Mais ce n’est pas grave. Je contrôle la situation. Je n’ai qu’à attendre qu’ils me frappent, et je leur renverrai les coups.
Dix fois plus fort.
Je ne me changerai en Fear qu’à la toute fin, juste pour voir leurs têtes et les entendre gémir de peur. Pour les voir ramper à mes pieds, pour les humilier et leur rendre la monnaie de leur pièce. Et ainsi, j’aurai ma vengeance.
Lainé s’avance vers moi avec son habituel sourire de vainqueur. Il s’accroupit en face de moi et me file une claque. Au dessus de moi, Tony grogne.
« Alors c’est bien vrai. Je ne sais pas comment tu fais ça, mais c’est bien joué. Très bien joué, très fin. Bravo. »
Je n’aime pas le ton qu’il prend. Il est sûr de lui.
Je commence à douter.
« Nous ne pouvons donc pas te faire de mal, n’est-ce pas ? Réponds ! »
Je garde le silence. Où veut-il en venir ?
« Je vais m’occuper de ta nouvelle chérie, alors, tout simplement ! »
Merde.
Merde de merde.
J’aperçois Julie, maintenue par Munoz qui ne rit qu’à moitié. Il semble avoir également peur de la réaction de Lainé. Je l’entends lui dire qu’il va trop loin.
« Non, c’est ce petite tas de graisse qui est allé trop loin en me piquant ma copine, Munoz ! Tu m’entends ? C’est lui le fautif, c’est à cause de lui que tout ça arrive ! »
Il me crache dessus, et je le sens couler sur ma joue. Je ne réagis pas, bien que l’image d’une Julie se débattant dans les bras de Munoz ne puisse pas être soustraite à ma vue. Je serre les dents et les poings. Il va être temps, Fear.
« Et qu’est-ce que tu vas faire, si je la frappe elle ? Hein ? »
Allons-y Fear.
« Si je l’étrangle, comme là ? »
Maintenant ! Maintenant !!
« Ou si je lui déchire ses vêtements, à cette garce qui n’est même pas fidèle ?
-Jacques, ça va peut-être aller, non ? »
Maintenant, Fear ! On y va !
« Je fais ce que je veux, Munoz, pigé ? Si je veux la prendre sur la terre, là, devant vous tous, je le fais, parce que je l’ai décidé. Quelque chose à redire ? »
Mais sors, Fear ! Déchaîne-toi ! Allez ! Ne me lâche pas maintenant !
« Quelque chose à redire ? »
Allez, possède-moi et change-moi !! Fear !
« Non Jacques… »
Fear ! Ne m’abandonne pas…
Je vois Lainé qui gifle Julie à la volée, sans se retenir. Bientôt, le sang coule, mais Lainé ne s’arrête toujours pas. Je sens que Blanchot et Tony desserrent leur prise. Ça n’était pas prévu. Il s’emporte beaucoup trop. Ça va trop loin. Je dois réagir, mais je suis paralysé par la peur et le doute. Je sombre. Fear m’a abandonné.
« Et maintenant, le grand final…
-J… Jacq…
-Ta gueule, toi ! Si tu l’ouvres, ça ne sera pas pour parler, crois-moi ! »
Il défait sa braguette.
Je donnerais n’importe quoi pour avoir le pouvoir de réagir.
N’importe quoi ?
N’importe quoi.
Tu as gagné le gros lot.
Tout semble tourner autour de moi. Ça ne dure qu’une seconde ou deux, mais également des milliers d’années. Le temps n’existe plus. Lainé, Julie et les autres n’existent plus. Je n’existe plus.
Je renais.
Et je me sens…
« …bien. »

5 Retournement.
Jacques Lainé se retrouva happé par une force monumentale. Les sensations qu’il ressentit furent telles qu’il se retrouva projeté contre le tronc d’un arbre. Il retomba sur les genoux, souffle coupé et les yeux pleins de larmes. Une douleur sourde lui vrillait l’estomac et il fut obligé de se détourner rapidement pour ne pas vomir sur ses cuisses.
Tony et Blanchot ne purent empêcher la libération de leur vessie, et une immense tache d’humidité s’étala à leur entrejambe. Ils ne pouvaient plus courir. Ils ne pouvaient plus bouger. Ils n’osaient pas. Ils avaient peur.
Peur de Lui.
« Alors alors, dit l’homme qui avait été un gamin rondouillard, par où allons-nous commencer ? Par ce monsieur ? »
Il lança Son index rageur vers Munoz qui chuta au même instant en se tordant de douleur. Les yeux exorbités, le corps secoué de convulsions, il finit par s’évanouir la tête dans sa salive. Ça n’avait duré que quelques secondes. Au premier plan, Julie Le regardait avec une terreur grandissante, en maintenant son chemisier déchiré par Lainé.
« Et d’un ! » jubila l’inconnu.
Son index redescendit, et on s’attendait presque à voir de la fumée s’échapper de l’extrémité. Il souriait. Il s’avança vers Julie, qui levait les yeux sur Son visage qui demeurait indéfinissable. Si on avait demandé à quelqu’un de décrire cet homme, il aurait été dans l’incapacité de donner des informations précises.
Il semblait entouré d’un halo d’obscurité, qui passait devant Son corps d’adulte par voiles ou par vapeurs. Sa tête n’était qu’une masse ovoïde de ténèbres évanescentes, où l’on devinait avec peine deux yeux et une bouche souriante. Grimaçante.
« Ensuite, Julie, très chère Julie de mon cœur, qui vais-je choisir pour la punition ? Le con de service ou la masse sans cervelle ? »
Des larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille, qui tremblait de toute part face à cette incarnation de la noirceur. Elle ne pu rien émettre d’autre qu’un sanglot étouffé. L’inconnu hocha ce qu’Il avait à la place de Sa tête, comme s’Il avait entendu la réponse.
« Oui, je garderai Lainé pour la fin. Après tout, il sera la cerise sur mon gâteau de souffrance : Le point culminant ! »
Soudain, il se retourne. Il a senti quelque chose, quelqu’un approcher. Il regarde le vide à quelques mètres de lui et gronde tel un chien.
« Toi… »
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Message par Mr.Magnum Dim 4 Sep - 16:20

4 Dastein et Destin.
« Oui, c’est moi. Tu ne pensais pas me revoir ici, n’est-ce pas ? »
Guillaume Dastein se dressait face à Lui. Les mains dans les poches, un léger sourire en coin, il avança nonchalamment sur l’herbe du parc. Une bourrasque de vent fit onduler ses cheveux alors qu’il enjambait le corps inconscient de Munoz.
« Je lui avais pourtant bien dit de ne pas céder. De ne pas écouter ta Voix. Mais tu as su choisir le bon moment, l’instant où sa concentration vacillait, et tu t’es imposé.
-Comme à chaque fois, comme à chaque fois. »
Un silence chargé d’électricité s’installa. Les deux adversaires se regardaient dans les yeux, sans se détourner à aucun moment. Les quatre autres adolescents regardaient toujours fixement leur ancienne victime devenue bourreau.
« Tu comptes m’arrêter ?
-S’il le faut.
-Tu ne pourras pas. »
Dastein leva un sourcil interrogateur.
« Pas cette fois-ci. Pas avec ce gamin. Il est si… si puissant ! C’est l’hôte dont j’ai toujours rêvé. Ses capacités dépassent de loin celles de tous mes autres corps. »
Guillaume Dastein ne fit aucun mouvement superflu ni annonciateur de son attaque, et se rua sur l’inconnu avec une vitesse irréelle. Son corps changea durant l’attaque et il se retrouva avec l’apparence et la force de Roof. Un sigle ésotérique apparu sur le dos de sa main quelques secondes avant l’impact, qui toucha l’homme en plein ventre.
« Raté. »
Blanchot s’enflamma en hurlant, sans explications, sous le regard terrifié de Lainé, Tony, Julie et Dastein. Celui-ci s’écarta de l’inconnu et lança la tranche de sa main vers Blanchot, qui se tordait de douleur. Les flammes s’éteignirent comme on souffle une bougie.
« Pas mal. Mais tu ne pourras pas tous les sauver en même temps… »
Il écarta les bras et quatre serpents mordorés jaillirent de ses flancs. Il sifflèrent un instant dans les airs, leur base toujours attachée à Lui, puis fixèrent leurs proies. Dastein jura intérieurement. Ce démon a raison : je ne pourrais pas tous les sauver. Mais avec un peu de chance, et l’aide de Fear…
Guillaume ne bougea pas lorsqu’Il lança les quatre serpents sur les adolescents. Il ne bougea pas non plus lorsque Julie hurla. Il bougea encore moins quand les têtes de serpents s’arrêtèrent à quelques centimètres de leur nourriture.
« Mais qu’est-ce…
-Comme tu l’as Toi-même dit : Ce garçon est puissant. Ses capacités sont gigantesques, et il a une volonté hors norme.
-Non… Ce cancrelat oserait me défier ? »
La figure de Dastein s’illumina d’un sourire.
« Ce cancrelat, dit-il, pourrait même gagner, s’il le faut. Tu as beau vouloir utiliser son corps à la place de son Fear, il n’en reste pas moins le maître, qu’il le veuille ou non. »

3 Changements.
Des pensées s’insinuaient en Lui comme des coups de couteaux, et elles se répandaient dans Son esprit à une vitesse prodigieuse. Des souvenirs qu’il n’avait pas vécus, des images, des sons, des mélodies, de voix, des sentiments, tout ça Lui tournait la tête. Il vacilla sur ses jambes, sentant son pouvoir refluer.
Une douleur puissante lui perfora le thorax, à l’endroit même où Dastein le frappa par surprise. Il heurta le sol sur le dos, à bout de souffle.
« Tu… Tu ne peux pas… Arhh…
-Il veut revenir. Il veut son corps.
-Impossible… je ne veux pas… »
Dastein regarda l’être se débattre sur le sol comme une tortue sur le dos, avec un sentiment de mépris non dissimulé. Il fut saisi d’une idée. Une idée perverse. Celle de faire apparaître son arme fétiche et d’en finir une bonne fois pour toutes. Mais il refusa cette idée. Il reviendrait, une fois encore, et Il recommencerait.
Avec cet adolescent, Guillaume avait une chance.
« Ne lutte pas, c’est inutile.
-Tu sais parfaitement ce que tu fais, n’est-ce pas ? Tu sais parfaitement où tu vas le mener, ce gamin ? À sa propre perte.
-Et à la tienne, pour la même occasion.
-Tu t’en fous donc, de ce mioche ? »
Dastein tomba dans le piège.
« Complètement, mentit-il.
-C’est… c’est vrai Guillaume ? »
L’Autre était parti. La voix geignarde et apeurée de son ami fit sursauter Dastein, plus encore que celle glaciale et ténébreuse de son ancien interlocuteur. Il baissa les yeux sur l’adolescent encore obèse qui gisait sur le dos, les larmes aux yeux, et l’esprit complètement embrumé. Celui-ci soutint son regard.

2 Vengeance.
« Viens, dit-il en lui tendant la main.
-Tu te fous complètement de moi, n’est-ce pas ? »
Dastein tiqua. L’Autre avait vraiment bien négocié sa disparition. Il a certainement réussi à lui insuffler la rancœur qu’il éprouvait à mon égard. Et maintenant, je sens qu’il n’a plus confiance en moi. Plus assez.
« Guillaume ?
-De quoi te rappelles-tu ?
-Pas grand-chose. J’ai appelé Fear, et… »
Il hésita. Il ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé, songea Dastein.
« …et il est venu, mais je ne me rappelle plus de ce qu’il s’est passé ensuite. Seulement de ce que tu as dit à la fin. Tu t’es servi de moi ?
-Non, absolument pas !
-Je ne te crois pas. Tu mens. »
Il a gagné, Il a réussi à le faire douter et maintenant, il ne me croit plus, pensa Dastein. Il jeta un regard froid au tableau autour de lui, avec deux hommes inconscients, une fille en pleine crise d’hystérie, un jeune homme en état de choc, et un adolescent surpuissant au bord d’une colère qui pouvait être dévastatrice.
Il haussa les mains en signe de reddition.
« Crois ce que tu veux, mais je ne t’ai jamais menti, et ça tu le sais. »
Il ne répondit pas, et Dastein songea qu’il y avait peut-être encore un espoir de retrouver son ancien camarade.
« Je ne sais plus, Guillaume. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé… C’était… C’était différent, cette fois-ci. Je ne me souviens pas de tout.
-Je t’avais mis en garde contre la Voix, dit Dastein précautionneusement.
-Je ne l’ai pas écouté ! hurla son ami. Je n’ai pas écouté la Voix ! Je n’ai pas fait d’erreur ! »
Guillaume remarqua les changements inconscients qu’il opérait sur son corps : De temps à autres, des voiles noirs passaient devant lui, comme un brouillard. Et Dastein voyait parfois des morceaux de Lui apparaître entre deux fumerolles obscures.
« J’ai seulement… Je me suis emporté, voilà tout.
-Mais tu sais très bien que tu ne dois pas t’emporter une fois changé en Fear… dit Dastein doucement. Tu pourrais faire du mal aux…
-Oh, arrête un peu avec tes sermons ! Je sais très bien que je n’ai fait de mal à personne !
-Et que dis-tu face à ces deux hommes à terre ? »
Pour la première fois, il sembla remarquer le corps brûlé de Blanchot et celui de Munoz, à quelques pas. Sa confiance en lui s’ébranla. Il releva les yeux sur Dastein avec un regard moins arrogant, moins supérieur.
« Ce n’est pas moi qui ai fait ça, dit-il d’une vois mal assurée.
-Alors qui est-ce ? »
Guillaume entendit distinctement Sa voix lui souffler la réponse.
C’est lui. C’est Guillaume Dastein qui a fait ça pendant que tu étais inconscient.
« Tu l’as fait, toi, répondit-il en se réarmant de courage. C’est toi le coupable, et non moi ! Tu essayes de me rejeter la faute, mais tout est de la tienne !
-Tu es de nouveau tombé dans le panneau, soupira Dastein.
-Je sais parfaitement ce que je dis ! Je sais parfaitement ce que je fais ! »
Dastein aida Julie à se relever et la poussa à partir de son coté. Il était inutile qu’elle assiste à ce qui allait arriver. Guillaume savait parfaitement ce qu’il allait faire, une fois qu’il se retrouverait seul avec Jacques Lainé. Et il poussait tout le monde à partir afin d’arriver le plus rapidement possible à ce moment de béatitude.
« Je vais te laisser, alors, puisque tu n’as manifestement plus besoin de mes conseils, ni de moi. Mais sache une chose : Je ne te laisserai pas en paix, toi et ton ombre. »
Il ne répondit pas, et Dastein abandonna momentanément la partie. Pas complètement, non, il n’aurait de cesse de le traquer, même dans les pires endroits, les pires époques du monde ou d’autres. Sa quête n’aura de fin qu’avec sa destruction.
Resté seul, il contempla un moment le corps paralysé de Jacques Lainé, son meilleur ennemi, qui regardait le vide en bavant. Il resta de nombreuses minutes à regarder le filet de salive tacher son jean, puis il s’avança à pas mesurés vers Lainé. Un sourire mauvais vint lui étirer les lèvres, tandis qu’il se transformait peu à peu en Lui.
La nuit résonna de nombreuses heures durant des coups sourds et des cris de Lainé. Le corps qu’Il empruntait était encore faible, mais il allait gagner de la puissance avec le temps. Il ne lui fallait que ça : Du temps.
Le…

1 …compte à rebours…
…avait déjà commencé.
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Message par Mr.Magnum Ven 23 Sep - 15:26

Tu aimes mieux que j'avoue ou que je me lâche? Huhu...
Bon, pour diverses raisons d'emploi du temps et d'un manque de communication évident entre l'auteur (Moi) et le correcteur (NightBeast) de Traumenschar, un certain retard dans la publication vous a été imposé. À nouveau, toutes mes excuses, voici les deux chapitres manquants. La suite demain (avec un peu de chance...)!
Bonne lecture!

5. …saint.
6 Rentrée.
Le retour en cours après les vacances d’été se faisait dans l’indifférence générale. Comme chaque année, les petits enfants des maternelles pleuraient, ceux du primaire ne voulaient pas quitter leurs parents, les collégiens retrouvaient leurs professeurs avec plus ou moins de joie et les lycéens retrouvaient surtout leurs habitudes. Partout, dans toute la France, voir dans tout le monde, la rentrée des classes se déroulait de la même façon.
Il n’y a guère qu’un endroit où, pour les élèves d’une classe de troisième, cette rentrée était différente des autres.
Chaque classe a son meneur, chaque classe a sa tête de turc, chaque classe a son intello, chaque classe a son bellâtre, chaque classe a son gros, chaque classe a son rebelle. Tout ceci parce que chaque élève a un rôle, et reste à sa place. Une réputation qu’il traîne depuis le primaire. Autant dire toujours. Et dans cette classe là, l’ordre logique des choses avait changé.
Jacques Lainé n’avait pas terminé l’année précédente. La raison ? Une mauvaise chute, soi-disant. Le seul hic que les autres élèves trouvaient à cette explication concernait l’état tout aussi dégradé des autres membres de son groupe. Des rumeurs circulaient, toutes aussi farfelues les unes que les autres : Ils auraient tenté de cambrioler une banque et se seraient fait coffrer par la police, ils avaient voulu s’enfuir de la ville mais leurs parents les avaient retrouvés, ils se seraient fait enlever par des extra-terrestres, et bien d’autres encore.
Une seule retenait Son attention. Celle qui racontait qu’ils s’étaient retrouvés dans le parc non loin d’ici et qu’ils avaient invoqués un démon qu’ils n’avaient pas pu maîtriser. Il se tourna sur sa chaise et regarda les places vides à l’arrière de la classe. Tout le monde les avaient laissé inoccupées, ces bureaux. Personne ne voulait avoir à faire à Lainé ou à sa bande lorsqu’il reviendraient.
Il hésita un instant.
Ses yeux passèrent de table en table jusqu’à celle qu’avait Julie l’année précédente. Évidemment, la classe était différente, mais les habitudes des élèves ne changent guères après quelques mois de vacances, et ils avaient rapidement repris un plan de classe sensiblement proche du précédent. Les amis s’étaient remis côte à côte, les cancres au fond et les bons élèves à l’avant.
Le silence se fit lorsqu’Il tira la chaise de Lainé et qu’Il S’assit à sa place. Pas de murmures désapprobateurs, seulement des regards mi-outragés, mi-apeurés. Il posa un coude désinvolte sur la table et sourit avec arrogance. Tout le monde détourna la tête de la future victime, du pauvre petit gros qui avait perdu la raison.
Il avait repris du poids après le fâcheux épisode du parc. Et même s’Il ne Se souvenait pas de tout ce qui s’y était déroulé, Il avait en Lui un sentiment de malaise qui ne Le quittait plus. Il avait intégralement changé Sa vision du monde, inconsciemment. Pour lui, tout continuait sur sa lancée, comme avant. Pour les autres, tout avait changé.
Radicalement.

5 Retournement.
Les conversations qui avaient reprises cessèrent à nouveau lorsque la porte s’ouvrit et laissa entrer Sébastien Munoz et Benoît Blanchot. Eux n’ont pas changé de rang social, ils ont simplement changé de supérieur hiérarchique. Pour leur mode de vie, ça n’a pas changé grand-chose : ils continuent à obéir aveuglément aux ordres de leur dirigeant.
En l’occurrence, Il est devenu leur chef.
Munoz et Blanchot s’assirent à leurs places respectives, à Sa droite et à Sa gauche. Ils firent le tour de la classe du regard, en défiant quelqu’un de s’opposer à ce nouvel ordre des choses. Il s’adossa à la chaise peu confortable et tapa sur l’épaule de Munoz.
« Oui ? dit ce dernier en se retournant précipitamment.
-Où est Lainé ?
-De… Dehors. Avec Julie. »
Il resta de marbre à fixer Munoz, qui finit par baisser les yeux. Il empoigna le bras de Blanchot et se pencha vers lui. Vers son oreille.
« Va me les chercher. »
Blanchot ne se retourna pas. Il avait en horreur de regarder Ses yeux. Il se leva, raide comme un piquet, et couru pour sortir de la salle. Tous les élèves ne parlaient plus qu’à voix basse maintenant. Et tous les élèves parlaient de Lui.
« Comment fait-il pour rester à cette place ? »
« Regarde, Blanchot est parti chercher Lainé, va y avoir du grabuge… »
« Il est devenu fou ou quoi ? »
« Il a toujours été leur souffre-douleur. Peut-être qu’Il veut régler ses comptes ? »
« Il va se faire tuer… »
Il ferma les yeux pour contrer toutes les pensées qui s’agitaient autour de lui. Toutes le concernaient et il avait le plus grand mal à les empêcher d’assaillir son cerveau. Il n’avait qu’une envie, c’était de les réduire à néant. Il pouvait le faire, Il lui suffisait de se relâcher.
Juste un moment.
Un petit peu.
Et là…
« Le voilà. » bredouilla Blanchot sans quitter le sol des yeux. Il s’écarta et Jacques Lainé se posta devant la table où il avait pris l’habitude d’être. La place qui aurait dû lui être réservé encore cette année, mais qui revenait finalement à son successeur. Alors, devant les regards effarés de l’ensemble des élèves de la classe de troisième, Lainé se fit claquer.
« Est-ce Je ne t’ai rien dit à propos d’elle ? Ne t’ai-Je jamais interdit de la voir en dehors de Ma présence ? Et J’apprends que tu désobéis ? »
Lainé eu un regard mauvais vers Munoz, qui ne cessait d’admirer le paysage à la fenêtre. Une autre gifle retentit dans le silence gêné de la classe.
« Rien à Me dire ?
-Excuse-moi. »
Lainé perdit également toute consistance et détourna le regard, en répétant ses excuses.
« Excuse-moi. »

4 Menaces.
À l’intercours de dix heures et quart, il indiqua d’un signe de tête qu’il désirait rester seul. Lainé, Blanchot et Munoz sortirent en accompagnant les élèves restés en classe, et refermèrent la porte derrière eux. Il ferma les yeux…
…et écouta la Voix.
Alors, n’est-ce pas tout ce dont tu as toujours rêvé ?
« Oui. »
Tu as récupéré une réputation bien plus valable que ‘le gros’, tu n’inspires peut-être pas encore la crainte, mais ça ne saurait tarder, et tu as même réussit à dompter tes pouvoirs.
« Je l’admets. C’est… …intéressant. »
Et utile, également ! Tu pourrais faire ramper ces larves si l’envie t’en prenait. Tu pourrais les écraser comme des vulgaires mouches à merde et étaler leurs organes rien qu’en claquant des doigts. Rien qu’en pensant claquer des doigts, même !
« C’est vrai. »
Je sens que quelque chose te chiffonne.
« Non. »
Ne tente pas de me mentir. Tu sais parfaitement ce qui arrive lorsque tu me mens.
Il sentit une douleur sourde lui écraser les tempes, juste quelques secondes, puis repartir aussi rapidement. Essoufflé, il serra les dents en marmonnant sa réponse.
« Je sais, oui. »
Bien bien. Alors ?
« Alors J’ai quelques problèmes… des problèmes de… »
…conscience ? C’est ça dont tu parles ? Mais c’est à moi de les résoudre, ces problèmes de conscience, non ? Après tout, moi, Fear, je suis ta conscience !
« Oui… »
Et quels sont-ils, ces problèmes ? Ton libraire, qui te trouve différent depuis ces dernières semaines ? Rien de grave, nous irons le voir. Dastein ? Il tente toujours de te convaincre de jouer un rôle de gentil ? Ou bien Julie… ?
« Non ! Pas Julie. Elle n’est pas un problème.
-Tu as raison sur ce point. C’est Toi le problème. »
Il releva la tête sur Guillaume Dastein.
Puis Il la détourna. Dastein n’était plus aussi intéressant qu’avant, pour Lui. Il n’avait plus rien à Lui apprendre, dorénavant. Il avait trouvé un autre professeur. Pour tout dire, Il n’avait même plus besoin de lui.
Il évita le coup qui traversa la salle de classe et qui fit trembler les tables de cours. Il fit un demi-tour gracieux tout en se changeant en Fear. Ou ce qu’il croyait être Fear. Revenu face à Dastein, il arbora une mine faussement inquiète.
« Je vois que tu n’es pas venu Me féliciter pour Ma promotion ? J’aurais cru que tu apprécierais Ma nomination à la tête de la bande, pourtant. »
Dastein lança une nouvelle onde de choc qui balaya les chaises. Elles arrivèrent sur Lui, et Il les évita d’un simple mouvement du poignet.
« Je suis déçu, on croirait un combat de grosbill, tu ne penses pas ? Comme sur ce forum où Je poste actuellement… Ah, Je ne me rappelle plus du nom. Qu’importe ! Je pense M’en défaire une fois que J’y aurai semé la discorde.
-Ce n’est pas Fear. C’est Lui qui te donne sa force. Le propriétaire de la Voix. »
Il parut surprit de cette sortie inattendue. Mais Il se contenta d’un rire mal assuré, avant de poursuivre son laïus comme si de rien était.
« Tu comptes Me mettre à mal, maintenant ?
-Je compte Te faire reprendre la raison. Au fond de Toi, Tu le sais. Tu sais qu’il ne s’agit pas de Fear, de Ta création, mais de Lui. Tu le sais, n’est-ce pas ?
-Non, la Voix est Fear. C’est pour ça que Je n’arrivais pas à le faire apparaître. Je t’écoutais, et tu M’avais dit que la Voix était une ennemie. Alors que c’est faux. Et rien que pour m’avoir caché la vérité, Dastein… »
Il leva sa main, paume vers le ciel.
« …tu me répugnes.
-Merde ! »
Une décharge d’énergie creva le néant pour s’abattre à l’endroit même où Dastein s’était tenu avant qu’il se s’éjecte vers le tableau, où il resta collé à l’horizontale. Il n’avait pas été touché, mais il l’avait évité de peu. Il décida d’opérer une retraite stratégique.
« Stratégique, hein ? Tu fuis, tout simplement, comme le déchet urbain que tu es.
-Je reviendrai, An… »
Dastein se retint. Il ne voulait pas prononcer Son nom en Sa présence, car il espérait toujours plus ou moins qu’Il l’avait oublié. Il fallait qu’Il l’ait oublié.
« Je reviendrai, et je te ferai libérer le petit. Que Tu le veuilles ou non. Et ce n’est pas quelques magies insignifiantes qui me feront reculer.
-Ou qui te feront fuir, comme tu le fais maintenant, c’est ça ? »
Dastein ne répondit pas, mais disparut.
« Pouilleux… » cracha-t-Il en reprenant une forme normale. Un papier voletait devant Lui, et Il l’attrapa sans même y faire attention. Il déchiffra sans mal l’écriture de Dastein.
« Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants. »
Il déchira le papier et l’envoya dans la poubelle de la classe. Il se consuma avant même de l’atteindre. Puis Il regarda le saccage de la classe et soupira. Il n’avait pas le droit de laisser tout ça ainsi, et risquer qu’on le soupçonne d’appartenir à la troisième rumeur.
Il soupira.
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Message par Mr.Magnum Ven 23 Sep - 15:27

3 Supérieur.
Revenez en classe.
Blanchot et Munoz se regardèrent. Le jeune cinquième entre les mains de Blanchot profita de leur moment d’hésitation pour le mordre et ainsi échapper à la fin de sa correction. Munoz pesta en le regardant rejoindre les autres élèves.
« Loupé. Pourquoi tu l’as lâché ?
-T’as pas entendu une voix ?
-Ouais. Je sais. »
Munoz s’alluma une cigarette.
« Merde, c’est à cause de Lui que Tony nous a quitté. S’Il n’avait pas repris les rênes de la bande, nous serions toujours avec lui.
-Chut, paniqua Blanchot. Dis pas des trucs comme ça ! Il pourrait nous entendre !
-Mon cul, ouais ! J’en ai marre, plus que marre de subir les caprices de Ce petit gros ! Qu’il aille se faire foutre avec ses… »
IMMÉDIATEMENT !
« Gnnnh… »
Munoz ouvrit les yeux sur un Blanchot qui tremblait au dessus de lui. Quand était-il tombé ? Quand avait-il saigné du nez ? Il ne s’en souvenait pas. Jacques Lainé apparut dans son champ de vision.
« Munoz, Blanchot, allons-y. Tu ne devrais pas dire des trucs comme ça. »
Munoz acquiesça en se relevant, et il essuya son sang sur sa manche de chemise.

Il s’assit sur un des bureaux renversés et fit le point. La situation Lui convenait, mais il restait des éléments perturbateurs, comme ceux qu’Il avait cité à Fear. Et ces éléments mettaient en péril Son bonheur, Sa réussite. Et Il ne pouvait pas l’admettre. Il Lui fallait dominer la situation, et non la subir.
Et pour ça, il Lui fallait encore plus de puissance, de pouvoir.
De suprématie.
Tout à Ses pensées, il ne s’aperçut pas que quelqu’un l’épiait. Une forme, une silhouette, plus qu’un homme, était tapis dans un coin, nullement dissimulé mais pas ostensiblement affiché. L’ombre ne bougeait pas, et on pouvait deviner, avec de la concentration, un visage souriant. Grimaçant. Avec des yeux avides fixés sur Lui.
La porte de la classe s’ouvrit, et l’entité s’évapora.
« Aidez-moi à remettre ça d’aplomb. » dit-Il sans préambule. Les autres obéirent sans discuter, sans savoir ni le comment ni le pourquoi de tout ce désordre. Ils se contentèrent de soulever les tables, de les ranger, d’aligner les chaises et de passer un coup de balais. Seul Blanchot risqua une question, la curiosité l’emportant sur la prudence.
« Qu’est-ce qui s’est passé ici ?
-Ne pose pas de question dont tu ne veux pas savoir la réponse, Blanchot, répondit-Il sans lever les yeux de son livre. Et nettoie plutôt le tableau, il y a des traces de pas. »
Benoît examina le tableau, haussa les épaules, et passa un coup de tampon. Il n’y avait pas de traces de pas, mais on ne discutait pas Ses ordres.

2 Absences.
En rentrant chez Lui, à la fin de la journée, Il eut tout le loisir de penser. Ce que lui avait dit Dastein lui trottait malgré lui dans la tête, sans qu’Il puisse oublier ses phrases.
Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants.
« Qu’avait-il voulu dire par là ? dit-Il à voix haute alors qu’Il marchait en direction de chez Lui. Qu’essayait-il de Me faire comprendre ? Tu as une idée, Fear ? »
Mais Fear, où celui qui se faisait passer pour, resta muet cette fois-ci. Il poursuivit Sa marche à pied, plongé dans de sombres raisonnements et autres questions qui se posaient à Lui. Malgré Lui, Dastein L’intriguait.
Il L’avait aidé, dès le départ, à connaître Son pouvoir, à le comprendre et à l’utiliser. Ils avaient passé de nombreux moments ensembles à s’entraîner, et L’entraîner, Lui, alors que Dastein n’avait aucun besoin de parfaire sa technique. Et puis, après cet épisode du parc, Dastein avait radicalement changé.
Il était devenu froid et distant, et rechignait à le voir. Dès qu’ils se parlaient, les discussions terminaient toujours en disputes, plus ou moins violentes, et la démonstration de ce matin, en salle de classe, en était la preuve.
« Je ne peux plus discuter avec lui. »
Il Se rendit compte qu’Il n’avait pas eu d’absence, ce matin, durant leur affrontement. Pourtant, se dit-Il, il est de plus en plus rare que Je fasse appel à Fear et que Je reste conscient de tout, ces derniers temps.
Il ne se formalisait pas outre mesure de ces absences. Il les prenait comme des obligations inhérentes à ces nouvelles capacités, des contreparties non négociables, en quelque sorte. Il savait que, s’Il invoquait Fear, Il avait de nombreuses chances d’avoir une absence plus ou moins longue. Et qu’à son réveil, la situation aurait évolué.
Souvent violemment, mais toujours de son coté.
Il passa devant la Librairie sans même un regard pour le libraire, qui le vit traverser la route en soupirant. Il se rongea un ongle, pensif, se remémorant plus ou moins consciemment les moments passés à discuter avec le gamin. Il a bien changé, pensa-t-il. J’espère qu’Il ne va pas S’attirer d’ennuis. En même temps qu’il formulait sa pensée, il eut l’impression de voir un homme prendre le même chemin que Lui. Juste l’impression.
De Son coté, Il arriva chez Lui et referma la porte. Toujours à Ses réflexions, Il alla dans la cuisine Se préparer un encas et aligna les denrées sur un plateau. Sa mère arriva derrière lui et s’adossa à la chambranle de la porte. Elle avait la mine creusée, les yeux cernés, et ses mains tremblaient. Elle déglutit avec peine.
« Tu montes dans Ta chambre ? » dit-elle en écorchant la plupart des mots. Il acquiesça d’un signe de tête silencieux, et poursuivit la création de son plateau-repas. Elle se recoiffa une mèche de ses cheveux filasses.
« Le docteur Martens doit passer me voir, d’ici quelques minutes. »
Il Se contenta d’hausser un sourcil.
« Il doit… …m’examiner. Avec des collègues à lui.
-Encore ton problème de boisson ? »
Sa mère se figea. De la transpiration perla à son front et ses temps, et elle ne pu qu’exécuter un petit rire nerveux.
« Il doit juste me…
-Oui, il va te dire : Mettez-vous nue, madame, je vais vous examiner ! Et puis il va te tripoter, et tu vas te laisser faire parce que tu sais parfaitement que sans son petit papier à la con, tu ne pourras pas avoir tes médicaments du bonheur, c’est ça ? »
Elle s’empourpra. De colère, de honte, et d’une multitude de sentiments contraires.
« Tu ne peux pas dire ça !
-Si Je le peux, et Je viens de le faire. Mais vas-y, fait ce que tu veux ! Laisse-toi palper de part en part, après tout, ton mari n’est pas là ! »
Il s’avança vers elle, son plateau rempli de victuailles, et la fixa dans les yeux. Elle resta scotchée à son regard, pénétrant, étranger… …inhumain. Elle réprima une envie de hurler, de s’enfuir devant le monstre qu’était devenu son fils. Mais elle était paralysée.
« Essaye juste, dit-Il avec un sourire narquois, de ne pas faire de crise de démence devant eux, ils pourraient t’interner. »
Elle avala pesamment sa salive, espérant presque pouvoir s’y noyer pour en finir avec ce regard effrayant, puis il lâcha sa prise.
« Pousse-toi. »
Elle recula et Le laissa passer. Il grimpa les escaliers, son plateau-repas à la main, et elle entendit la porte de sa chambre se refermer. Elle poussa un long soupir et s’essuya les yeux qui pleuraient malgré elle. Puis elle alla dans le salon et retira sa robe de chambre avant de s’étendre sur le canapé, nue.
Le docteur Martens avait la clef de la maison, de toute façon.

1 Internet.
Il déposa Son goûter tardif sur Son lit et S’assit devant Son bureau, où trônait majestueusement un tout nouvel ordinateur. Un seul coup de fil avait suffit pour que Son père Lui en rachète un plus performant. Il l’alluma et attendit que tout se mette en marche en gobant les biscuits un à un, à une vitesse affolante.
En bas, il entendit la porte d’entrée s’ouvrir.
Le bureau s’afficha rapidement, avec quelques icônes. Un fond d’écran de l’anime Lain apparu, et Il cliqua distraitement sur l’image réduite d’une tête d’âne pour ouvrir eMule. La fenêtre du logiciel s’agrandit et Il fit quelques réglages dessus, tout en engloutissant avec ardeur Son deuxième sandwich.
Il lança également WinAmp et les musiques de Final Fantasy VII qu’Il n’avait téléchargé que très récemment. Il plaça Sa programmation sur le mode aléatoire et alluma Sa Chaîne Hi-fi reliée à Sa carte son. La musique de la mort d’Aerith sortit avec puissance des enceintes. Il frissonna de joie à l’écoute de cette version réorchestrée.
Rapidement, Il ouvrit l’Internet Explorer et MSN Messenger. Il avait toujours aussi peu de contacts, mais comptait de toute façon changer d’adresse. Celle-ci ne Lui convenait plus. Il resta un instant à regarder l’adresse MSN de Dastein, nommée Roof, qu’Il avait bloqué des semaines auparavant.
Il surfa sur le Web quelques minutes, sans but, puis Il décida d’aller regarder une communauté qui l’intéressait de plus en plus. Il cliqua sur l’adresse et trouva avec facilité le forum. Il s’appelait Traumen. Il observa quelques instant les posts des membres, allant ici et là, flânant sur un forum où il ne s’était pas inscrit.
« Pas encore, dit-Il à voix haute. Mais J’y viendrai. »
Il réduisit la fenêtre de Traumen et S’allongea sur Son lit.
Et ferma les yeux.
En bas, les soi-disant docteurs avaient commencés leurs rituels hebdomadaires. Le docteur Martens couchait depuis longtemps avec Sa mère, mais ces derniers temps il avait décidé de passer au stade supérieur. Ils étaient quatre, aujourd’hui, Il le sentait.
Il serra les poings et en leva un au-dessus de lui.
Un sourire passa fugitivement sur Son visage.
« À la bonne vieille méthode ! »
Et Il Se frappa le ventre.

Au rez-de-chaussée, les médecins maintinrent la femme prise de convulsions sur le dos, alors que l’un d’eux téléphonait à une ambulance pour l’emmener rapidement aux Urgences. Un quart d’heure plus tard, le docteur Martens refermait la porte et montait dans l’ambulance, sous Son œil amusé.
« Bon débarras. » dit-Il avant de se remettre sur le Net.
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Message par Mr.Magnum Ven 23 Sep - 15:30

4. …veillant.
11 Voix.
Il est temps.
« Temps pour quoi ? »
Il est temps de mettre fin à ta conscience, ou à ce qu’il en reste. Il est temps d’en finir avec tes problèmes.
« Ma conscience ? »
Oui, Ta conscience. Ce qui T’empêche d’accéder aux pleins pouvoirs. Ce qui T’empêche d’atteindre la suprématie totale. Tu es fort, mais pas assez encore.
« Est-ce que J’en ai vraiment besoin ? J’ai déjà tellement eu grâce à Toi, Fear. »
Tu ne veux pas plus ?
« Plus ? »
Énormément plus. Si Tu ne viens pas à bout de ce qui Te reste de conscience, Tu n’arriveras jamais à égaler Dastein.
« … »
C’est bien ce que Tu veux, non ? Dépasser le maître et lui prouver que ce que Tu es devenu est bien meilleur que ce qu’il est ?
« …oui. »
Parfait. Alors allons rue Brouillard rendre une petite visite à ta conscience.
« Le libraire ? »
Tout a fait. Nous commencerons par simple.

10 Réveil.
Le petit matin fit entrer le soleil par la fenêtre dont les volets n’avaient pas été fermés la veille. Un rayon de soleil L’atteignit en plein visage, et Il finit par se réveiller, à contrecœur. L’esprit encore embué, Il S’assit sur Son lit et Se frotta distraitement un œil. Il bailla.
« Pourquoi n’ai-Je pas fermé mes volets, hier soir ? » Se demanda-t-il en se rongeant un ongle. Il ne Se rappelait pas la raison qui L’avait poussé à changer Ses habitudes.
Il croqua un ongle et S’arrêta brusquement. Un goût. Un goût inhabituel dans la bouche. Un goût poisseux, à la limite du nauséeux. Il retira Son doigt de Sa bouche lentement, comme s’il allait L’attaquer, et remarqua des traces brunâtres sous l’ongle.
Du sang.
Sans trop y croire, Il goûta à nouveau. Mais c’était bel et bien du sang. Il avait espéré s’être fourvoyé, avoir confondu sang séché et chocolat, mais il n’en était rien. Il avait du sang coagulé plein les mains. Des croûtes de sang, des traces sur les paumes, des éclaboussures sur les avant-bras, et sur ses vêtements. Ses draps en étaient également maculés. Il S’était couché alors qu’il baignait encore dans le sang.
Et ce n’était pas le Sien.
« Mais qu’est-ce que J’ai bien pu faire hier soir ? » dit-Il d’une voix étrangement calme, tout juste étonné. Fear ne répondit pas. Il fouilla sa mémoire à la recherche d’éléments qui Lui permettraient de comprendre. Des images disparates apparurent.
Du feu.
Le libraire, à genoux, en larmes.
Dastein qui apparaît.
Roof qui disparaît.
Encore du feu.
Le libraire.
Des coups de poings.
Du sang.
Du sang, et du feu.

9 La veille.
Il s’était préparé succinctement, mais résolument. Des vêtements qu’Il ne portait pas d’ordinaire, une paire de gants, et surtout une heure tardive pour opérer. Il n’avait eu aucune envie de croiser qui que ce soit dans les rues entre chez Lui et la librairie, rue Brouillard. Silencieux comme une ombre, Il avait sauté par la fenêtre en utilisant les capacités de Fear.
Le trajet entre ici et la rue Brouillard avait été rapidement effectué, et Il n’avait croisé personne. Pas même une voiture. Le ciel était dégagé et la température était relativement élevée pour un mois de Janvier. Il était passé par le chemin le plus court, et avait finalement atteint son but sans trop de mal.
La librairie se dressait devant lui comme un obstacle à abattre. Il avait jeté sur elle un regard lourd de reproches et de souvenirs. Une partie de lui s’était attendrie devant cet ancien refuge, cet ancien lieu de sécurité qu’Il avait considéré comme un deuxième chez-Lui durant des années. Puis Fear avait mit son grain de sel.
Qu’est-ce que Tu attends ? avait-Il dit.
« Je ne sais pas, Je… »
Tu hésites ? Tu verras comme Tu iras mieux une fois que Tu auras cramé cet endroit remplis de souvenirs, vas-y…
« Oui. Je dois le faire.
-Faire quoi ? »
Le libraire était apparu, et Il s’était brusquement retourné vers lui. Il ne S’était vraiment pas préparé à cette apparition impromptue. Le libraire lui avait offert un sourire à peine fatigué, puis avait ajouté.
« Salut toi, déjà fini l’école ? »

8 Hésitant.
Il termina de se laver les mains.
« Oui, c’est ça. Je Me souviens bien du trajet, la rue Brouillard, l’arrivée devant la librairie. Et lui qui était là, à m’attendre, aussi gentil qu’à son habitude. Salut toi, déjà fini l’école ? Voilà ce qu’il m’a dit. Fidèle à lui-même. Je n’ai pas pu m’empêcher de répondre ce qui était convenu. »
Mais maintenant, c’est terminé.
Il se rendit jusqu’à Son ordinateur dont Il désactiva l’écran de veille. Il était temps de faire du ménage, se dit-Il.
« Comme hier soir, poursuivit-Il à voix haute. Du ménage. Il avait beau pleurer, se mettre à genoux, me supplier, j’allais faire cramer sa boutique, qu’il le veuille ou non. Et ce n’est pas… » Un nouvel élément se mit en place dans Son esprit.
Dastein.
« C’est là qu’il est intervenu. »

7 Imprévu.
« Pourquoi tu veux faire ça ? Pourquoi Tu veux réduire ma librairie en cendres ? C’est tout ce que j’ai ! Tout… »
Il avait envoyé balader le libraire d’une impulsion mentale bien placée, et avait ensuite fait de nouveau face à Guillaume Dastein, qui s’était changé en Roof dès son arrivée dans la rue Brouillard. Il Le fixait d’un regard sévère et empli de haine. Un regard qu’il ne Lui avait jamais lancé auparavant.
Ils n’étaient définitivement plus du même coté.
Et pourtant.
« Qu’est-ce que tu fous là ? lui avait-Il demandé.
-C’est plutôt à moi de Te poser la question, avait rétorqué Dastein. Qu’est-ce qu’Il T’a dit pour que Tu viennes ici ? Je suppose qu’il s’agit de mettre un terme au peu de conscience qu’il Te reste, j’ai bon ? »
Il n’avait pas répondu, se contentant de serrer les poings. Et lorsqu’Il avait reprit la parole, Il avait gardé la même voix, contrairement à ce que Dastein avait prévu. Il ne S’était pas manifesté, songea Dastein, Il a laissé le choix à Son hôte. Aurait-Il tant confiance en Lui pour Se permettre un libre-arbitre aussi risqué ?
« Tu as tout à fait raison, avait-Il répliqué d’une voix calme. C’est exactement pour ça que Je suis ici : Pour en finir une bonne fois pour toute avec ce qui M’empêche d’avancer, c’est-à-dire ce qui me raccroche encore à mon ancien Moi. »
Il avait fait jaillir une langue de feu de Ses doigts.
« À savoir la librairie, et toi. »
Dastein avait évité l’attaque et s’était jeté sur Lui sans attendre. L’espace d’un instant, il avait cru pouvoir L’atteindre et en finir, mais Il avait été aussi rapide que lui et S’était mis de côté pour esquiver l’attaque directe. Au dernier moment, Dastein avait exercé une poussée du poignet sur le sol et s’était de nouveau rendu hors de Sa portée. Les actions n’avaient pas duré plus de cinq secondes.
Dastein avait fait une pirouette gracieuse dans les airs et était retombé silencieusement sur le toit d’une maison.
« Alors, on n’est plus capable de M’atteindre ? Se moqua-t-Il.
-Tu as progressé, c’est évident. Mais pas dans la bonne voie.
-Je suis du coté obscur de la Force, cita-t-Il d’une voix grave. Mais Je te remercie tout de même d’être venu, tu Me facilites la tâche. Je n’aurais pas à te chercher partout.
-Tu m’en vois ravi. »
Dastein s’était alors jeté du haut du toit et avait disparu en pleine chute. De son coté, Il avait simplement attendu quelques secondes, puis Il avait envoyé sa main à sa droite, en plein dans le visage de Roof qui avait senti l’onde de choc dans tout son corps. Roof s’était ensuite effondré, reprenant son aspect humain.
Souriant, Il Se pencha sur lui.
« Alors voilà, c’est ainsi que ça devait se terminer. Tu vas disparaître et Me laisser enfin tranquille. Je pourrai ensuite brûler cette librairie et Me libérer de tout ce qui m’oppresse. Je serais libre, grâce à toi, tu m’entends ? Libre !
-Non, c’est le contraire. Tu ne seras jamais libre. C’est Lui qui Te possède, et non l’inverse, mais Tu ne veux pas le voir. En me détruisant, Tu détruis la seule partie de Toi qui tentait de Te raisonner.
-Qu’est-ce que tu racontes ? Fear n’est pas…
-Il ne s’agit pas de Fear ! avait hurlé Dastein dans Sa tête. Ce n’est pas Son nom ! Fear n’a jamais existé, il a été réduit en miette par Son personnage, Celui qui Te possède !
-Oui, Je sais, tu vas me dire : Tu n’es qu’une marionnette, c’est ça ?
-C’est pourtant la vérité. Et je sais que Tu y crois ne serait-ce qu’un peu, car je suis encore là. »
Il Se releva, perplexe. Les mots de Dastein avaient trouvé un écho en Lui, mais Il ne savait pas exactement pourquoi. Ni comment. Une partie de Lui savait que Dastein avait raison, mais la Voix, celle qu’Il croyait être Fear, rognait peu à peu ce qui restait de discernement en Lui. Et Elle parla.
Ne l’écoute pas. Raye-le de la carte, qu’on en finisse. Ensuite, Tu te sentiras bien mieux. Un poids en moins sur la conscience, comme on dit.
« Je suis là parce que Tu le veux, n’oublie pas ça. Si Tu veux Le combattre, je pourrais T’aider. Mais il ne faut pas que Tu cèdes à Son bon vouloir.
-Je ne comprends pas ce que tu insinues, Dastein. Tout ce que Je sais, c’est que Je vais en finir avec toi.
-Si tu en finis avec moi, Tu en finiras avec Toi aussi. Et Il aura gagné.
-Oui, avait-Il acquiescé. Fear aura gagné. Fear et Moi, nous aurons gagné.
-Non. Ank aura gagné, et Lui seul. »
Le changement s’était opéré en une fraction de seconde. Ses poings S’étaient serrés, puis Il Les avait lancé sur le cou de Dastein et avait commencé à l’étrangler. Il avait senti les pulsations de son cœur qui battait la chamade, le sang qui coulait dans la jugulaire, sous Ses doigts, et dont le flux était devenu de plus en plus lent.
« Tu n’aurais jamais dû dire Mon nom, conscience de merde. »
Dastein avait sourit, puis ses yeux s’étaient peu à peu voilés et révulsés, tandis que son visage avait prit une couleur bleuâtre. Mais Il avait continué à serrer.
« Tu n’existes pas. Tu n’as jamais existé. Seul Lui croyait en Toi. »
Le libraire, à quelques pas de là, avait suivi toute la scène d’un œil apeuré. Il avait vu son ami de toujours, le seul enfant de la région, tenir une discussion avec personne, hurlant aux murs, se moquant du vide et parlant avec un individu qu’il ne voyait pas. Et un nom lui était venu en tête, comme sortit de nulle part : Guillaume Dastein.
Cet autre gamin qui était venu une fois dans sa librairie, mais dont il n’arrivait pas à se rappeler précisément. Et pour cause : le libraire sentait qu’il ne l’avait jamais réellement vu. Dastein avait été là, dans sa librairie, qu’au moment où Il y était entré, et pas avant. La mémoire du libraire s’était alors disloquée.
Ce Guillaume Dastein, il l’avait imaginé, tout comme Lui.
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